Et leurs poules s’en mêlèrent…

Le juge Rousselet face à ses accusatrices

Le juge avait déposé plainte contre les quatre Gestapistes mais il avait été mis en disponibilité pendant plus d’un an, preuve que l’affaire avait dû faire grand bruit[1]. Il est vrai que la Justice lyonnaise est déjà mise à mal : le procureur général Sennebier et le procureur général de la République Ducasse avaient été inquiétés à la Libération pour leurs sentiments germanophiles. Ils avaient bénéficié d’un non-lieu, prononcé par le juge d’instruction Marchat. Mais ce magistrat fait à son tour la Une des journaux avec l’affaire Joseph Joanovici, ex-chiffonnier présenté comme le « roi du trafic avec les Allemands, prince du double jeu[2] ». Marchat aurait bénéficié des largesses de « Monsieur Joseph », pour permettre notamment à sa toute jeune femme de publier un roman policier… Marchat fut finalement acquitté en mars 1949.

Avec l’affaire Rousselet, titre la presse de l’époque, on craint un nouveau scandale « Marchat »…

Néanmoins, le juge Rousselet décide de poursuivre ses accusatrices en diffamation en janvier 1948. Yvette Marze, toute « fille publique[3] » qu’elle est n’en démord pas et elle continue d’accuser le juge. Elle connaît bien, semble-t-il, certains dossiers. Et lorsqu’elle le soupçonne d’avoir « facilité notamment certaines mises en liberté provisoires et délivré des non-lieux, en particulier à Neyron-Champollion, propriétaire des établissements Rasurel poursuivi pour collaboration économique ». Peut-être n’a-t-elle pas tout-à-fait tort ?  

Le coffre-fort du Vatican

Neyron de Champollion était, selon le quotidien L’Intransigeant, une des plus grosses fortunes de soyeux lyonnais. Pendant la guerre, il avait fait son beurre avec l’occupant, fournissant chaussettes et caleçons à la Kriegsmarine et à l’Afrika Korps. Il avait confié sa fortune à un escroc, Pierre Giroy, conseiller financier de certaines communautés ecclésiastiques, de hautes personnalités et de parvenus. Les millions étaient partis, bien au chaud, en Suisse.

À la Libération, Neyron de Champollion avait fui Lyon pour se cacher à Annecy. Retrouvé par les F.F.I., il fut certes jugé mais reconnu « irresponsable » et « il eut la chance de pouvoir être placé dans un hôpital psychiatrique dont il sortit libre et serein en novembre 1945. » Condamné à deux mois de prison et à une amende importante[4], son affaire en resta là, grâce au juge Rousselet. Dans les années 1950, lorsqu’il cherchera à récupérer sa fortune mise à l’abri dans « le coffre suisse du Vatican », exit l’histoire des caleçons vendus à l’occupant et les bénéfices qui sont allés avec. Aux yeux de la Justice, Neyron de Champollion est devenu la victime de Giroy.

Le juge et la blonde Yvette dans un wagon-lit ?

Yvette Marze qui veut la peau du juge Rousselet est tenace. Et voilà qu’elle lance une deuxième bombe. Le magistrat aurait bénéficié de ses faveurs pendant la guerre. Elle le rencontrait de préférence dans des wagons-lits en évitant ainsi les hôtels, où ils auraient trop été repérés. Il semble que l’enquête n’ait pas permis de trouver trace de la présence du juge et de la blonde Yvette dans les wagons-lits. L’honneur du juge est sauf. Ouf.

Un collabo comme défenseur

Le procès du juge Rousselet contre les femmes Gestapistes eut lieu en juillet 1949 devant la Chambre correctionnelle. Curieusement, il prend comme avocat Johannes Ambre qui a défendu le collaborateur Neyron de Champollion. Il faudrait pouvoir consacrer un article entier à Ambre. Pro vichyste, il a participé à la réalisation de l’ouvrage La Condition publique et privée du Juif en France (statut des Juifs) : traité théorique et pratique, publié à Lyon en 1942, préfacé par Xavier Vallat, alors commissaire de Vichy aux questions juives. C’est pas rien. Puis, comme d’autres, Ambre se refait une virginité et rejoint la résistance, le réseau Alliance précisément. On lira dans Le Monde qu’il était  » avocat des truands  » pour les uns,  » truand des avocats pour les autres « …

Rousselet, « doyen des juges d’Instruction de Lyon », voit se terminer cette sombre affaire à son profit. Exit la poule Yvette. Mais si les accusations d’Yvette ont fait un flop, elles posent quand même question…

Ah, là là ! quel panier de crabes n’est-ce-pas ? 

À suivre…


[1] Rousselet avait alors été nommé juge au tribunal de Marseille.

[2] https://www.retronews.fr/justice/long-format/2021/04/13/joseph-joanovici-salaud-la-une

[3] C’est ainsi que la presse la présente alors que le passé glorieux de coureur automobile du juge est sans cesse, a contrario, rappelé.

[4] L’Intransigeant, 29 novembre 1951. Neyron de Champollion, escroqué de plusieurs dizaines de millions par Giroy qui conservait les fortunes qu’on lui confiait dans « le coffre du Vatican », devient alors une victime. L’amende est de 66 millions en 1946.