Cluny, 11 août 1944. Rappelons-nous le récit d’Henri Mondange.
« Pour les Allemands, l’heure du repli aux moindres frais avant la catastrophe a sonné. (…) Vers 20 h, le Bois-Clair est entre les mains des maquisards grâce aux renforts envoyés par le P.C. départemental du commandant de La Ferté. (…) Dans la nuit du 11 au 12, on verra des soldats allemands débandés se traînant sur la route de Mâcon, rameutés par fusées éclairantes. »
Certes la ville de Cluny a subi deux raids aériens entraînant des dégâts matériels importants et causant la mort de treize civils[1], 18 morts du côté des maquisards et 49 blessés et chez les Allemands de 250 à 300 hommes hors de combat[2]. Néanmoins, poursuit H. Mondange, « Les maquisards fourbus éprouvaient en fin de journée un sentiment de plénitude. Ces hommes sortis de l’ombre, ces volontaires armés, avaient mis en déroute l’oppresseur. Les modestes combattants de cette journée se sont hissés au niveau de leur idéal le plus grand, le plus beau, celui de la liberté d’un peuple. » Puis, « ce fut au tour, juste revanche, du Régiment de Cluny, de faire des expéditions punitives sur les convois allemands sur la N 6, qui retraitaient devant la I ère Armée Française du Général de Lattre de Tassigny, futur Maréchal de France, et des Américains débarqués le 15 août 1944, en Provence[3]. »
Les Allemands vaincus et en déroute. Nous en étions restés là jusqu’à la découverte d’un document aux archives départementales mentionnant une rafle le 13 août 1944 à Mâcon et à Saint-Laurent-sur-Saône. Quèsaco ? Notre curiosité est aiguisée par cet épisode méconnu et quasi tu[4]. Et nous allons le voir, pas si en déroute que cela les Allemands puisqu’ils opèrent une rafle à Mâcon en représailles des pertes subies par leurs troupes dans la région de Cluny.
Il faut se replonger dans les chroniques de Thibon[5] pour avoir une quelconque idée de cet « après » 11 août 1944.
Ce dimanche 13 août, il fait chaud en Bourgogne du Sud. Et, dès sept heures, une voiture de pompiers parcourt les rues de Mâcon puis celles de Saint-Laurent-sur-Saône. Avec un haut-parleur un milicien n’a qu’un mot d’ordre à la bouche : Rassemblement obligatoire de tous les hommes de 16 à 60 ans, avec papiers d’identité à différents endroits (quai Lamartine et square de la Paix) selon les quartiers. Pas d’échappatoire : des barrages ont été installés sur les routes, à la gare et sur les ponts. Les domiciles seront fouillés et les resquilleurs arrêtés sur le champ. La Gestapo agit avec ses consorts : la milice et les francs-gardes. À la tête de ces derniers, Roger Lorrain. « On peut écrit M. Vitte] tout craindre de ces excités qui vivent leurs derniers jours à Mâcon, et qui le savent. »
Sur le quai Lamartine, 800 hommes sont contrôlés. À 13h30, le contrôle est terminé. Square de la Paix, les hommes sont gardés jusqu’en milieu d’après-midi et leurs papiers rigoureusement vérifiés. C’est le franc-garde René Tissier de Louhans qui supervise l’opération. Marcel Vitte se rend compte très vite du manège : les papiers d’identité sont biffés d’un numéro allant de 1 à 4. Les numéros 4 sont peu nombreux, soit une trentaine quand même. Ils correspondent aux hommes qui seront arrêtés et emmenés à la prison Montluc. En attendant, ils sont rassemblés rue des Écoles dans un centre de tri.
À Lyon, il y a ceux qui seront libérés et ceux qui y seront massacrés. Qui sont-ils ? Selon M. Vitte : « Pour autant qu’on le sache, ces victimes sont surtout des résidents étrangers ou reconnus comme juifs ».
Bah me direz-vous. Doit-on s’en émouvoir ?
Car c’est ainsi que Marcel Vitte conclue son récit : « Après 15 heures, chacun rentra chez soi, affamé par ces émotions et l’après-midi fut, dans les rues, le calme habituel des dimanches ordinaires, malgré l’occupation : la baignade fit le plein des nageurs (…). » En quelques jours, des centaines de jeunes hommes « cette fois inquiets » rejoignent le maquis.
Marcel Vitte parle d’une trentaine d’hommes emmenés à Lyon. En l’état actuel de nos recherches, nous n’en avons identifié que quelques-uns, grâce notamment aux notices du Maitron. Voici leur histoire.
À suivre…
[1] Voir l’article « Les treize victimes civiles du 11 Août 1944 à Cluny ».
[2] Idem.
[3] La bataille de Cluny le 11 août 1944 par Henri Mondange. http://mvr.asso.fr/front_office/fiche.php?idFiche=1644&TypeFiche=4
[4] A. Jeannet dans son ouvrage La Seconde guerre mondiale en Saône-et-Loire y fait rapidement allusion : « D’autres, arrêtés en août, furent parmi ces juifs arrachés à leurs cellules et assassinés à Bron. » Voir p. 86.
[5] Vitte Marcel. Chroniques de Thibon. Mâcon : Imprimerie Buguet-Comptour, 2000, 103 p., pp. 83-85.