La vie à l’hospice : les soutiens, amis et associations
Le réconfort quand on n’a plus les siens, c’est l’amitié qui unit sûrement toutes ces femmes. Quelques-unes ont pu survivre avec un des leurs et cela a été sûrement un apaisement pour traverser trois années de vie dans un camp : nous enregistrons à Mâcon la présence des sœurs Ottenheimer, Joséphine et Mina[1] et de Regina et Bertha Sinsheimer[2]. Ida Lehmann arrive également avec sa sœur Lili, veuve Westerfeld, toutes deux nées à Lichtenau[3].

Issues des plus vieilles familles de Lörrach, Judith Geismar et sa demi-sœur Babette Rieser survivent ensemble à l’extermination tandis que sept membres de leur famille -déportés avec elles- sont décédés à Gurs, à Auschwitz ou à Majdanek.
À l’hospice, Hanna Roethler, déportée de Mannheim, a été une compagne et amie dévouée pour ses coreligionnaires. La fille de Berta Wahl se réjouit ainsi que sa mère ait trouvé à l’hospice « une si bonne amie ». Et bien souvent, c’est Hanna qui se charge d’annoncer aux familles dispersées aux quatre coins du monde le décès d’une compagne. En contrepartie, les familles demandent au directeur de donner à Hanna de petits objets ayant appartenu aux défuntes ou de lui laisser profiter des colis que l’hospice pourrait encore recevoir.
« En outre je vous prie, cher monsieur, de délivrer à Madame Roethler un sac de voyage, légué par notre mère, et de plus tous les paquets en route, adressés à Madame Wahl », écrit ainsi Joseph Kohn (gendre d’A. Roethler) de Los Angeles le 18 janvier 1946. Trois mois plus tard, Hanna Roethler gagne l’Angleterre où elle rejoint de la famille.
La communauté juive de Mâcon
Les vieilles femmes peuvent également compter sur la communauté juive de Mâcon qui a à leur tête Achille Weill (ancien directeur de l’hospice de Pfastatt -UGIF) et Henri Roos[4] (Union des Juifs de France). Tous les réfugiés les signalent comme « personnes à prévenir en cas d’événement grave ». Roos et Weill s’occuperont en effet des obsèques mais pas seulement. Dès 1941 la communauté juive mâconnaise entretenait des relations avec les malades étrangers les plus nécessiteux du sanatorium de La Guiche en leur apportant du réconfort et une petite aide matérielle.
Roos et Weill mobilisent donc encore la communauté juive pour aider leurs coreligionnaires des hospices moralement et financièrement. Frieda Plaut, avec la permission du directeur, rend visite à Ida Wolff, domiciliée au 156 rue Rambuteau. Ida a peut-être elle-même besoin de réconfort : arrivée à Mâcon en 1940 avec son mari Léon, celui-ci sera arrêté et déporté le 4 mars 1943.
Dans cette communauté juive allemande à Mâcon, il y a également le couple Laemle (ou Lämle), originaire de Karlsruhe. Déportés à Gurs en 1940 (Ilot K, Baraque 9), ils sont libérés et viennent vivre à Mâcon en mai 1941 où ils sont recensés comme Juifs. Selon l’inspecteur Tusseaud, ils sont domiciliés au 37 quai du Breuil avec leur beau frère et sœur les Levy, lesquels seront déportés en juin 1944.
Parlant peu le français, le couple mène en 1941 un train de vie de petits rentiers avec 1 800 francs par mois. Max Laemle ayant exercé à Karlsruhe la profession de minotier, il possède peut-être quelques économies, ce qui a permis au couple d’être libéré de Gurs. Ils ont l’intention, toujours selon l’inspecteur Tusseaud, « de se rendre en Amérique ». Ils n’auront pas cette chance.
Max va décéder le 13 août 1944 à Mâcon. Henriette, originaire d’Illingen, se retrouve seule et entre alors à l’hospice de La Charité où elle retrouvera la petite communauté allemande[5].
Les liens avec leurs familles : « Dans un endroit inconnu »
Mais, au-delà de l’amitié, c’est surtout l’espoir de retrouver des membres de sa famille qui soutient les réfugiés. Quatre ans ont passé depuis leur départ d’Allemagne. Les conjoints sont décédés mais où sont les enfants et les petits enfants ? Les frères, les sœurs, neveux et nièces ? Quand on leur demande l’adresse de leurs enfants, les hébergés répondent invariablement sur leurs fiches d’admission : « endroit inconnu », comme Mina Ottenheimer pour ses deux filles. Elle ne sait pas encore qu’elles ont péri à Auschwitz.
D’autres enfants ont pu également émigrer aux quatre coins du monde, avant ou pendant la guerre :
En Afrique du Sud se trouvent les deux filles de Karoline Mayer[6] et les deux fils d’Elvira Witzenhausen.
En Amérique du Sud vit le fils de Jette Weil et Hélène Schweizer a 4 enfants dont 1 fils en Amérique, 2 filles et 1 fils dans « endroit inconnu ».

