Les retrouver ?
Nous voici presqu’arrivés au terme de cette longue série d’articles concernant les GA. Et vous vous posez tous la même question : que sont-ils devenus ?
À la Libération, la question des arrestations des réfractaires au S.T.O. est un sujet très sensible auquel il faut apporter réponse. « En France même, régulièrement, la BBC et la presse clandestine avaient promis la punition aux fonctionnaires compromis dans le STO. », écrira l’inspecteur Pohl.
Indéniablement, l’inspecteur mettra du cœur à l’ouvrage pour les retrouver et les faire juger. À l’issue des interrogatoires avec Krekler, il possède une liste de 110 GA. Il en aurait déjà retrouvés seize qui attendent leur jugement à la prison Saint-Paul ou Montluc. Ceux d’entre eux qui ont pu fuir à temps sont donc connus.
« Ils seront impitoyablement traqués jusqu’au jour où le dernier du groupe sera passé en jugement », promet l’inspecteur Pohl.
Il est exact que tout est fait pour les rechercher. Les enquêteurs passent des annonces dans les journaux pour obtenir des renseignements. Ils indiquent même aux officiers de l’état civil d’être vigilants au cas où un Gestapiste demanderait copie d’un acte de naissance. C’est le cas pour René Sambet, membre de l’équipe de Francis André. Arrêté en Italie, il réussit à s’enfuir et ne sera jamais retrouvé[1]. Comme d’autres, peut-être choisit-il de ne jamais revenir en France ou peut-être a-t-il réussi à changer d’identité.

En menant quelques recherches généalogiques, on trouve tous les cas de figure :
-des Gestapistes dont les enquêteurs n’ont jamais connu l’identité ; c’est le cas du mystérieux Marcel Robert, un des pires GA dont nous avons parlé, notamment dans l’affaire Lehmann.
-des Gestapistes dont on ne retrouve aucune trace de décès, par exemple Merigoux, Sambet, Jacob, Gillet. Ils ont donc disparu dans la nature.
-des Gestapistes décédés tranquillement à l’étranger : c’est le cas par exemple de Laneyrie[2] et de Fultot [3], décédés en Argentine, une destination tendance après la guerre, de Victor May décédé en Italie, de Chambard décédé en Andorre. Bien entendu, il serait intéressant de creuser la question du parcours de Fultot et de Laneyrie en Argentine. Sylvie Altar indique au sujet de ce dernier que l’arrêté de cessation de recherches est pris en date du 22 mars 1966[4]. Mais quand sont-ils partis en Argentine et pourquoi[5] ?
-des Gestapistes qui ne seront pas retrouvés. On clôt les enquêtes mais ils sont arrivés à passer entre les gouttes et décèdent parfois tranquillement à Lyon ou à quelques kilomètres.
Retour en France des GA
Tandis que d’autres restent à l’étranger mais peuvent se faire arrêter comme René Mazot en Italie[6], d’autres font le choix de revenir en France. Tout est organisé pour leur retour. Ils doivent passer par l’Italie. À Vérone, on leur fournit de faux-papiers et « les dernières directives sur le travail qu’ils avaient à accomplir. » Selon Garin-Michaud, le mystérieux Marcel Robert aidait déjà les collaborationnistes à Sigmarigen en leur fournissant de faux-papiers[7].
Puis ils passaient la frontière dans la portion comprise entre Saint-Martin et Vintimille.
Le 29 mai 1945, sont en attente à Innsbruck avant de revenir en France : Gueule tordue, Sambet et sa maîtresse dite « Zizou », Desgeorges, Bert, Gillet, Geronimi, Neufsel dit « Mickey », Guggisberg dit « Charly » et sa maîtresse Suzanne Cay, Commeinhes, May, Bailly Noel, Bailly Marc, Bailly Suzanne, Fultot, Joffre, Morillon, Zeller, Collin, Belunovitch, Tekfi, Santucci, Pradat, Dedieu, Le Vigneron, Rossignol, Bosselec, Morel, Lamblin, Fernand Cochet. Certains ne franchiront pas la frontière italienne : Francis André par exemple. Il sera arrêté par les Américains à la mi-juillet 1945 en Italie.
Garin-Michaud détaillera son retour. Replié avec les P.P.F. à Innsbruck, il s’enfuit avec Mathieu, son épouse et Evelyne Choquet. Ils arrivent en Suisse et sont considérés comme des « rapatriés ». Il décide de partir pour Rabbat. Pas de chance, il est interpellé à Marseille. Il voulait terminer sa carrière dans l’aviation aux colonies…
On imagine les difficultés rencontrées par les enquêteurs pour retrouver les Gestapistes de retour en France. Ils ont des faux papiers et ils ont parfois changé de ville.

