Le camp de Gurs

Hanna Schramm est témoin de l’arrivée des Badoises à Gurs :

« Les premières femmes surgirent de la nuit et entrèrent dans la baraque éclairée. C’était des femmes âgées, des petites vieilles tremblantes, des femmes avec des enfants, muettes, les yeux écarquillés par la peur. (…) Et toujours, on voyait arriver de nouveaux camions qui déversaient des gens, des gens des toutes les catégories et de tous les âges, des riches, des pauvres, des bien portant, des malades et, hélas, tant et tant d’enfants. Il y avait là des malades qu’on amenait dans l’îlot sur des civières, et toutes sortes de personnes âgées, des vieilles de 70, de 80 et même 90 ans, des silhouettes que l’on eût cru échappées de la tombe, tout à fait désorientées et comme étrangères à ce monde. Elles se laissaient conduire sans manifester la moindre volonté et disaient poliment merci quand on les soutenait. Ce qui leur arrivait dépassait leur entendement. C’était un spectacle plus terrible que tout le désespoir et toutes les larmes[8]. »

Le froid, la faim, les maladies… les conditions d’internement sont terribles et l’on enregistrera 1 038 décès entre le 24 octobre 1940 et le 1er novembre 1943. « Plus de la moitié d’entre eux (645 soit 62,1 %) date des quatre premiers mois, c’est-à-dire de l’hiver 1940-41. L’hiver 1940-41 constitue l’un des moments les plus sombres de l’histoire du camp. Les seuls mois de novembre et de décembre 1940 voient périr 470 hommes et femmes, soit une moyenne de huit par jour. (…) Les personnes âgées, au premier rang desquelles se trouvent les Badois, sont alors décimées : 370 vieillards (plus de 70 ans), trois sur quatre environ, sont fauchés. (…) Une véritable hantise de la mort s’installe alors dans les îlots et y demeurera jusqu’à la fermeture provisoire du camp, le 1er novembre 1943[9].

Hannelore et Margot, les petites filles de Settchen Schwarzschild se demanderont comment leur grand-mère a pu tenir le coup : « Comment elle a survécu à son voyage jusqu’à Gurs à son âge reste un mystère pour nous aujourd’hui. Elle a dû vivre là-bas mal, nous avons reçu des lettres d’elle, où elle se plaignait surtout de la faim. Ma mère, qui travaillait dans l’un des foyers d’enfants de la Haute-Savoie, lui a envoyé des paquets de pommes de terre cuites, ce dont sa grand-mère était très heureuse et très reconnaissante. Il faut imaginer à quel point elle devait être affamée[10]. »

Certains internés ont eu la chance d’être libérés, soit 1 710 personnes dont 680 en 1941 et 695 en 1943.

Il y a tout d’abord les libérations officielles qui nécessitent une enquête dite « de moralité », l’obtention d’un certificat d’hébergement du maire de la commune choisie. Il faut également prouver que l’on est capable de subvenir à ses propres besoins. C’est ainsi que Max et Henriette Laemle (ou Lämle) peuvent rejoindre Mâcon en mai 1941 et s’installer au 37 quai du Breuil. A contrario, Anna Rosenstiel et sa soeur Lise qui ont multiplié les démarches pour sortir, trouver l’argent, un hébergement, n’auront pas cette chance. Lise sera déportée tandis que sa soeur sera hébergée à l’hospice de Mâcon à l’automne 1943.

Ces libérations concernent également les conjoints non-Juifs. Puisqu’elle n’est pas juive, Louise Schwarzschild, belle-fille de Jette, aurait pu ainsi divorcer et abandonner son mari Richard au camp de Gurs et retourner en Allemagne avec ses filles Hannelore et Margot. Elle décide pourtant de rester. Richard sera déporté et ne reviendra pas.

Dans ce chapitre des libérations, il faut également faire une parenthèse aux initiatives de La Cimade et de l’abbé Glasberg. L’abbé est à l’origine de la Direction des centres d’accueil et permettre ainsi la sortie d’internés de Gurs, dirigés vers des centres comme celui de Chansaye dans le Rhône. Le système de l’abbé est ingénieux. Sont envoyés dans les centres des vieillards qui ont les moyens de payer leur propre hébergement et celui de deux personnes jeunes et valides, soit 2 500 F au total. L’assistance devient ainsi résistance. Quant à la Cimade, elle ouvre des foyers dès 1942, surtout pour les vieillards, les malades et les femmes avec des jeunes enfants. On citera le plus connu : le Coteau fleuri au Chambon-sur-Lignon. Dès lors que les internés sont pris en charge par la Cimade et restent sous surveillance policière, ils peuvent quitter Gurs.