En 1943, les enfants d’Hanna Roethler sont en Palestine et en Angleterre. Elle y rejoindra sa fille.
Tous vont vivre avec l’espoir de retrouver les leurs, et davantage ceux qui savent que certains membres de leur famille, surtout leurs enfants, sont en Europe et particulièrement en France. En octobre 1943, Jeannette Meier note sur sa fiche d’admission que son frère Gustave Valfer vit à Limoges. Ils auraient pu se retrouver à la Libération mais Gustave a été déporté en novembre 1943. Quant à Osias Auerbach qui a deux filles, une en Suisse et une à Bruxelles, il ne sait pas que cette dernière a été exterminée à Auschwitz. En octobre 1944, lorsqu’il écrit à un certain M. Goldschmidt à Buenos Aires qu’il souhaite revoir rapidement ses enfants, il ignore encore que sa fille Rosa ne reviendra jamais.
Settchen Schwarzschild a perdu son fils Richard déporté le 7 septembre 1942 de Rivesaltes vers Auschwitz mais elle a pu correspondre depuis le camp de Noé avec ses deux petites filles Hannelore et Margot[7], sorties du camp de Rivesaltes et envoyées dans une colonie de vacances gérée par la Croix-Rouge à Pringy[8]. Mais c’était en 1942. Deux ans plus tard, Settchen sait-elle où se trouvent les petites et leur mère Luise ?

L’hospice départemental a conservé dans ses archives certaines correspondances. Elles datent presque toutes de l’après Libération, ce qui laisse à penser que les liens entre les hébergés et leurs connaissances étaient très ténus et que l’espoir de se retrouver s’amenuisait au fil du temps. On peut imaginer la tristesse d’Osias lorsqu’il a reçu la carte qu’il avait envoyé à Buenos Aires : « retour à l’expéditeur ». À cette adresse, M. Goldschmidt est devenu « inconnu ».

À suivre…
[1] Sont-elles sœurs ? Le registre de l’hospice départemental, contrairement à celui de l’hospice de la Charité, n’indique rien en ce sens.
[2] Filles d’Abraham et de Julie Reis.
[3] Filles de Lazare Lehmann et Fanny Withan.
[4] Henri Roos (1883-1952), négociant en confection était propriétaire de la maison « Au bon pasteur » située quai Lamartine, fondée par son père en 1876. Les Roos était une des plus vieilles familles juives de Mâcon.
[5] https://www2.landesarchiv-bw.de/ofs21/bild_zoom/zoom.php
[6] Elle a également deux fils dont elle ignore le devenir.
[7] Voir le dossier concernant la famille Schwarzschild « Margot SchwarzschildWickipapers » sur https://collections.ushmm.org/
[8] Voir la carte sur envoyée par Settchen : https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn518758#?rsc=139065&cv=9&c=0&m=0&s=0&xywh=-78%2C0%2C2036%2C1333