Exfiltrer les enfants de moins de 16 ans
Quant aux enfants de moins de seize ans, comment leur libération s’est-elle effectuée ? Selon le témoignage de Jean-Marie Soutou, les œuvres se servent de la dépêche de Cado n° 2859 du 15 août 1942, laquelle précisait que les parents pouvaient laisser leurs enfants en zone libre. Ils seront pris en charge par le Service Social aux Étrangers[1]. Ils ont pu également s’appuyer sur la notification du 19 août qui ne comprenait pas les moins de seize ans non accompagnés dans les déportables. En bref, ils sont dans les clous pour demander aux parents de confier leurs enfants avant de partir en déportation.
Conséquemment, la seule action à réaliser au plus vite, c’est de convaincre les parents d’abandonner leur enfant. Selon Valérie Portheret, le tour des baraques où sont rassemblés familles et enfants, se fait dans la soirée du 28 août, en quelques heures seulement. Selon un membre de l’OSE (note anonyme) l’Amitié chrétienne avait commencé le tour pour convaincre les parents dès le jeudi 27 de leur confier les enfants. Arrivant au centre avec 24 heures de retard, l’OSE aurait repris la main et ils ont « fait signer aux parents un papier comme quoi les enfants seraient confiés à l’U.G.I.F. (…) Dès que les internés ont appris que les œuvres Juives s’occuperaient d’eux, ils ont eu plus confiance[2]. »
L’intendant de police assiste à la scène, s’interrogeant sur les cris des parents[3].
Il ne s’interpose pas, parce que ce « sauvetage » est régulier selon la communication téléphonique reçue dans les préfectures le 19 août et le télégramme du 15. Le préfet Angeli qui devra s’expliquer au sujet de l’exfiltration des enfants déclare ainsi le 1er septembre : « J’indique immédiatement que cet abandon des enfants par les parents avait été autorisé par mon Administration conformément aux prescriptions de votre circulaire 2859 POL. 9 du 15 août 1942, qui prévoyait expressément semblable autorisation[4]. »
Avant que le convoi du petit matin n’emporte les parents à Drancy, il faut faire vite et sortir les enfants des baraques. Si certains parents comprennent l’urgence de signer le document d’abandon de paternité, d’autres refusent :
» J’avais conscience du fait que le sort de ces gens serait vite réglé. Mais nous ne pouvions pas dire brutalement : vous, vous êtes condamnés à mort, permettez au moins à vos enfants de survivre. Nous pensions donc les convaincre en leur disant le minimum de choses possible sur le sort réservé aux parents. Cependant, avec la panne d’électricité, nous nous sommes trouvés dans l’impossibilité de repérer les baraques où restaient encore les enfants, les familles auxquelles il aurait fallu parler de nouveau. En plus, notre tâche était rendue difficile par le fait que constamment on venait nous interrompre (…) Voyant le temps qui passait, nous sommes devenus plus autoritaires et nous avons déclaré aux parents : » Nous venons chercher vos enfants. Quelques familles se sont exécutées. Mais cette autorité n’a pas toujours suffi, et sans aller jusqu’à nous battre, il est des cas où il a fallu retirer leurs enfants aux parents malgré leur résistance physique. Lorsqu’une mère se cramponnait à son enfant, il fallait le lui arracher d’une manière aussi civilisée que possible…[5] «
La même note de l’OSE non signée relate aussi ces « scènes épouvantables à voir : les femmes criaient, les enfants pleuraient, une femme disait : pourquoi nous n’avons rien fait, nous ne sommes pas des assassins, pourquoi on nous enlève nos enfants. Les parents, en général, ne comprenaient pas pourquoi on les séparait de leurs enfants[6]. »
Des cris, la douleur.
On est loin du témoignage de Jean-Marie Soutou qui se souvient d’une ambiance sans « scènes déchirantes, pas de cri, le silence, (…)[7] »
Les parents Koppel, Szulman et Monznik ont-ils quitté dignement leurs enfants ou a-t-il fallu leur arracher des bras ?
À suivre…
[1] Soutou Jean-Marie. Un diplomate engagé. Mémoires 1939-1979. Paris : Éditions de Fallois, 2011, 555 p., p. 28. Voir également Klarsfeld Serge. Le calendrier des persécutions des Juifs de France, juillet 1940-août 1942. Paris : Fayard, 2001, 999 p, p. p. 736.
[2] Gobitz Gérard. Les déportations de réfugiés de zone libre en 1942. Paris : Éditions L’Harmattan, 1996, 286 p., p. 117. « Note concernant Venissieux et le fort du Paillet » Centre de documentation Juive Contemporaine- CCWIII-116.
[3] Portheret Valérie. Vous n’aurez pas les enfants. XO éditions, 2020, 231 p., p. 137.
[4] Gobitz Gérard. Les déportations…, op.cit., p. 119. Courrier du préfet régional à Monsieur le Conseiller d’État -Secrétaire général à la Police (Cabinet).
[5] https://lamaisondesevres.org/cel/cel2.html D’après Anny Latour, La Résistance juive en France, Chapitre 4, « Les Réseaux de la Résistance juive, Les réseaux souterrains de sauvetage d’enfants », p. 59.
[6] Gobitz Gérard. Les déportations…, op.cit., p. 118.
[7] Soutou Jean-Marie. Un diplomate engagé…, op.cit., p. 28.