Nous sommes le 25 janvier 1943. Depuis quelques mois, Escude est commissaire. Pourquoi la Gestapo française de la rue Lauriston est venue régler son compte au commissaire et à ses acolytes ?

De quelles sources disposons-nous ?

Premièrement d’un rapport succinct des renseignements généraux, conservé aux archives départementales de Saône-et-Loire.

1714 W 127 Direction départementale des Renseignements Généraux : arrestations opérées par la police allemande (1943-1944).

Pour les RG, vous noterez premièrement que l’opération de Tournus est le fait des Allemands. Deuxièmement, le fameux Torres (ex-directeur du centre d’accueil de Tournus) qui a soi-disant convoyé les six Juifs d’Anvers jusqu’en Espagne, a bel et bien été également arrêté. Chailleux n’en parle absolument pas dans ses « souvenirs ».

Deuxièmement, de rapports aux archives départementales du Rhône[1]. En effet, Escude et sa bande ont été internés à la prison Montluc. Avec ces documents, on comprend mieux le déroulé de l’affaire de Tournus.

Le 26 janvier le capitaine Bidau commandant la section de Mâcon fait le rapport suivant :

La police allemande a procédé à plusieurs arrestations à partir de 14H le 25 janvier 1943.

  • M Escude ainsi que son épouse et sa belle-mère
  • M. Boiteux, agent de police
  • M. le lieutenant Bonnot, commandant d’Armes à Tournus
  • M. Clément[2], ex-enseigne de vaisseau en retraite, sa femme et sa fille
  • M. Lacomme, cultivateur, grand mutilé de guerre et sa femme
  • Le lieutenant Hell, chef du bureau des laissez-passer
  • M. Hubert, employé de bureau des laissez-passer

Selon le capitaine Bidau, ils ont tous été embarqués et conduits à Chalon-sur-Saône après 19 heures :

« Le Chef de la Police Allemande aurait dit qu’il faisait cette opération avec l’assentiment de Monsieur Bousquet. Il était accompagné de 8 à 10 policiers, dont trois en uniforme. (…) Chez M. Lacomme il a été trouvé des grenades chargées, des mousquetons démontés et des munitions. Une carabine Winchester et deux pistolets avec des munitions ont été découverts chez l’agent Boiteux. L’arrestation du Commissaire Escude paraît avoir pour cause un trafic fait avec des Juifs.

Un collier de diamants aurait été trouvé sur Mme. Escude.

Parmi les personnes arrêtées quelques-unes sont accusées de s’être livrées au trafic des laissez-passer ; d’autres sont parmi les amis du Commissaire. (…) Plusieurs [parmi] les policiers allemands parlaient un français très pur sans aucun accent étranger. (…) L’opération a produit une forte impression sur la population. »

Le 26 janvier l’inspecteur de police nationale J. Nicod rend compte au chef du service départemental des Renseignements généraux qu’une visite a été faite au domicile d’un nommé Chailleux qui était absent et n’a pu être découvert. (…) Le brigadier de police Pacaud m’a fait savoir qu’il y avait 7 civils et 3 soldats allemands pour toutes ces opérations. (…) Il aurait également fait voir à cet agent des diamants qui proviendraient du domicile de M. Escude et que Mme. Escude portait encore au moment de son arrestation. Toujours de la même source, ces policiers ont déclaré revenir ce jour pour continuer leurs opérations. » 

Le 26 janvier l’inspecteur de police nationale Bourdelier indique qu’un certain Louis Guichard a également été arrêté. À cette date, il lui est impossible de connaître les motifs des arrestations.

Le 28 janvier l’inspecteur de police nationale Bourdelier rédige encore la note suivante : lorsqu’il arrive à Tournus à 15H05, il constate la présence des mêmes policiers que lundi. Ils procèdent à l’interpellation de voyageuses et à l’arrestation de trois d’entre elles. Ils ont également procédé à l’arrestation d’un nommé Hancelop du bureau des laissez-passer.

Le 28 janvier, le Préfet résume ainsi l’affaire :

« Escude primo, secundo, tertio Escude serait accusé par police allemande a) d’avoir établi fausses cartes d’identité au profit famille juive astreinte à résidence Tournus. b) avoir volé diamants et bijoux évalués plusieurs millions appartenant à cette famille qui avait pris la fuite le 25 novembre dernier craignant arrestation par police allemande venue à Tournus le même jour à son sujet. Femme et belle-mère commissaire arrêtées pour complicité ont été relâchées aujourd’hui. Quarto gardien Boiteux aurait été dénoncé par son commissaire qui l’aurait invité à dissimuler armes à son domicile. 5ème) Vous confirme relaxe lieutenant Bonneau[3]. 6ème) 7ème) 8ème) au lieu de Clément lire Clipet Clément déjà recherché par police allemande (…) trouvé au domicile Lacomme et accusé ainsi que sa femme et sa fille avoir participé vol diamants. 9ème) et 10ème) Lacomme et sa femme de ce fait accusés recel Clipet en plus détention armes.11ème) vous confirme relaxe lieutenant Heyl[4]. 12ème) Arrestation Hubert maintenue pour trafic laissez-passer. 13ème) Nommé Torres ex-directeur centre secours également arrêté pour complicité dans affaires diamants. 14ème) nouvelle arrestation le 27 vers 17 heures du nommé Hossenlop employé bureau laissez-passer.

Le 28 janvier l’inspecteur de police nationale Bourdelier complète les informations ainsi :

Le cas d’Hossenlopp « ne paraît pas être lié à celui du commissaire Escude mais à celui de l’ex-chauffeur Pacot, du bureau des laissez-passer de Tournus, détenu en zone occupée à la prison de Fresnes, croit-on, pour trafic de correspondance. (…) Les voyageuses interpellées et emmenées hier par les policiers allemands auraient été relaxées (…) Ils ont ensuite poursuivi leurs investigations en vue de découvrir un nommé Chailleux Roger, chauffeur de taxis à Tournus, ami intime du Commissaire Escude, et dans ce but se sont croit-on rendus à Lacrost où ils auraient procédé à une perquisition au domicile d’un sieur Aumailly (…) beau-père par alliance du nommé Chailleux. (…) Le lieutenant Bonneau (….) ainsi que le lieutenant Heyl (…) ont été relaxés et ont rejoint leur poste. »

Ce 28 janvier, la Carlingue est toujours à Tournus.

À suivre…


[1] AD Rhône : Dossier 0049, cotes 3335W 1-3335W31 Date 1942-1956 – Origine Service régional de police judiciaire de Lyon (SRPJ).

[2] Il s’agit de Clipet.

[3] Sur le lieutenant Bonneau, voir Annales de la Société des Amis des Arts et des Sciences de Tournus, 1946, p. 29. Il s’occupa à Tournus du centre militaire de passage.

[4] Sur le bureau des laissez-passer de Tournus et le lieutenant Heyl, voir Annales de la Société des Amis des Arts et des Sciences de Tournus, 1946, p. 29.