Le centre de Vénissieux

Selon Valérie Portheret, l’abbé Glasberg « soupçonneux des véritables mesures qui risque d’être prises contre les enfants juifs et les réfugiés étrangers » se serait rendu à Vichy pour voir Laval. Il aurait consulté une note -via une secrétaire- lui apprenant que les enfants étaient déportables. Il rentre alors à Lyon et décide « avec d’autres collègues résistants », d’organiser une opération de grande envergure pour changer le destin des enfants internés avec leurs parents au centre de triage de Vénissieux[1]. » Dans une version plus récente de son travail (2020), c’est Lesage qui rend visite à l’abbé le 5 août pour l’informer de l’imminence de la rafle.

27 août 1942, centre de Vénissieux

Rendons à César ce qui est à César : ce n’est pas l’abbé seul qui a « décidé » de ce sauvetage. Il a été appelé, comme d’autres, par Gilbert Lesage au centre de Vénissieux. Vichy avait autorisé le Service social des Étrangers (qui, rappelons-le, était un de ses propres services) à être présent au moment du criblage ; le SSE avait à son tour fait appel à l’avance aux œuvres privées, en premier lieu à l’Amitié chrétienne, à une date où les exemptions étaient encore au nombre de onze. « La Police se sentait d’ailleurs débordée par la complexité de cette tâche. La commission de criblage s’est de ce fait plus ou moins retrouvée dirigée par l’abbé Glasberg et Jean-Marie Soutou (…) Sont présents au centre du 27 au 29 août : Gilbert Lesage pour le SSE ; l’abbé Glasberg et Jean-Marie Soutou (peut-être accompagné de sa femme Maribel) pour l’Amitié chrétienne ; le docteur Joseph Weill, l’avocat lyonnais Charles Lederman, son beau-frère Georges Garel et deux assistantes sociales (Elisabeth Hirsch, dont la présence n’est pas certaine, et Hélène Lévy, infirmière) pour l’OSE ; le chef éclaireur Claude Gutmann («Griffon») pour les EIF[2] ; une assistante sociale du SSAE (Mlle Sylaback); Madeleine Barot pour la Cimade[3].

Sont donc réunis à Vénissieux pour la même cause, des Catholiques, des Juifs et des Protestants.

En trois jours et deux nuits, ils vont tenter de plaider la cause des Juifs étrangers pouvant être exemptés[4].

Les collaborateurs de l’Amitié chrétienne, explique le père Braun, « tenaient tout particulièrement » à aider « les anciens combattants de la Légion étrangère ou des armées ex-alliées et les parents d’enfants de moins de cinq ans[5] ». Lesage, le 27 août, annonce qu’ils auraient déjà réussi à faire libérer 214 personnes[6]. Or, relève l’historien Pettinotti, lors des commissions de criblage « les délégués du SSE qui travaillent avec la police et les services préfectoraux ne sont là que pour faire acte de présence et ne peuvent que se plier aux décisions[7]. »

Les libérations sont-elles à ce point liées à l’intervention du SSE et des œuvres présentes ?

Le docteur Adam -présent également sur les lieux- sera plus circonspect quant aux résultats obtenus : pour les adultes, « les résultats pratiques furent assez limités en raison de la très grande difficulté d’agir[8]

Déposition du docteur Adam, 30 juin 1952.

Gérard Gobitz qui a étudié « les déportations de réfugiés de zone libre en 1942 » arrive à la même conclusion : « L’utilisation des exemptions s’est révélée beaucoup moins satisfaisante[9]. » 

À suivre…


[1] Perthuis-Portheret Valérie. Août 1942. Lyon contre Vichy. Le sauvetage de tous les enfants juifs du camp de Vénissieux. Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 2012, 160 p., p. 24.

[2] Sur l’action des mouvements de jeunesse juifs, voir le témoignage de Lucien Lazare : https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn49586

[3] Fivaz Silbermann Ruth. La fuite en Suisse : migrations, stratégies, fuite, accueil, refoulement et destin des réfugiés juifs venus de France durant la Seconde Guerre mondiale. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. L. 884 983 p., 627. L’auteure signale que la liste n’est pas exhaustive et comporte peut-être des erreurs.

[4] Pour la région préfectorale de Lyon, 1016 arrestations avaient été opérées et 544 individus partiront en déportation. Si 108 enfants ont été sauvés, chiffre avancé par Valérie Portheret, il y eut donc 364 adultes exemptés. parmi ces adultes, il faut enlever : Benno Kern, 15 ans. Marion Grodzinski, 17 ans. Heinrich Flescher, Siegbert Judelovitz, Walter Oberlander et Arnold Sundelowitz : 18 ans. Nous arrivons donc à un total de 356 adultes.

[5] Perthuis-Portheret Valérie. Août 1942…, op.cit., p.48.

[6] Portheret Valérie. Vous n’aurez pas les enfants. XO éditions, 2020, 231 p., p. 110.

[7] Pettinotti Olivier. Un Juste à Vichy. Gilbert Lesage. Éditions Ampelos, 2021, 125 p., p.69.

[8] AD Rhône, 31 J B 113. Fonds de la Commission départementale d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale – Marcel Ruby. https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=62657806 CC BY-SA 4.0

[9]Gobitz Gérard. Les déportations de réfugiés de zone libre en 1942. Paris : Éditions L’Harmattan, 1996, 286 p., p. 111.