Charnier de Bron : les Juifs de Mâcon

Selon le Maitron, « le 14 août 1944, eurent lieu des bombardements sur la base aérienne de Bron (Rhône). Devant l’ampleur des dégâts, les Allemands décidèrent de faire travailler sur le camp d’aviation des détenus juifs de la prison de Montluc.

Le 17 août, à 9 heures du matin, 50 prisonniers furent extraits « sans bagage » de la « baraque aux Juifs ». Le gardien Wittmayer fit l’appel et, à la dernière minute, les Allemands remplacèrent deux catholiques par des Juifs. Ils furent embarqués sur trois camions gardés par des soldats allemands armés de mitraillettes, puis amenés sur le champ d’aviation de Bron. A Bron, les prisonniers furent répartis par groupes de trois et contraints de rechercher, d’extraire et de désamorcer des bombes non éclatées. Vers midi, ils furent dirigés près d’un hangar pour déjeuner. L’un des détenus, Jacques Silbermann, profita de cette occasion pour s’évader. Après des menaces de représailles et de vaines recherches, les soldats allemands conduisirent les 49 détenus sur le chantier pour reprendre le travail. A 18h30, alors que les prisonniers remontaient sur un camion pour regagner Montluc, un major allemand donna l’ordre de les amener sur un autre chantier. Les 49 détenus furent conduits près de trois trous d’obus au-dessus desquels ils furent exécutés par balles. Leurs corps furent ensuite recouverts de terre et de gravats.

Le matin du 18 août, 23 détenus juifs de Montluc, dont au moins 20 de la « baraque aux Juifs », furent extraits « sans bagage » de la prison et conduits dans des camions au camp d’aviation de Bron. Surveillés par des soldats allemands, ils durent reboucher les trous d’obus et déterrer et désamorcer des bombes non éclatées toute la journée. A midi, « on leur donna une portion de soupe claire ». A 18 heures, l’adjudant-chef Brau demanda à 20 soldats de se porter volontaires pour accompagner les détenus. A 18h30, ils chargèrent « les prisonniers sur un camion en les battant à coups de cravaches et de crosses de fusils ». Les prisonniers furent conduits près d’un grand trou de bombe. On les fit mettre en cercle autour de la fosse qu’ils commencèrent à reboucher. Les soldats portaient des bouts de tuyau en fer entourés de caoutchouc. Les détenus furent vraisemblablement battus (assommés peut-être ?) et ils reçurent chacun une balle dans la tête ou dans le corps. Le lendemain, l’adjudant-chef Brau fit recouvrir de terre et de blocs de maçonnerie la fosse dans laquelle gisaient pêle-mêle les corps des victimes.

Le 19 août, le chef de la « baraque aux Juifs », Wladimir Korvin-Piotrowsky, dû remettre « en tas » les bagages des 70 prisonniers juifs de la baraque aux autorités allemandes.

En septembre 1944, cinq charniers furent découverts sur le terrain d’aviation de Bron[1]. » Au total, 109 prisonniers au fort de Montluc (Lyon), dont 72 juifs, furent massacrés par les Allemands sur le terrain d’aviation de Lyon-Bron. Les corps de sept Juifs de Mâcon ou de Saint-Laurent seront retrouvés dans les charniers. Il s’agit de :

Isidor Lion, Maier Kaczka, Maljeck Postbrif, Raymond Buchsbaum, Raymond Krieger, Frédéric Levy, Jean Levy.

Ce qu’oublie de dire Marcel Vitte, c’est que leurs épouses et leurs enfants furent également arrêtés le 14 août et envoyés à la prison Montluc. Ces derniers ne doivent leur survie qu’à la libération de la prison, le 24 août 1944.

Charnier C : 25 victimes

Isidor Lion est né à Munich le 17 janvier 1882. Il est marié à Berthe (1891-1944) et le couple a une fille, Ruth née à Munich (1922-1972). Les Lion vivent boulevard des 9 clefs puis au 140 de la rue Rambuteau à Mâcon depuis 1941 avec Julie (1884, Munich sœur d’Isidor) et Rebecca (née Rosenbaum, sa mère). Ils ont la nationalité française et c’est ainsi qu’ils échappent à la rafle du 26 août 1942.

« Le rapport du médecin légiste indique qu’il fut tué d’une balle dans le dos. Son corps fut décrit comme suit : 1m70, cheveux grisonnants. On trouva sur lui des chaussettes et des mouchoirs portant les initiales « J.L. » et une alliance en or sur laquelle était inscrit « B.F. 26-12-20, CC. ». Il fut d’abord enregistré sous le numéro 56 puis identifié le 9 octobre 1944 par sa fille Ruth Lion, habitant 140 rue Rambuteau à Mâcon. Son acte de décès fut dressé le 9 octobre sur la déclaration de son beau-frère, Robert Landauer, domicilié à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône). Son corps fut inhumé au cimetière de Lyon – La Mouche (VIIe arr.)[2]. »

Julie, Berthe et sa fille Ruth seront libérées de Montluc le 24 août 1944. Seule Rebecca (peut-être en raison de son âge) n’avait pas été emmenée à Lyon. Berthe décéda le 31 décembre 1944 à Mâcon des suites de son internement. Ruth émigre aux États-Unis en 1947 où elle épouse Frédéric Lindermann. Elle décède en 1972 à New-York.

