Le maquis de Crue, terre d’accueil
Comme dans tout dossier de Gestapiste, il va falloir décrypter les versions des uns et des autres pour répondre à une question essentielle : comment Raque et Langlade arrivent au maquis de Cluny « en Crue » en août 1944 ?

Commençons donc par entendre les versions des deux protagonistes et de leurs « soutiens ».
Tout commence vers le 12 juin 1944, date à laquelle Raque et Langlade rencontrent la résistance villeurbannaise en la personne de Marcel Desplaces dit « Jim » : « Je me suis attaché à lui fournir les fiches de recherche des réfractaires. Jim m’avait conseillé de rester pour fournir des renseignements[1]. »
En 1945, leur version change. Dans la résistance, c’est surtout Juan Sanchez « lieutenant Lapierre » qu’ils connaissent bien. Beau-frère de Langlade, celui-ci appartenait à la milice et a également viré sa cuti au dernier moment. Une Villeurbannaise courageuse, Antoinette Petavino, ira directement sur les barricades dire à ce résistant de la dernière heure ses quatre vérités. Connaissant bien le passé de Sanchez et celui de Langlade, elle trouvera « honteux » de les savoir passés du côté de la résistance :
« Je lui ai répondu je suis Française avant tout et de votre côté toute votre famille fait partie de la milice. »
Comme elle le dira au juge Merlin, Sanchez pillait encore quelques temps auparavant une épicerie du quartier et faisait le mariole avec sa mitraillette, menaçant les passants et hurlant qu’il allait épurer tout le quartier[2].
Dès le 2 juin, disent au juge Langlade et Raque en 1945, ils se rendent compte de leur « erreur » en travaillant au GA. Ils souhaitent rejoindre la résistance et ils s’en ouvrent à Sanchez.
La reconversion
Sanchez aurait alors refusé qu’ils quittent le groupe Krekler car ils peuvent être encore « utiles » à la résistance.
Après le débarquement, il est possible, en effet, que Raque et Langlade aient senti le vent tourner : ils peuvent aider certaines personnes qui leur serviront de caution si ça tourne mal pour eux, comme ils peuvent sauver un voisin qu’ils connaissent peut-être[3].
C’est ainsi qu’ils citent par exemple le boucher Raoul Vignal qu’ils n’ont pas arrêté début juillet 1944 au cours d’une rafle place du Pont et qui les a remerciés en leur payant l’apéritif et en leur offrant un bon morceau de viande. Raque, l’eau à la bouche, dit au boucher pour finir : « Je vous rends aujourd’hui un grand service, mais si un jour j’ai besoin de vous, je veux croire que vous ferez comme moi, que vous n’hésiterez pas à me rendre service[4]. »
Bien entendu, tous les Gestapistes ont également sous le coude un Juif sauvé ; dans le cas de Raque et Langlade, ce sera Lieben (ou Lieber) qui lui aussi a échangé sa liberté contre du tissu et du beurre. Décidément, ils aiment la bonne chère. Ils auraient même pris la défense d’un Juif arrêté par le chef Geronimi le 17 juillet. Celui-ci, complètement ivre, menaçait l’homme avec un couteau. Ils l’auraient désarmé. Quand on sait combien Geronimi pouvait être sanguinaire, on a du mal à imaginer deux gamins de dix-sept ans tenir tête à un fou furieux tel que Geronimi.
Ils ont donc sûrement permis à certaines personnes de s’en sortir et qui leur servent de caution. Il n’en reste pas moins qu’ils continuent, jusqu’à leur départ au maquis, à surveiller le siège du P.P.F. lors de la venue de Doriot en juillet à Lyon, à traquer les réfractaires, à participer à des pillages, notamment chez le curé Boursier. Était-ce réellement pour donner le change au docteur Krekler ou par goût du lucre ?
