Un témoin : Roger Chailleux

Reprenons. Avec un « témoin » de l’opération à Tournus. Il s’agit d’un certain Roger Chailleux alias Georges Mathis dans la résistance qui a publié ses souvenirs : « Millionnaire pour la Gestapo ». Le titre en dit long sur le bonhomme : la tête de Chailleux aurait été mise à prix par la Gestapo. Et c’est pas rien un million dans les années 40.

Roger Chailleux est à Tournus de 1941 à novembre 1942 parce que sa belle-famille est originaire du coin. Et c’est un ami du commissaire Escude. Vous pouvez trouver son ouvrage ou vous référer à la chronique que lui a consacrée André Talmard dans les Annales de la Société des Amis des Arts et des Sciences de Tournus, éditées en 2001 sous le titre « Un témoignage sur les années 1941-1942 ». A. Talmard le souligne : ce témoignage est « à conserver, à étudier et éventuellement à confronter avec d’autres témoignages. » Et de rajouter : l’action de Chailleux dans la résistance tournusienne est inconnue des locaux. Ah bon.

De 1941 à novembre 1942, Chailleux est à Tournus comme responsable de la mission VARLIN[1]. En novembre, il va se mettre au vert un temps à Nice, histoire de se faire oublier puis reprend ses activités de résistant dont nous vous passerons les détails.

Mais venons-en au point qui nous intéresse : que dit Chailleux de l’arrestation de son ami Escude ? C’est une opération importante puisqu’il y consacre un chapitre entier intitulé : « 1942 : une épreuve de vitesse[2] ».

V’là-t’y pas que le 25 octobre 1942…

Donc v’là-t’y pas que le 25 octobre 1942 une famille juive de six personnes arrive d’Anvers. Des riches diamantaires[3] qui ont passé la ligne : les grands-parents, un couple et deux enfants (une fille et un garçon) ne parlant pas un mot de français. Mais la « Gestapo » est sur leurs traces depuis Anvers et va débouler à Tournus.

Outre le fait de cacher des armes, Chailleux et ses amis sont de bons samaritains. Ils s’occupent également des Juifs en détresse, des diamantaires.

Donc ces riches Juifs sont pris en charge par Chailleux. Il les installe à l’hôtel de la Paix tenus par les Meunier. Mis au courant, le commissaire Escude préconise de leur trouver rapidement une autre planque. On opte pour la famille Delorme, des horticulteurs qui habitent route de Chalon-sur-Saône. Mais lorsque Chailleux revient à l’hôtel, ses six Juifs en costumes traditionnels (chapeaux noirs et barbes) ont pris la poudre d’escampette. Ils sont allés se réfugier chez un coreligionnaire Scholtès[4] -dont ils avaient l’adresse depuis Anvers-  car ils ont eu une peur bleue de Chailleux qui parlait la langue de Goethe !

Les choses se gâtent : la « Gestapo » déboule au commissariat.

Chailleux va se mettre à la recherche des Juifs d’Anvers et il est en train d’attendre au café « Vaisseau » lorsque deux voitures noires stoppent dans un crissement de pneus devant le commissariat. Quatre civils en descendent : longs manteaux de cuir et chapeaux noirs : les carottes sont cuites. La Gestapo est à Tournus.

Selon Chailleux, Escude sera arrêté parce qu’il n’a pas établi de fiche de police concernant cette riche famille juive. Pour la Gestapo, Escude devient donc le suspect number one dans cette affaire puisqu’il les a aidés. Et, écrit Chailleux, le commissaire est arrêté. La jeune épouse d’Escude est dans une détresse profonde…

Chailleux ne sait-il donc pas que la femme ainsi que la belle-mère du commissaire seront embarquées, elles aussi, par la « Gestapo » ? Mais pas à l’automne 1942.

Chailleux qui a quitté -écrit-il- la Bourgogne en novembre 1942, ne sait-il donc pas que le commissaire Escude a été arrêté en janvier 1943 ? Et, de surcroît, avec des complices. Le motif ? Trafic de diamants.

À suivre…


[1] A. Talmard écrit dans son article « Un témoignage sur les années 1941-1942 » : « En fait, pour l’année 1941, l’activité principale de la mission Varlin consiste à prendre en charge des militaires français évadés des Oflags ou Stalags ennemis. Elle se rattache ainsi à une filière d’évasion, dont elle constitue le maillon « ligne de démarcation ». Elle réceptionne les évadés aux abords de la ligne, vers Saint-Marcel, La Ferté ou Saint-Boil, les héberge et les cache quelque temps à Tournus, leur établit des faux papiers afin qu’ils puissent soit s’installer en zone libre, soit poursuivre la route vers l’Espagne (pour rejoindre Londres) ou vers l’Afrique du nord. »

[2] Chailleux-Mathis Roger. Millionnaire pour la Gestapo. Editions Surmelin Printed, 1972, 252 p., pp. 45-66.

[3] Idem., p. 67. Ils sont détenteurs d’une grosse quantité de diamants « industriels fort utiles à l’armée allemande ».

[4] Entreprise de matériel de chauffage rue du Dr Privey. Comment les Juifs d’Anvers connaissaient-ils les Scholtès, ça, Chailleux ne le dit pas.