Et leurs poules s’en mêlèrent…
Nous n’avons pas beaucoup parlé jusque-là des compagnes des Gestapistes et des femmes elles-mêmes Gestapistes. Et pourtant, on pourrait leur consacrer un ouvrage entier.
Arrêtées, certaines seront jugées et libérées rapidement : c’est le cas de l’actrice Josseline Gaël, compagne de l’acteur Jules Berry et maîtresse de Tony Saunier. D’autres écoperont de peines plus ou moins lourdes.
Nous retrouvons ainsi à la prison Saint-Paul en 1945-1946 : Yvette Marze, maîtresse de Nicolai[1], Estelle Cochet[2], compagne de Francis André, une certaine Favereau[3], Angèle Perrin ou « La Luciani » qui a travaillé avec Doussot, Louise Paradis[4] et Angèle Damond[5]. Ces Gestapistes doivent toutes purger une peine de travaux forcés et les accusées sont en outre condamnées à la dégradation nationale et à la confiscation totale de leurs biens au profit de l’État.
En 1946, la plupart ont donc tout perdu, dont leurs amants qui ont été exécutés. C’est le cas d’Estelle Cochet ou d’Yvette Marze[6].
Mais les deux femmes ont plus d’un tour dans leur sac. Leur cible : le juge d’instruction, Marcel Rousselet.
Marcel Rousselet, de la Bugatti au tribunal
Marcel Rousselet (1893-1982) -dit « Ralph » dans le milieu automobile- est un ancien pilote qui a connu une certaine gloire en courant sur Bugatti dans les années 1930. En décembre 1942, il est nommé juge au tribunal de première instance de Lyon. Le fonctionnaire travaille donc pour Vichy.
Josseline Gaël : une vie de chien ?
Alors que les membres du P.P.F. ne sont pas encore exécutés, les ex des tueurs et leurs complices (Luciani et Favereau) lancent une bombe, accusant le juge Rousselet de concussion, affirmant qu’il a touché de l’argent pour arranger les affaires de Jacques Nicolai et de Josseline Gaël. Cette dernière était en effet ressortie presque libre comme l’air[7] alors qu’elle avait bénéficié des largesses de Tony Saunier[8] : chevaux de course, bijoux… Même si de larges présomptions pèsent sur la jeune actrice, elle n’est condamnée qu’à l’indignité nationale à vie, la confiscation de ses biens jusqu’à concurrence d’un million de francs et l’interdiction de séjour dans les Alpes-Maritimes, le Var et la région parisienne. A-t-elle bénéficié de la clémence des juges pour avoir permis à la Justice d’arrêter son amant[9] ? C’est possible.
Josseline Gaël remontera sur les planches en 1950, notamment pour la pièce « Ce monde n’est pas fait pour les anges ». Dix ans auparavant, elle avait tourné « Une vie de chien », un titre prémonitoire. Il est vrai qu’elle n’a pas eu de chance : en août 1944, trois F.F.I. déguisés en faux-policiers lui avaient subtilisé ses bijoux estimés à sept millions de francs. Ils lui avaient été bizarrement restitués.
Après le procès des P.P.F. à Lyon, Josseline Gaël est de nouveau devant les tribunaux en juillet 1947, mais cette fois-ci, c’est elle la victime et les F.F.I. sont les truands ! Un vrai polar.
Quatre ans plus tard, ses bijoux récupérés par l’État doivent être vendus à l’hôtel Drouot. Le commissaire-priseur évalue le tout à deux millions. Où sont donc passés les autres, puisqu’on parlait de sept millions en 1944 ?
Pas de chance. Des cambrioleurs s’emparent très facilement des joyaux juste avant la mise en vente. Pas perdus pour tout le monde.
En 1950, le couple Berry aura réussi à rouler les impôts. Ils sont « insolvables ». L’acteur a vendu ses chevaux et leur appartement de la rue Raspail n’est pas à leur nom mais à celui du père de Josseline. Ils doivent au percepteur la modique somme de 3. 300 000 francs et Berry avait déjà été amnistié fiscalement parlant en 1947. C’est peu dire. L’acteur dira qu’il n’a plus le sou et il décédera en 1951. La presse ne dit pas s’il a payé ses dettes…
À suivre…
[1] Etienne Jacques Auguste Nicolai, dit « Jacky » né le 15 septembre 1915 à Lyon 7.
[2] Estelle Constance Cochet ou « Stella » née le 4 janvier 1922 à Lyon 2. Décédée en 2004.
[3] Nous ne savons pas qui elle est.
[4] Paradis Joséphine Marie-Louise, épouse de Gabriel Gailloud, née le 21 mars 1902 à Gugnecourt. Décédée en 1970.
[5] Angèle Damond, épouse Commeinhes, née le 25 août 1884 à Maugis. Mère de Jean-Louis Commeinhes exécuté en octobre 1946.
[6] Marze Marie Louise Yvette Alice, épouse Fondani, née le 9 septembre 1920 à Cuers. Décédée en 1989. Condamnée à 10 ans de travaux forcés, 20 ans d’interdiction de séjour, dégradation nationale et confiscation de ses biens.
[7] Libérée, elle vit à Paris, se rend à Nice alors qu’elle est frappée d’interdiction de séjour dans ces départements.
[8] Antonin Saunier dit « Tony » né le 27 novembre 1912 à Lyon.
[9] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo. Editions Tiresias Michel Reynaud, 2020, 431 p., p. 154. Saunier est interpellé le 4 septembre 1944 grâce à J. Gaël qui lui donne rendez-vous à Paris.