L’abject Tissier est le parfait délateur. Il a tout d’abord une dent contre les francs-maçons. C’est ainsi qu’il dénonce au préfet l’inspecteur Poncet acoquiné selon lui avec un autre maçon, Bernigaud, le maire de Branges. Le juge de paix de Louhans est mis dans le même panier. Pire. Selon Tissier, à la préfecture il y a une camarilla de francs-maçons et de socialistes « beaucoup plus qualifiés pour leurs capacités d’agent électoral dévoué que pour leurs capacités intellectuelles ou morales. (…) Une enquête urgente s’impose[1]. »

Bien entendu, il exècre les communistes, les Juifs (et plus tard la résistance), et tout particulièrement un confrère, le docteur Misès, installé à Branges.

E. Misès à Branges. Un descendant de la famille a mis en ligne toute une série de photos que vous pouvez consulter.

Emmanuel Misès est né le 17 juillet 1911 à Botosani (Roumanie). Il est titulaire du diplôme d’État de docteur en médecine (9 juillet 1935)[2] après avoir suivi ses études à Lyon où il fut élève du professeur Léon Bérard, et collaborateur pendant 3 ans et demi d’Auguste Lumière.

Dès le 23 novembre 1935, il ouvre un cabinet à Branges, parfaitement en règle avec la loi du 30 novembre 1892 et avec celle du 26 juillet 1935 sur l’exercice de la médecine.

Sur différents sites vous lirez que le docteur faisait ses visites à cheval. En fait, Misès possède une voiture et donc de l’essence. Tissier, son confrère-délateur, est enragé à ce sujet :

Le 8 août, il demande à l’inspecteur Poncet de ne plus délivrer de bons d’essence au Juif Misès.

La France aux Français, l’essence aux Français !

Le 29 août, Tissier remet le couvert et écrit à Poncet : « Je vous avais signalé il y a quelques jours l’intérêt qu’il y aurait à ne pas délivrer de bons d’essence au juif roumain MYSES, installé à Branges ; vous ne m’avez pas répondu à ce sujet. Depuis ma lettre, je sais qu’il a eu des bons d’essence ; (…) Je pense qu’à partir de maintenant il ne lui sera plus distribué de bons d’essence et que le contingent qui lui était réservé nous sera distribué entre médecins français. Entre confrères, nous ferons l’enquête nécessaire à ce sujet et si par suite d’erreur de vos services, il lui était attribué des bons d’essence, nous vous préviendrons aussitôt. »

Poncet ne prend même pas la peine de répondre à Tissier et se justifie auprès du préfet au sujet de cette essence distribuée au médecin juif.

L’origine du problème n’est finalement pas le réservoir d’essence de Misès, écrit-il au préfet. Tissier est simplement jaloux et surtout antisémite. Le fonds du problème, c’est une vieille affaire où le médecin de Louhans a été mis à mal. Le 20 mai 1936, Tissier devait vacciner des enfants contre la diphtérie . La vaccination eut pour conséquence d’avoir 69 enfants malades et un mort. Tissier ne voulut pas reconnaître ses torts mais il fut condamné par le tribunal civil de première instance de Louhans, jugement confirmé par la Cour d’Appel de Dijon.

Coup dur pour la carrière de Tissier : par décision préfectorale, il se vit retirer, à partir du 1er janvier 1938, tous les services publics dont il était chargé : protection des enfants du premier âge, vaccination antivariolique, vaccination antidiphtérique, service rural antivénérien, consultations prénatales, assistance médicale gratuite. Cette décision fut rapportée le 13 décembre 1939, uniquement à cause de la pénurie de médecins due à la mobilisation[3]. De son côté, Misès est un bon médecin, très apprécié dans la campagne louhannaise.

Il n’a pas pu bénéficier de dérogation pour continuer à exercer. C’est le docteur Jannin qui prit la suite de son cabinet à Branges, en septembre 1940. Misès avait perdu sa raison de vivre : son travail et ce, parce qu’il était Juif étranger.

Il s’était installé à l’hôtel du commerce. C’est là que cet homme désespéré se donna la mort dans la nuit du 4 au 5 octobre, en prenant une substance toxique. Il avait 29 ans. Il fut inhumé au cimetière du village.

Mauvais médecin, Tissier allait pouvoir redorer son blason et devenir un très bon milicien.    


[1] AD Saône-et-Loire, W120 163 : Lettres anonymes, dénonciations (1940-1945). Lettre de Tissier au préfet, 4 septembre 1940.

[2] Misès a soutenu sa thèse sur « La lipomatose symétrique, multiple »

[3] AD Saône-et-Loire, W120 163 : Lettres anonymes, dénonciations (1940-1945). Lettre de Poncet au préfet, 6 septembre 1940.