Donner son amant pour défendre sa peau
Mais les inspecteurs ont des atouts dans leurs manches : les aveux des uns et des autres. En donnant des renseignements sur leurs collègues, les GA espèrent ainsi écoper d’une peine moins lourde.
Madeleine Heitz, a été entraîneuse aux Ambassadeurs, une boîte place des Célestins fréquentée par tout le SD de Lyon et ses supplétifs. Le 24 août, elle part direction l’Allemagne dans un des convois de Francis André. Elle se met « sous la protection » de Gabriel Gailloud. Madeleine et Gailloud quittent ensuite le groupe de Francis André. Neustadt, Reutlingen, Staringen, Stefeld… Lorsque les Américains arrivent dans cette ville, Gailloud se présente à eux comme « déporté » et Madeleine comme « travailleur volontaire ». Ils sont ainsi rapatriés en France en passant par Annecy sans être inquiétés. Gailloud part pour Paris et sa maîtresse reste à Lyon où elle se présente à la police judiciaire, place Saint-Jean.
C’est le moment pour Madeleine Heitz de négocier : « J’ai été employée par ce service pour permettre l’arrestation d’agents du SD ou de P.P.F.[8] »

C’est sur ses indications que son amant Gailloud est arrêté à Paris ainsi que son frère Jean Gaydou. Les deux seront exécutés en 1946.
Le tout pour le tout : une évasion contre un lingot d’or
En 1946, le procès des P.P.F. de Gueule tordue va débuter. Ils tenteront un dernier coup, l’évasion. Tony Saunier s’était déjà éclipsé le 23 mai 1945 alors qu’il était entendu au palais de Justice. On le retrouve cinq jours plus tard dans Lyon. Puis, en décembre 1945 il promettra à Jean Couzon -gardien de prison à Saint-Paul- un lingot d’or évalué à cinq millions de francs contre sa liberté et celle de quelques P.P.F., dont Gueule tordue bien sûr L’opération échoue au dernier moment mais c’est dire combien la fortune qu’ils avaient accumulée est encore bien au chaud quelque part.

Charles Guggisberg[9] ou « Charly » aura plus de chance. En 1948, il est en prison à Riom où il purge une peine de travaux forcés à perpétuité puisqu’il avait été gracié. Il réussit une évasion avec Albert Capisano[10] le 16 décembre. Ils scient les barreaux de leurs cellules. Ils seront toutefois repris en 1949. Pas pour très longtemps puisque « Charly » vit en Suisse quelques années après.
À suivre…
[1] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo. Editions Tiresias Michel Reynaud, 2020, 431 p.,. p. 150. Sambet est encore en mai 1945 en Allemagne et doit, selon Garin-Michaud- revenir en France avec de faux-papiers.
[2] Membre du P.P.F. Il appartenait au 2e bureau de la Milice selon Garin-Michaud.
[3] Fultot, membre de la L.V.F., a notamment dirigé le camp d’Eningen, centre de rassemblement des P.P.F. Il est toujours en Allemagne en mai 1945 et s’apprête, selon Garin-Michaud, à revenir en France.
[4] Altar Sylvie. Le spectre…, op.cit., p. 133.
[5] Article de Gilles Baudin, Libération, 31 août 1995 : « Argentine, terre d’asile des anciens nazis en cavale. »
[6] Mazot est arrêté fin mars 1946 en compagnie d’Etienne Veraut en Italie.
[7] Marcel Robert -selon Garin-Michaud- a été chef de dizaine à la Milice à Paris et à Lyon. Membre du P.P.F. et volontaire à la N.S.K.K. (Nazional Sozialistischer Kraefahrer Korpschef). À Sigmaringen, il s’occupait de la surveillance des travailleurs.
[8] AD Rhône. Audition de M. Heitz par l’inspecteur Roger Morel, 20 juillet 1945.
[9] Guggisberg réside semble-t-il en 1953 en Suisse et n’est donc pas resté très longtemps derrière les barreaux.
[10] Albert Capisano, décédé à Lyon.