Charnier D : 22 victimes

Maier Kaczka est né Jedrzejow (Pologne) le 2 mai 1898. Il est marié à Szajndla Bojgen. Le couple a eu deux filles : Chaja (18 octobre 1922 Kielce) et Tauba (28 avril 1924 Kielce).

En 1930, les Kaczka s’exilèrent en France pour fuir l’antisémitisme. Ils demeurèrent à Mulhouse (Haut-Rhin) du 16 juillet 1930 au 7 septembre 1939. Leur dernière adresse connue fut le 8 rue du Runtz. A Mulhouse, Maïer Kaczka exerça la profession de commerçant fourreur. Après la déclaration de la guerre, Maïer Kaczka et sa famille se réfugièrent à Bitshwiller-lès-Thann (Haut-Rhin). Maïer Kaczka y transporta ses marchandises et y loua deux pièces. En tant que juifs, les Kaczka furent expulsés d’Alsace le 17 juillet 1940. Ils partirent d’abord à Toulouse (Haute-Garonne) puis le 14 juin 1941, ils arrivèrent à Mâcon (Saône-et-Loire) venant de Beaubery (Saône-et-Loire). A Mâcon, ils demeurèrent au 119 rue Rambuteau. Étant malade, Maïer Kaczka ne put travailler. En 1943, les Kaczka furent recensés comme étrangers. En Alsace, leurs biens furent pillés pendant leur absence[3]. » Ils ne seront pas inquiétés lors de la rafle du 26 août vu leur date d’entrée en France (juillet 1930).

« Le corps de Maïer Kaczka fut décrit comme suit : 1m75, cheveux châtains légèrement grisonnants, « d’une assez forte corpulence ». Il fut d’abord enregistré sous le numéro 68 puis identifié le 5 octobre 1944 par sa fille, Sabine Kaczka, demeurant au centre d’accueil de Caluire-et-Cuire (Rhône). Il fut inhumé au cimetière de Lyon – La Mouche (VIIe arr.). Le statut d’interné politique lui fut accordé en 1953. 

Szajndla, Thérèse et Sabine Kaczka furent libérées de la prison de Montluc le 24 août 1944. En 1944, elles logèrent 10 montée des Carmes à Lyon. Elles demeurèrent ensuite 15 rue Moncey à Lyon (IIIe arr.). » Szajndla est décédée le 2 novembre 1984, Chaja (épouse Roth) le 2 décembre 1987 et Tauba épouse Solarz le 7 juillet 2003.

Majleck Postbrif est né le 10 juillet 1900 à Varsovie. Il est marié à Sprynca Wasserstrom et avait une fille, Charlotte née le 7 juillet 1928 à Paris. Il a vécu à Varsovie, Berlin puis -depuis 1923- à Bruxelles.  Il est entré en France en février 1926.

À Paris, il réside au 10 rue Croix Faubin et exerce la profession de fourreur. En 1940, il est mobilisé dans le 212e régiment d’infanterie.  Il passe la ligne de démarcation à Montrichard le 4 janvier 1942 et se fait arrêter à la gare de Mâcon : il est muni de ressources (9 000 francs) et a une lettre d’embauche pour travailler chez le fourreur Auguste Perroud (route de Bioux), ce qui lui évite de se retrouver au GTE de Pontanevaux. Le préfet l’assigne à résidence à Marcigny puis l’autorise (vu ses titres de guerre) à habiter Mâcon. Il loue un logement au 26 rue Philibert Laguiche où est recensée également sa fille Charlotte. En août 1942 il échappe à la rafle du 26 août puisqu’il est en France depuis 1926 et il est déclaré inapte pour le STO en 1943.

Le corps de Majleck Postbrif fut décrit comme suit : 1m70, cheveux châtains avec calvitie sommitale. Sur son cadavre fut retrouvé un mouchoir aux initiales « 32.C ». Majleck Postbrif fut d’abord enregistré sous le numéro 71 puis reconnu le 5 octobre 1944 par sa veuve qui reçut son alliance en or. Son acte de décès fut dressé à Bron le 6 octobre 1944. Il fut inhumé au cimetière de Lyon – La Mouche (VIIe arr.)[4].

