René Nodot et le Service Social des Étrangers
Pour suivre le parcours des Juifs des camps de Gurs et de Noé jusqu’à Mâcon, il nous faut plonger dans les Mémoires de René Nodot, un « Juste » et un résistant[1].
En 1942, Nodot est employé au Service social des étrangers (SSE) dont la direction (confiée à Gilbert Lesage) et l’administration centrale sont installées à Vichy. C’est ce service qui a été chargé de « disperser », selon Nodot, les vieillards juifs en 1943, notamment dans les hospices mâconnais.
Les rôles et attributions du SSE sont « résumés dans une circulaire interministérielle n° 309, pol. 7, du 4 juillet 1941.
« Des équipes du service social placées auprès du Commissariat à la lutte contre le chômage, dont l’activité complète celle du Service social des formations d’étrangers, s’occuperont de toutes les questions relatives aux familles des travailleurs étrangers incorporés dans les formations.
En liaison avec le Service social des formations d’étrangers, elles apporteront leur concours au service des préfectures pour :
-le recensement des familles de Travailleurs Étrangers ;
-le regroupement de ces familles ;
-le contrôle des allocations à verser aux familles sans ressources ;
-la création et l’organisation de foyers d’accueil ou des foyers familiaux ;
-l’assistance matérielle et morale de ces familles ;
-le reclassement et la réadaptation de ces familles[2]. »
Le SSE a-t-il mis à l’abri ou non les Juifs étrangers ?
Selon Olivier Pettinotti qui a consacré une recherche à Gilbert Lesage, ce dernier ne pouvait pas imaginer que des rafles se produiraient en zone Sud. Et c’est pourtant ce qui arriva alors que le SSE était chargé de recenser les familles, les regrouper, les contrôler et les assister. Lesage aurait donc été manipulé par le gouvernement de Vichy en lui laissant la possibilité de regrouper les Juifs « afin de les contrôler pour enfin quelquefois les déporter[3]. » Recensés, fichés, les Juifs de certains centres sont à la merci de l’occupant.
« On peut estimer sans grand risque de se tromper que ce Service (…) a été créé pour gagner la confiance des Juifs, des étrangers et de différents organismes (…) Le SSE et son chef Lesage (…) servent de couverture au pouvoir et permettent à celui-ci de gagner du temps et d’apaiser les craintes de la population[4]. «
Alors que Gilbert Lesage s’est défendu « affirmant qu’aucun centre d’accueil n’avait fait l’objet d’arrestations d’hébergés, le centre de Montmélian est raflé en août 1942, l’hôtel « Beauséjour » d’Alboussière occupé par des personnes âgées, l’hôtel « Les Marquisats » d’Annecy occupé exclusivement par des femmes et des enfants et le centre de Reillanne sont raflés par la police allemande en 1943 et 1944.

Des hébergés du camp de Douadic sont désignés arbitrairement pour compléter une liste de Juifs arrêtés, en transit, en février 1943[5]. » Nodot se taira également sur les rafles concernant les Juifs hébergés dans les centres d’accueil du SSE, tout comme Marie-Antoinette Maux-Robert qui soulignera plus récemment encore que cette « formule imaginative et généreuse, [qui] permettra d’abriter aussi bien des vieillards que des inaptes, des familles que des malades. Malgré des conditions de vie souvent spartiates, la plupart de ces centres constitueront une réelle protection jusqu’à la fin de la guerre[6]. »
Si Lesage n’a pas pu prévoir ce qui arriverait dans ses centres d’hébergement, il va œuvrer au sauvetage des Juifs, surtout à partir des rafles de 1942. C’est ainsi qu’il va aider les Polonais en les prévenant des rafles et en les aidant à passer en Espagne. À Marseille, il évitera la déportation aux aumôniers auxiliaires[7]. En août 1942, il avertit également les Éclaireurs israélites de France qu’une rafle des Juifs étrangers se prépare pour les 26, 27 et 28 août[8]. Pour la rafle de Vénissieux, Lesage dépêché sur place, occupera un rôle en aidant les organismes sociaux à sauver les enfants de la déportation.
À suivre…
[1] Nodot René. Mémoires d’un Juste – un non-violent dans la résistance. Éditions Ampelos, 2018, 146 p.
[2]Pintel Samuel. « Les Centres d’accueil du Service social des étrangers sous Vichy (1941-1944) », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 172, no. 2, 2001, pp. 97-158. Né en 1910 à Paris et décédé en 1989. Gilbert Lesage, surveillé et devenu trop suspect, sera arrêté à Paris en avril 1944 et interné à la caserne des Tourelles.
[3]Pettinotti Olivier. Un juste manipulé ? Gilbert Lesage, fonctionnaire de Vichy, la protection des réfugiés et des juifs. Maisons-Laffitte : Ampelos, 2013, 119 p., p. 35.
[4] Idem., p. 70.
[5]Pintel Samuel. « Les Centres d’accueil du Service social des étrangers sous Vichy (1941-1944) », Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 172, no. 2, 2001, pp. 97-158. Pour Samuel Pintel les centres d’accueil pour étrangers placés sous la responsabilité du service de Gilbert Lesage « n’ont été que des lieux de détention, sans barbelés, ni miradors, mais totalement intégrés dans la spirale concentrationnaire. »
[6]Maux-Robert Marie-Antoinette, « Le commissariat à la lutte contre le chômage en zone sud », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2002/2 (n° 206), p. 121-146.
[7]Pettinotti Olivier. Un juste manipulé ? Gilbert Lesage…, op.cit., p. 71. Lesage sera décoré de la Croix du mérite polonais (avec épée) en juillet 1945.
[8] Idem., pp. 73-74. Les enfants de Moissac seront ainsi sauvés. Lesage sera récompensé par Yad Vashem et recevra la médaille des Justes en janvier 1985.