La carlingue : des Gestapistes français

Laissons là les souvenirs de Chailleux qui se trompe de calendrier et qui cache de « vilaines pierres » dans les corsets des femmes.

Henri Lafont ou « Monsieur Henri » est un bandit sans scrupule. Avec Bonny, ils font la paire, aidés par la bande de renégats de la rue Lauriston : trafic d’or, marché noir, ils traquent aussi les résistants[1], ils torturent, ils volent les Juifs et ils font la java avec le Tout Paris.

Philippe Aziz publie en 1973 son « Tu trahiras sans vergogne », l’ouvrage à lire absolument sur la rue Lauriston. Pour l’auteur, écrire l’histoire de la rue Lauriston, c’est une « longue descente aux enfers » et il y a de quoi. Minutieusement il relate l’ascension de Lafont et dresse le portrait de ses sbires, tel Berny, passé ensuite à la résistance.

Berny raconte : Lorsque Lafont le reçoit, il sait à quoi s’en tenir : à condition d’être réglo avec le patron « (…) le blé bientôt ruissellera dans [ses] pognes[2]. »

Les Gestapistes sont grassement payés : 30 000 F pour enlever une personnalité, 300 000 F pour l’exécuter[3]. Et c’est sans compter leur « salaire » fixe. Bonny touche 20 000 F.

Fredo la terreur du Gnouff ? Ivrogne invétéré, toujours la cravache à la main. Sa phrase favorite ? « Parle ou crève. Son instrument de torture : la « magnéto à effacer le sourire[4] ». A-t-on exagéré sur le rôle tenu par Violette Morris ? Elle aurait aimé torturer les femmes arrêtées, leur brûlant le bout des seins. On dit aussi que Chave (dit Nez de braise) aurait exécuté Leroy de six balles avant de lui couper la tête. Il sait qu’en rapportant ce trophée au « patron », cela lui fera plaisir… 

Et puis il y a le docteur Petiot qui gaze ses victimes, les découpe et qui brûle les corps. Eh oui, la bande à Laffont, des voleurs, des crapules, des tueurs, des violeurs aux noms évocateurs : Pierrot le Fou, Tony la serpette, Riri tête dure, Jo les grosses lèvres…

Chez Lafont, le parfum des fleurs embaume les pièces. Il faut dire que Monsieur Henri, le gosse à l’enfance malheureuse, tient sa revanche. Et il adore les orchidées : « Le luxe s’installe dans le Service (…) La rue Lauriston devient le point de mire de tous ceux qui ont quelque chose à vendre ou à échanger clandestinement[5]. » Lafont sait y faire : à une époque où la France crève de faim, il sait inviter et gave ses convives des mets les plus subtils. Le champagne coule à flots et les cadeaux aussi. N’est-ce-pas lui qui offre une Bentley à Helmut Knochen[6] -chef de la Police de sûreté et du Service de sûreté pour la France et la Belgique, de 1942 à 1944- comme cadeau de mariage ?

Les Allemands sont aux anges : avec l’arrivée de l’inspecteur Pierre Bonny, le service se structure.

« L’année terrible approche, 1943, celle qui leur permettra de cueillir les fruits de leur gigantesque effort de recrutement : l’anéantissement presque total des organisations de la résistance, qui, à la fin de l’année, touchera le fond de l’abîme[7]. »

Faut-il encore le rappeler ? Sans les Gestapistes français (au bas mot plus de 30 000 sur tout le territoire), les Allemands n’auraient pas pu infiltrer les réseaux et décapiter la Résistance. Des Lafont et des Bonny à Paris, des Moog et des Doussot à Lyon. Lorsque Philippe Aziz commence ses recherches, on le met en garde. Tout d’abord pourquoi remuer ces sales histoires rappelant un passé pas glorieux de la France des années 40 ?

Et puis, faut faire gaffe. Si on a exécuté rapidement, trop rapidement à la Libération ceux qui pouvaient en raconter des vertes et des pas mûres, il y a tous ceux qui sont restés en liberté. Certains sont même devenus « des gens importants »…

À suivre…


[1] La bande est à l’origine de l’arrestation de Geneviève De Gaulle.

[2] Aziz, Philippe. Tu trahiras sans vergogne : histoire de deux « collabos », Bonny et Lafont. Paris : Fayard, 1969, 379 p., p.101.

[3] La rue Lauriston a ainsi touché 300 000 F pour le meurtre de Deloncle.

[4] Aziz, Philippe. Tu trahiras, op.cit., p. 89.

[5] Idem., p. 161.

[6] Gracié par Auriol et libéré par De Gaulle.

[7] Aziz, Philippe. Tu trahiras, op.cit., p. 127.