En 1947, Sprynca Postbrif demeurait à Paris, 10 rue Croix Faubin (XIe arr.). Sa fille Charlotte émigre aux Etats-Unis et arrive à New-York en 1950. Elle se marie avec Benjamin Donsky et elle décède le 19 janvier 2005.

Charnier E : 26 victimes

Les Krieger, Frédéric, Cécile et leur fille Edith sont des Juifs autrichiens arrivés en France en 1934. Ils s’installent à Mâcon en 1940 ou 1941. La famille échappe à la rafle du 26 août vu leur date d’entrée en France. Pour échapper au STO en 1943, Frédéric se cache. Retrouvé, il passe devant une commission médicale qui l’exempte. Il est vrai qu’il bénéficie d’un appui important, celui de la Chambre de commerce puisqu’il a une entreprise (il est fabricant de jouets au 20 rue Rochette) et qu’il emploie un nombreux personnel. Économiquement, Krieger n’est donc pas un Juif indésirable à Mâcon. La famille habite au 1 de la rue du Vieux Palais.

Le corps de Frédéric Krieger était dans le charnier E avec vingt-cinq autres victimes. « D’après le rapport du médecin légiste, il avait été tué d’une balle dans la tête. Sa dépouille présentait par ailleurs une « plaie transfixiante de l’avant-bras gauche […] avec fracture des deux os ». Grâce au témoignage du seul rescapé de l’exécution du 17 août, Jacques Silbermann, nous pouvons déduire que Frédéric Krieger faisait vraisemblablement partie du groupe des 49 exécutés du 17 août 1944. Son corps fut décrit comme suit : 1m70, cheveux grisonnants. Il fut d’abord enregistré sous le numéro 87 puis identifié le 9 octobre 1944. Il fut inhumé au cimetière de Lyon – La Mouche (VIIe arr.). Il obtint le statut d’interné politique en 1967. »

Son épouse Cécile (née Moscovitz) et leur fille Edith sont libérées de Montluc le 24 août.

Raymond Buschsbaum est né à Mulhouse le 10 août 1927. Il vient donc de fêter ses dix-sept ans à Saint-Laurent où il vit avec son oncle, sa tante et son cousin au 14 rue de la Levée. Son cousin Jean est plus jeune d’un an, né le 19 mai 1928 à Mulhouse. Avant la guerre la famille Lévy habitait 35 rue de la Justice à Mulhouse. Alfred est représentant de commerce et son fils étudiant.

Les deux garçons, parce que nés Juifs, sont emmenés à la prison Montluc avec Alfred Levy, père de Jean. L’épouse d’Alfred, Lucie, est détenue à la prison Montluc et libérée le 24 août.

« D’après le rapport du médecin légiste, Raymond Buchsbaum avait été tué d’une balle dans la tête.

Le corps de Raymond Buchsbaum fut décrit comme suit : 1m70, cheveux châtain clair. Il fut d’abord enregistré sous le numéro 103 puis identifié le 9 octobre 1944. Son corps fut inhumé à Bron puis exhumé le 24 mai 1945 pour être enterré au cimetière israélite de Lyon – La Mouche (VIIe arr.). Il obtint la mention Mort pour la France en 1945 et le titre d’interné politique en 1954[5]. »

« D’après le rapport du médecin légiste, Alfred Lévy avait été tué d’une balle dans la tête.

Le corps d’Alfred Lévy fut décrit comme suit : 1m75, cheveux blonds et grisonnants. On trouva sur son corps une alliance en or avec l’inscription « L.E. A.L. 4 janvier 1925 ». Il fut d’abord enregistré sous le numéro 94 puis identifié le 9 octobre 1944. Son acte de décès fut dressé à Bron sur la déclaration de son frère Lucien Lévy. Alfred Lévy fut inhumé au cimetière de Bron. La mention Mort pour la France fut transcrite en marge de son acte de décès en 1946. Il obtint le titre d’interné politique en 1953[6]. »

« D’après le rapport du médecin légiste, Jean Lévy avait été tué d’une balle dans le cou. Le corps de Jean Lévy fut décrit comme suit : 1m65, blond. Il fut d’abord enregistré sous le numéro 99 puis identifié le 9 octobre 1944. Il fut inhumé à Bron[7]. »

Comme bien d’autres Juifs ayant vécu à Mâcon pendant l’occupation et assassinés, les noms de Kaczka et Krieger ont été oubliés sur le monument aux morts de Mâcon. A contrario, la ville de Saint-Laurent-sur-Saône a honoré la mémoire des Levy et de Raymond Buchsbaum.

À suivre…


[1] https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article190534

[2] https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article190416

[3] https://maitron.fr/spip.php?article184422&id_mot=21

[4] https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article183659

[5] https://maitron.fr/spip.php?article185712 et https://www.deportesdelyon.fr/les-archives-par-famille-a-m/enfants-levy-e7669

[6] https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article185713

[7] https://fusilles-40-44.maitron.fr/?article185736