Rendez-vous théâtral avec l’Histoire

Ce lundi 25 juillet 2022 au Mémorial de la Résistance de Vassieux en Vercors, nous avons assisté à la représentation de la pièce, A rendre à M. Morgenstern en cas de demande, écrite, mise en scène et interprétée par Frédéric Moulin.
Au milieu d’un public attentif, Frédéric Moulin et Sabine Moindrot nous transportent dans un entre-deux théâtral bien singulier.
Un entre-deux histoires, la grande et la petite, celle de juifs autrichiens en exil qui voient basculer leur destin lors de leur passage à Lyon en 1942. Et celle, bien des années plus tard, de Sabine qui retrouve une boite ayant appartenu à son grand-père imprimeur, dont elle entreprend d’exhumer le contenu et sur laquelle figure cette inscription « A rendre à M. Morgenstern en cas de demande ».

Documents appartenant à la famille Morgenstern, restitués samedi 23 juillet 2022 en présence du petit-fils de Léopold.


Un entre-deux vies, dans lequel biographie et autobiographie se retrouvent étroitement liées, véritables entrelacs tissant progressivement la trame de fond de ce spectacle. Quand le motif est sur le point d’être enfin éclairé, les contours s’effacent pour faire place aux doutes répétés, aux absences de preuves, aux manques, aux pièces que l’on ne peut plus ajuster. La vérité semble s’éloigner au fur et à mesure que le réel érige ses règles au risque de faire trembler les photos sépia retrouvées à l’intérieur de la boite à rendre à M. Morgenstern. Récits de vie personnelle accompagnent le travail de reconstitution de vies étrangères au chercheur, à l’auteur. Etrangères vraiment ? A plusieurs reprises dans les dialogues, des ressemblances, rapprochements sont soulignés entre la Sabine qui cherche, ici Sabine Moindrot, remarquable, et les personnes recherchées.

L’objet premier, une boite dans laquelle sont conservés les documents des époux Morgenstern, n’est-il d’ailleurs pas lui-même le sujet de la pièce ? La mise en scène s’occupe bien de les fondre dès le départ, Sabine apparaît aux spectateurs comme enfermée dans une caisse dont elle ne sort que pour mieux nous révéler son contenu. Plus tard, elle refusera même de confier un document à un chercheur comme s’il en allait de sa propre vie ou bien qu’elle risquât d’être « confondue » à ce moment précis. Une généalogie intime se construit sous nos yeux à laquelle nous prenons part, nous devenons en quelque sorte les témoins d’une recherche en cours et à ce titre, les noms, visages sortis de la boite doublement familiale finissent par devenir familiers.
Un entre-deux scénique qui finit presque toujours par opposer celle qui cherche à ceux qui sont censés l’aider, orienter les recherches. De l’opposition primordiale, celle de la mère de Sabine, « tu ne vas pas remuer toute cette merde ! », aux non-dits du père « tu vois c’que j’veux dire », en passant par celles plus institutionnelles des historiens jusqu’au marchand de sensationnel, autant de rôles endossés à merveille par Frédéric Moulin, nous progressons dans l’enquête à l’instar de nos deux comédiens sur scène, trois pas en avant puis deux en arrière. Les personnages nous apparaissent d’ailleurs souvent éloignés physiquement, une distance spatiale qui raconte bien sûr la distance temporelle, celle qui sépare le temps de la représentation des événements qu’elle met en scène. Une distance nécessaire sans doute aussi aux pauvres humains que nous sommes quand il s’agit de se transporter dans le tragique de notre histoire, petite ou grande. Une distance qu’un seul geste toutefois est à même d’anéantir…


Alors merci à Frédéric Moulin, à Sabine Moindrot, au Théâtre, d’avoir tendu ce fil et fait de nous des passeurs d’histoire.

Nathalie Petit Gallet

Après quatre ans de recherches, Frédéric Moulin rencontre Robert, petit-fils de Léopold Morgenstern, et lui rend les documents de sa famille. Lyon, 23 juillet 2022.