Albert Smiliansky ou le courage de ne pas abandonner les siens
Nous vous avions annoncé une parution moins fréquente d’articles. Mais parfois l’actualité ne nous laisse pas le choix. Nous avions préparé un article sur Albert Smiliansky, un jeune Juif parisien qui habitait rue des Deux-Ponts. Et dans cet immeuble de la rue des Deux-Ponts vivait également Robert Max Widerman, plus connu sous le nom de Robert Clary. L’acteur de la série Papa Schultz est décédé hier. En sa mémoire et en mémoire de tous les jeunes arrêtés rue des Deux-Ponts et déportés, voici l’histoire d’Albert et de ses copains.
Albert Smiliansky, 17 ans en 1942. Il est né à Paris le 2 novembre 1925. Il vit avec son père Srul, sa mère Luba née Rissof et son frère Marcel (10 ans) et sa sœur Rachel (15 ans) au 10 rue des Deux-Ponts à Paris. Srul est réfugié russe et exerce la profession de ferblantier puis de brocanteur. Albert a une autre sœur plus âgée : Fanny Polak[1] qui vit à Nice en 1942 rue du Paradis.
En mars 1942, Pavel Smiliansky né en 1921 à Ekaterinoslaw -comme Fanny- a été déporté. Paul est le frère aîné d’Albert.
Selon le rapport de police établi à Lyon au moment de l’arrestation d’Albert, il est noté qu’à la mi-juin 1942, il a passé la ligne de démarcation à Dax dans les Landes afin de se rendre à Nice chez sa sœur : il fuit, dit-il à l’inspecteur, « les mesures prises par les Allemands contre les Juifs. »
Après l’arrestation de Pavel, la famille a peut-être souhaité que le cadet se mette à l’abri en zone libre.
Arrêté à Mâcon dans le train Marseille-Paris
Puis le 11 septembre, Albert se rend à Marseille où il reste jusqu’au 15. Il décide alors de remonter à Paris après la rafle du Vel d’Hiv.
Il est contrôlé dans le train express Marseille-Paris par l’inspecteur Jacques du commissariat de Mâcon le 17, sans billet de train et sans carte d’identité, qu’il a -dit-il au policier- déchirée « par crainte des Allemands ». L’adolescent n’a que vingt-deux francs en poche. De surcroît, ses parents étant d’origine russe, lui ne peut pas prouver sa nationalité française : il a laissé au domicile de ses parents son décret de naturalisation. Car comme ses frères et soeurs, Albert est Français.
Est-ce une chance pour lui ? Il n’a que 17 ans. Les services de police de Mâcon le laissent en liberté et il arrive à passer en zone occupée. Six jours plus tard, il sera arrêté puis déporté.
Rue des Deux-Ponts, un « vrai kibboutz », il retrouve donc mi-septembre sa famille et ses copains, dont Milo Adoner.
Samuel Adoner dit Milo (1925-2020) qui a été vice-président de l’Amicale d’Auschwitz a laissé de nombreux témoignages, sûrement pour nous un des plus durs entendu jusqu’à ce jour.
Ne pas abandonner sa famille
Au 10-12 rue des Deux-Ponts, une cinquantaine de familles vivaient dans cet immeuble. On jouait, dit Milo, à cache-cache dans la rue, on fabriquait des patinettes, on se baignait dans la Seine, on allait l’école, on faisait shabbat et puis on a grandi. De vrais Titis parisiens. La famille Smiliansky vivait au 3e.
23 septembre 1942, Milo raconte que lui et ses copains sont en train de jouer aux cartes au 5e étage lorsque son frère donne l’alerte. La Gestapo est en bas de l’immeuble : c’est le chef du Service anti-juif de la Gestapo, le lieutenant SS Heinz Röthke qui mène l’opération.
Les jeunes gars sont huit ou neuf à grimper au 6e sur les toits, prêts à s’enfuir lorsque la mère d’Isaac Wiorek, veuve avec neuf enfants à élever, rappelle son fils. Celui-ci décide de redescendre. Albert dit que ses parents sont vieux, son père très malade. Il décide de ne pas s’enfuir. Milo fait de même. Ils ont le choix mais ils n’abandonnent pas leurs familles.
Après Drancy, la déportation.
Albert et sa famille sont déportés le 25, Milo le 28. Arrivés à Cosel, les familles sont séparées : les jeunes, les aptes au travail sont descendus du train. Leurs parents, les frères et sœurs seront gazés à Auschwitz. La mère de Robert Widerman a le temps de glisser à son fils une dernière recommandation : « Sois un bon garçon ».
Milo et son frère Salomon, leurs camarades Emile Helwaser (1916-2008), Isaac Wiorek (1921-1943), Albert Smiliansky (1925-1943) Georges Galowsky, Yossi Grunfeld, Prosper Arous et Robert Widerman sont ensuite dirigés vers le petit camp satellite de Niederkirch puis vers le camp de Blechhammer, camp annexe d’Auschwitz III[2].
À Blechhammer Salomon Adoner, Isaac Wiorek et Albert Smiliansky sont déjà malades. Ils sont gazés. Milo, envoyé à Auschwitz-Birkenau où il travaille dans le Scheissekommando[3] puis à Buchenwald, survivra et sera rapatrié en avril 1945.

À la Libération, on ne comptait que cinq survivants, dont Milo Adoner et Émile Helwasser (Émile Levasseur), Robert Widerman (le chanteur et acteur Robert Clary)[4], Renée Binder et Marthe Ksionkowski.
Robert Clary (1926-16 novembre 2022)
[1] Fanny Smiliansky née le 19 juillet 1914 à Ekaterinoslaw et décédée en 1996 à Bourg-la-Reine.
[2] https://www.jewishgen.org/forgottencamps/Camps/BlechhammerFr.html
[3] Ou « Kommando de la merde », chargé de vider les latrines et de disperser les excréments dans les champs.
[4] Robert Widerman a été repéré à 12 ans et il commence une carrière de chanteur. En déportation, il est réquisitionné pour chanter le dimanche devant les soldats. La musique, dira-t-il, « c’est elle qui m’a sauvé la vie ».