« Il y a près de 80 ans, 76 personnes étaient déportées depuis Cluny », titre le JSL. Dans son court article, le journaliste poursuit : 76 personnes arrêtées à Cluny, dont 62 Clunisois.

Vous allez me dire, après tout, les chiffres, c’est pas important. Eh bien moi je vous dis que par respect des personnes et par souci de vérité historique : les chiffres c’est important, les faits sont importants et on ne doit pas arranger l’Histoire à sa sauce.

Inauguration de la stèle, 1948.

L’opération de la SIPO SD -rappelons-le encore- ne s’est pas réalisée en un seul jour mais du 14 au 17 février inclus[1].

14-17 février 1944 : 200 personnes arrêtées

Au total 200 personnes -selon les renseignements généraux- ont été arrêtées à Cluny et dans les communes de Blanot, Lournand, Berzé-la-Ville. Ça fait quand même une sacrée différence avec les 76 arrestations annoncées dans le JSL. On connaît au moins les noms de deux personnes relâchées : le directeur des Arts-et-Métiers (Lagardelle) et René Angebaud[2], fils du résistant. 

Le préfet de Saône-et-Loire rend compte le 1er mars 1944.

À l’issue de l’opération, 74 personnes sont parties à la prison Montluc de Lyon avant d’être déportées, hormis le docteur Elysée Noir qui restera au camp de Compiègne. Sont-ils passés entre les mains du boucher de Lyon comme on le lit fréquemment sur les réseaux sociaux ? Là, il vous faut relire les témoignages de celles et ceux qui sont revenus dans l’ouvrage « Le pire c’est que c’était vrai » pour connaître la réponse.

Parmi ces 74 personnes qui partent pour la prison Montluc, cinquante-huit ont été arrêtées le 14, quatorze le 15 et deux le 17.

Arrêtée le 15 février vers 17 heures à La Prat’s : M-L. Zimberlin.

Parmi les personnes arrêtées entre les 14 et 17 février 1944, une grande majorité de Clunisois : 57 mais pas 62. Contrairement aux rédacteurs du Pire c’est que c’était vrai, nous comptons Fernand Baccharas comme Clunisois et non pas comme « étranger » puisqu’il vit dans la cité abbatiale depuis le 1er janvier 1943.

Cette opération de février 1944 est sans précédent à Cluny : une femme (Clarisse Morlevat) et quarante hommes (de Cluny ou « étrangers » à Cluny) décéderont en déportation et Marie-Louise Zimberlin très peu de temps après avoir franchi la frontière entre la Suisse et la France.

Hôpital d’Annemasse où est arrivée de Ravensbruck M-L. Zimberlin. Photo prise par Sophie Zimberlin, sa soeur.

Cherchez l’erreur

Alors pourquoi le JSL commet-il une erreur en parlant de 76 déporté-e-s le 14 février 1944 ?

Si vous observez de près la stèle du Pont de l’Etang, vous y trouverez les noms de :

Pautet Claudius, arrêté en septembre 1943

Mangeard Claudius, arrêté en septembre 1943

Chevillon Théophile et Dargaud François arrêtés le 17 janvier 1944 à Mont-Cortevaix

Oferman Jacob arrêté le 28 janvier 1944 à Cluny

Mais ils ne sont pas partis le 14 février 1944 en déportation « de ce lieu », comme il est indiqué sur la stèle.

 Guy Noll, un « terroriste » arrêté le 14 février

Guy Marcel Noll est né le 26 janvier 1922 à Villejuif. Infirmier à l’hôpital Bicêtre avant la guerre, il milite au parti communiste. Au début de la guerre, sa famille se réfugie à Serrières.

En août 1943, raconte Raymond Juillard, Noll est chargé de récupérer des cartes d’alimentation à Bussières. Mais le même jour, les Allemands débarquent chez Julliard et arrêtent le jeune Raymond puis Raymond Thevenet de Pierreclos. Qui recherchent-ils ensuite ? Guy Noll. Ils se rendent à Serrières où les parents de Guy affirment que leur fils a disparu depuis des mois de la maison. À Lyon, Raymond sera interrogé à plusieurs reprises, sur ses relations avec Thévenet et toujours sur Noll, ce « terroriste » comme l’appellent les Allemands. Il nie le connaître.

Raymond partira en déportation au camp de Buchenwald le 14 décembre 1944. Noll sera arrêté le 14 février à Cluny et déporté à Mauthausen, matricule 60 374. Le 16 mai 1944, il est affecté au Kommando de Steyr au Sud de Linz. Les détenus y fabriquent des mitrailleuses, des moteurs d’avions et des trains d’atterrissage.

À sa libération, Noll ne pesait plus que 45 kg.

Guy Noll à son retour de Mauthausen, 1945.

Il est décédé le 24 septembre 1980 à Morlaix.

Allez, faut pas y craindre ! On espère que l’an prochain réseaux sociaux et presse relaieront des informations exactes !


[1] La SIPO SD reviendra fin janvier à Cluny. Les Allemands arrêteront Jacob Oferman et Zac Hirbszein.

[2] Garçon de service aux Arts-et-Métiers, Angebaud est arrêté en même temps que René Cotte (1919-1945) et Georges Favre (1920-1944). Une enquête sera demandée par la famille Favre à la Libération. Nous en ignorons les suites. Il sera accusé par plusieurs personnes revenues de déportation d’avoir parlé en échange de sa libération.