Néanmoins, ces libérations ne sont qu’une goutte d’eau et les survivants se comptent en unités. Au total 3 907 Gursiens seront déportés vers les camps de la mort. Le dernier convoi partira de Gurs en mars 1943.

Transférés aux camps du Récébédou ou de Noé

Certains internés de Gurs (les vieillards et les malades) seront ensuite transférés vers les camps de Noé ou du Récébédou installés près de Toulouse et ouverts en mars 1942. Appelés « camps-hôpitaux », ils n’ont rien d’un véritable hôpital : ce sont « seulement de camps mieux construits que ceux de l’époque espagnole : les murs sont en briques, le toit en tôle et le sol praticable en toute saison[11]. »

Selon Eric Malo, historien des camps de Noé et de Récébédou : « Pour le ministère de l’Intérieur, la création des camps-hôpitaux du Récébédou, et de Noé répondait au souci, publicitaire et diplomatique, de démontrer aux journaux américains sa bonne volonté humanitaire. Ils furent utilisés dès le mois de mars, comme des camps-vitrines afin de contrer la mauvaise image que l’internement des étrangers donnait de Vichy outre-Atlantique[12]. »

« Les 21 et 27 février 1941, 601 vieillards transportables sont dirigés sur Noé (349 hommes et 252 femmes âgés de 65 ans au moins). 150 d’entre eux environ y mourront dans les semaines suivantes. Un mois après, les 17 et 20 mars, 875 malades et infirmes, vieillards pour la plu­part, sont envoyés au Récébédou : 481 hommes et 394 femmes, presque tous atteints d’œdèmes de la faim ou d’entérite. Les conditions de vie, au Récébédou, comparées à celles de Gurs, apparaissent presque satisfaisantes, même si une centaine de malades y trouvent la mort au cours du printemps 1941. (…) En tout, 2 702 hommes, femmes et enfants sont ainsi transférés entre le 21 février et le 20 mars 1941 (1 355 hommes, 788 femmes et 570 enfants), presque tous provenant du groupe des internés badois[13]. »

Si des Juifs ont pu survivre dans le camp du Récébédou, explique le rabbin René Kapel (aumônier des camps de Noé et de Récébédou), c’est bien grâce aux aides : celle de la Commission des camps de Toulouse, les Quakers, le Secours suisse et la communauté juive de Toulouse. Ce sont les Quakers, par exemple, qui distribuent chaque jour une soupe consistante et le Secours suisse qui apporte aux 600 malades un quart de litre de lait par jour[14].

Camp du Récébédou

Victimes des déportations, notamment celles d’août 1942, il ne restera à Récébédou -selon Eric Malo- que 835 étrangers internés dont 425 Juifs. Ils furent transférés aux camps de Noé et de Nexon et le camp fut fermé le 5 octobre 1942. Entre 1941 et octobre 1942, 254 Juifs y sont morts. Celui de Gurs fut dissout en novembre 1943. Seul le camp de Noé continua de fonctionner jusqu’en mai 1944[15]. On dénombre au moins 202 Juifs décédés au camp entre 1941 et 1944.

À suivre…

[8] Schramm Anna. Vivre à Gurs : un camp de concentration français 1940-1941. Maspero, 1979, 379 p., p. 75 et suiv.

[9]http://www.campgurs.com/le-camp/lhistoire-du-camp/p%C3%A9riode-vichy-40-44-les-d%C3%A9parts-du-camp-40-43/les-d%C3%A9c%C3%A8s-au-camp-1940-43/

[10]https://stolpersteine-kl.de/stolpersteine-in-kaiserslautern/biografie-familie-schwarzschild/

[11]http://www.campgurs.com/le-camp/lhistoire-du-camp/p%C3%A9riode-vichy-40-44-les-d%C3%A9parts-du-camp-40-43/les-transferts-vers-d-autres-camps-1940-43/

[12]https://www.cairn.info/revue-le-monde-juif-1995-1-page-76.html

[13]http://www.campgurs.com/le-camp/lhistoire-du-camp/p%C3%A9riode-vichy-40-44-les-d%C3%A9parts-du-camp-40-43/les-transferts-vers-d-autres-camps-1940-43/

[14] Kapel, R. (1977). « J’étais l’aumônier des camps du sud-ouest de la France (août 1940-décembre 1942) » : (suite et fin, voir n° 87). Le Monde Juif, 88, 154-182. https://www.cairn.info/revue–1977-4-page-154.htm., p. 155.

[15]https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1992_num_104_199_3750#