Les exemptés de Mâcon

À la date du 1er août 1942, le préfet a communiqué ses statistiques : ont été recensés en zone libre, dans les nationalités « déportables », 178 Polonais, 81 Allemands, 21 Autrichiens, 19 Russes, 4 Tchèques, un Letton et 24 Apatrides (enfants compris). Henri Cado doit se frotter les mains et estime à 108 le nombre de Juifs étrangers à déporter de Saône-et-Loire vers la zone occupée[1].

Le préfet puise déjà, nous l’avons vu précédemment, dans le groupe de travailleurs étrangers de Pontanevaux. Huit hommes sont ainsi envoyés à Ruffieux puis déportés. Ensuite, il y a les Juifs arrêtés sur la ligne. Là, comme aucune libération n’est possible quels que soit l’âge, la nationalité, la date d’entrée en France, la liste des déportables peut s’allonger sans problème.

Les listes

En Saône-et-Loire, plusieurs listes sont soigneusement préparées par la préfecture. Des statistiques, par rapport au nombre de Juifs étrangers recensés dans chaque département, a permis d’établir des pronostics. On attend que soient arrêtés en Saône-et-Loire 108 Juifs étrangers. Le résultat ne sera pas celui qu’escomptait Vichy, ce qui fut également -et fort heureusement- le cas d’autres départements limitrophes[2].

  • Une première liste comporte les noms de « Juifs étrangers entrés en France après le 1er janvier 1933 (circulaire n°2765 P. Pol.9 et télégramme chiffré du 18 août de M. le Chef du Gouvernement) », soit 46 noms.
  • Une annexe à cette première liste : « Étrangers Israélites ne jouissant plus du bénéfice des dérogations prévues par les instructions ministérielles du 5 août », soit 6 noms et des « Étrangers israélites recensés après la constitution de la première liste », soit 10 noms.
  • Et enfin, une liste des « Étrangers israélites ramassés en Saône-et-Loire et dirigés sur le centre de Vénissieux le 26 août 1942 », soit 45 noms.

Trouver 108 Juifs étrangers, pas si facile que cela

Alors que la préfecture avait établi une liste de 392 Juifs étrangers en août 1942, pourquoi gendarmes et policiers français n’arrivent-ils pas à en trouver une centaine ? Il y a deux raisons à cela.

Premièrement, en zone libre restent essentiellement des Juifs étrangers entrés en France avant 1936. C’est ainsi qu’à Charolles, la gendarmerie nationale fait parvenir un état des Juifs étrangers assignés à résidence où sont listés trois Juifs polonais tous entrés en France avant 1932. À Cluny sont recensés cinq Roumains, dix Polonais (entrés en France entre 1913 et 1929), deux Russes entrés en France en 1898 et 1922, deux Turcs entrés en France en 1932.

Leurs coreligionnaires -arrivés plus tardivement en France- ne restent pas en Saône-et-Loire. Après avoir passé la ligne, ils se déplacent rapidement plus au Sud ou vers la Suisse ; c’est ainsi qu’Abraham Hejlikman et son épouse Gittel (entrés en France en 1933) se rendront, après avoir échappé à la rafle d’août, de Mâcon à Nice. Ils seront arrêtés dans cette ville avec leurs enfants le 27 mars 1944.

Les autres Juifs étrangers peuvent aussi ne pas appartenir aux nationalités déportables, comme les Belges, les Luxembourgeois et les Hollandais, nombreux en Saône-et-Loire.

Ils peuvent également échapper à la rafle s’ils ont plus de soixante ans. C’est ainsi que les Juifs allemands Laemle -domiciliés 37 quai du Breuil à Mâcon et originaires de Karlsruhe et qui ont réussi à sortir du camp de Gurs où ils avaient été internés en 1940, ne sont pas concernés car trop âgés. 

Deuxièmement, ils ont pu être prévenus, se cacher et échapper à la rafle. C’est le cas de Mosbach et de Londner dont nous reparlerons.

Alors que la préfecture avait recensé 392 Juifs étrangers, ils sont soixante à être incarcérés à la caserne Joubert, quarante-cinq à partir pour le centre de rassemblement de Vénissieux et vingt-neuf à être déportés[3].

Les exemptés de Mâcon

Qui sont les exemptés[4] ? Il est facile de répondre à cette question lorsque la liste le précise, ce qui n’est pas toujours le cas.  

À Mâcon, sont relâchés les Juifs étrangers entrés en France avant le 1er janvier 1936 puisqu’on ne devait pas les arrêter. C’est le cas des Hejlikman, en France depuis 1933, d’Albert Strauss (entré en 1930), d’Emmi Maselcha et de sa fille Lucienne (entrées en 1934). Il y a ensuite les conjoints des Juifs étrangers qui ont servi la France. Le mari de Ruda Brigoniker est prisonnier, celui de Szajndla Iglarz est au stalag 7A[5]. Notons néanmoins que ces deux dernières ainsi que les Hejlikman viennent de passer la ligne et qu’ils n’auraient dû bénéficier (si l’on suit la logique de l’Administration), d’aucune dérogation.

Dans le reste des cas, soit le couple Goldwasser, les Kaufmann (Max et Herta), de Saloméa Rynecki et de Ruda Horowitz, nous ne pouvons donner aucune explication. Les Goldwasser, couple polonais arrivant d’Esch-sur-Alzette, sont entrés en France le 23 juillet 1942 ; les Kaufmann, Juifs allemands sont entrés trois jours plus tôt. Ils arrivaient de Bruxelles. Ruda Horowitz est entrée le 12 août et elle est Polonaise, domiciliée à Anvers. Quant à Saloméa Rynecki, elle est entrée le 15 juillet. Elle est Russe et vient également d’Anvers. Ont-ils bénéficié de passe-droits ? Ont-ils fait appel à des relations ? C’est possible, nous le verrons avec la baronne Von Guppemberg.

Pareillement, cela reste un mystère, pourquoi avoir envoyé la famille Turner au camp de Gurs alors qu’ils figuraient sur la toute première liste ? La même chose se passe dans le département du Jura où vingt-quatre Juifs étrangers avaient passé la ligne depuis le 29 juillet. Douze d’entre eux furent envoyés à Gurs.

Mais ce transfert à Gurs a sûrement sauvé la vie de Chaja Turner.

À suivre…


[1] Pour l’Ain on estime à 480 le nombre de Juifs étrangers à arrêter et dans le Jura 34. Au total, 23 Juifs seront arrêtés dans l’Ain et 19 dans le Jura.

[2] Pour l’Ain, la prévision était de 480 (arrêtés : 23), pour le Jura prévision de 34 (arrêtés : 19), pour le Rhône prévision de 781 (arrêtés 124).

[3] Nous ne connaissons pas la date de déportation et le numéro de convoi de Moses Einhorn.

[4] Les Juifs devaient remplir des fiches. Les personnes arrêtées les ont complétées avec beaucoup de soin car elles pouvaient leur permettre une possible libération. Outre l’état civil, la composition de la famille, la date d’entrée en France, les Juifs ont apporté des précisions sur leur état de santé, sur leurs états de services militaires, ou s’ils le peuvent sur leurs titres civils, c’est-à-dire sur leur rôle dans l’économie française afin d’échapper aux arrestations.

[5] Exemption 3° : sont concernés les individus ayant servi dans armée française ou armée ex-alliée pendant 3 mois au moins ou ayant pris part à combats sans durée service. Leur conjoint ascendant et descendant bénéficient même mesure. Celle-ci ne s’applique pas aux ex-prestataires.