Leurs bonnes actions pour la résistance
Tout en continuant à servir le GA de Krekler, Langlade et Raque auraient depuis début juin :
- Fourni des fiches de réfractaires à la secrétaire du groupe Jim et Tito permettant de prévenir des arrestations.
- Prévenu fin juillet 44 le maquis de Morestel et de Courzieu qui venaient d’être dénoncés.
- Remis des munitions au lieutenant Lapierre fin juillet (des balles de revolver).
- Remis le 5 août, au chef Jim 4 cartes en blanc du groupe d’action et divers papiers allemands dérobés au bureau.
- Remis à Jim [leur] carte personnelle qui a dû servir à la résistance ainsi que [leur] revolver.
Des résistants témoignent en faveur des deux GA
Georgette Seigle, du groupe Jim et Tito, affirmera que Raque et Langlade fournissait bien les fiches rouges permettant de prévenir les réfractaires visés par une arrestation. Elle confirmera également que les cartes des deux GA auraient permis de libérer de l’hôpital de l’Antiquaille une quarantaine de prisonniers politiques[5]. Le 22 août, un commando dirigé par Jim et Tito (de Villeurbanne) organise en effet cette opération. Vingt-deux hommes, cinq femmes et un bébé seront libérés et non pas une « quarantaine de prisonniers », comme elle l’assure. Jim et Tito vont mourir deux jours plus tard lors d’une opération.
À quelques détails près, tout cela sera encore confirmé devant le juge Merlin par Joanny Bonnardel et par Aimé Desjardins[6]. Ce dernier appartenait aux M.U.R. Néanmoins on peut se demander si la carte de Raque a bien servi à des opérations menées par la résistance puisqu’elle n’a pas été trafiquée. C’est bien sa photo qui figure sur sa carte de GA. et pas celle d’un autre.
Alors, Raque et Langlade ont-ils bénéficié de témoignages de complaisance ?
En effet, Pierre Panel n’est pas du tout du même avis. Responsable de dix groupes francs (Ve bureau, AS) sur la ville de Lyon, il était -dira-t-il au juge- très au courant de tout ce qui pouvait se passer soit à Lyon soit dans les maquis environnants[7].
« Ceci dit j’affirme que ce n’est pas par ordre que Langlade et Raque sont restés au P.P.F. D’ailleurs ces deux P.P.F. n’ont jamais fourni de renseignements aux groupes de résistance que je contrôlais. »
Néanmoins, c’est bien Panel qui va accepter d’envoyer Raque et Langlade au maquis de Crue !
À suivre…
[1] AD Rhône 394W 178 : audition par l’inspecteur Pohl, 7 novembre 1944. Marcel Desplaces et Otello Marzioni appartiennent aux groupes francs du Ve bureau de l’Armée secrète. Ils décèdent tous les deux le 24 août 1944.
[2] AD Rhône 394W 178 : audition d’Antoinette Petavino devant le juge Merlin, 25 juin 1945.
[3] C’est sûrement le cas de Joseph Paolozzi, libéré soi-disant par leurs soins. Comme il vit à Villeurbanne, ils lui auraient même ramené sa bicyclette !
[4] AD Rhône 394W 178 : déposition de R. Vignal devant le juge Merlin, 11 octobre 1945.
[5] AD Rhône 394W 178 : déposition de Georgette Seigle auprès du commissaire Noel Sergent, 3 février 1945.
[6] AD Rhône 394W 178 : déposition de Bonnardel le 10 octobre 1945 et de Desjardins, le 6 juin 1945. B. Permezel le présente comme agent du mouvement Combat, œuvrant sous les ordres de Louis Grault pour les secteurs de Vénissieux, Saint-Fons et du quartier Monplaisir.
[7] AD Rhône 394W 178 : déposition de Pierre Panel (1909-1999) devant le juge Merlin, 2 octobre 1945. Voir Bruno Permezel. Résistants à Lyon : 1221 noms. Lyon : Selbstverl, 1992, 654 p., p. 360.