Le 26 août prochain auront lieu dans de nombreux départements de l’ancienne zone libre, des commémorations concernant la rafle des Juifs étrangers. Une rafle tombée dans l’oubli pendant des décennies. Néanmoins, en 2012, certains villages ou villes organisaient déjà des cérémonies, posaient stèles et plaques, pour ne pas oublier, soixante-dix ans après, une rafle « aussi honteuse que celle du Vél d’Hiv »[1] .
Quid des Juifs en Saône-et-Loire ?
Vous vous posez sûrement la question. Et alors en Saône-et-Loire ? Il n’y a pas eu de Juifs concernés par la rafle du 26 août ? Il n’y avait pas de Juifs étrangers, surtout en zone libre dans ce département séparé par la ligne ?
Pour répondre à la question, reportez-vous aux ouvrages des historiens locaux et comptez les pages consacrées aux « Israélites ». Cette histoire n’a jamais intéressé personne. Pourtant les sources aux archives départementales sont nombreuses et nous pouvons signaler, après quelques mois passés place des Carmélites, que 1 700 Juifs -étrangers ou français- au bas mot, ont vécu en zone libre pendant toute la guerre ou ne sont restés que quelques semaines ou quelques mois[2]. Une population d’au moins 1 700 personnes, ç’est difficile de la dissimuler surtout quand on passe du temps aux archives ! Et il va de soi que cette population juive n’a pas été oubliée lorsqu’il a fallu remplir les convois, destination Auschwitz.
Alors faut-il taire cette histoire ? Nenni ma foi, et encore moins avec tout ce qu’on a pu lire ces derniers mois sur le sauvetage des Juifs français par Pétain !
En Saône-et-Loire, zone libre, de nombreux Juifs étrangers -dont des enfants- ont été victimes des mesures prises par Bousquet en août 1942. Qui étaient-ils ? Des Juifs venant de passer la ligne, espérant pouvoir se mettre à l’abri des persécutions. D’autres appartenaient au Groupement de Travailleurs Étrangers (GTE) de Pontanevaux. D’autres encore avaient été envoyés du camp de Gurs soigner leur tuberculose au sanatorium de La Guiche. Des familles habitaient à Mâcon ou dans vos villages : Ligny-en-Brionnais, Saint-Gengoux-Le-National, Pierre-de-Bresse… Nous allons leur consacrer une série d’articles car qui s’en souvient ? Qui se souvient de cette nuit où la police française, les gendarmes français sont venus les « ramasser » selon le terme consacré. À Mâcon, Silvain n’avait pas encore fêté ses dix ans et Esther venait de souffler les bougies de ses deux ans.
Bousquet -responsable d’avoir livré ces Juifs à l’occupant- terminera la guerre en Bavière, en famille. Il a fait la route dans une voiture complaisamment prêtée par Karl Oberg, chef des SS en France. En 1949, lors de son premier procès, il se présentera devant un jury composé d’anciens résistants. Sur les trois jours d’audience, on consacrera à peine deux heures à évoquer la rafle du Vél d’Hiv. Bousquet sur ces deux heures a parlé, dira Robert Badinter, 1H35 minutes. Les jurés, à l’issue de ce quasi-monologue, n’ont posé aucune question à l’accusé. Robert Badinter le signale : « En 1945, la France (…) trouvait que les Juifs qui avaient eu la chance de survivre n’avaient qu’à se taire. »
« En matière d’antisémitisme, je n’ai soutenu la répression raciste que comme la corde soutient le pendu. En fait de collaboration, j’ai collaboré avec l’Allemagne comme le paratonnerre collabore avec la foudre[3]. » Bousquet, 1949.
Et Bousquet ne sera condamné qu’à cinq ans d’indignité nationale puis réhabilité immédiatement pour « services rendus à la résistance ». Il sort la tête haute. Robert Badinter le souligne : le premier procès Bousquet, c’est « la fabrication d’une innocence. » Pour ce premier procès Bousquet, toutes les pièces du dossier existaient. Un seul a mystérieusement disparu, celui de la Chancellerie, dit Badinter. Silence de plomb sur le plateau… On entend les mouches voler. Et on passe au sujet suivant.
Acquitté, réhabilité, Bousquet fit ensuite une carrière brillante, notamment à la banque d’Indochine jusqu’à ce que l’histoire le rattrape avec les révélations de Darquier de Bellepoix (ex-commissaire général aux questions juives sous le régime de Vichy[4]) qui lance le pavé : « La grande rafle, c’est Bousquet qui l’a organisée. De A à Z. Bousquet était chef de la police[5]. »
« Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux[6]. » Darquier de Bellepoix
En 1990, Bousquet faisant l’objet cette fois-ci d’une plainte pour crime contre l’humanité, L’Express l’interrogeait : « Nous lui avions demandé ce qu’il en pensait. Il répondit, très goguenard : « Oui, j’ai lu ça dans les journaux, comme tout le monde ![7] »
Bousquet sera assassiné le 8 juin 1993, par Christian Didier. On dira de son meurtrier que c’était un illuminé qui cherchait la gloire. Va savoir. Il avait déjà tenté d’assassiner Barbie et il avait recherché Touvier pour lui faire la peau. Affaire close. À cause ? ou grâce à « l’illuminé », le procès n’aura pas lieu[8].
Quatre-vingts ans après, s’il n’y a pas de commémoration en Saône-et-Loire, s’il n’y a pas de stèle rappelant la tragédie du 26 août 1942 en zone libre, la série d’articles présentés permettra, nous l’espérons, de rappeler les noms de celles et ceux qui ont été persécutés, séparés de leurs familles, déportés et exterminés à Auschwitz.
« Un homme n’est oublié que lorsque son nom est oublié. » (Le Talmud).
À suivre…
[1] Libération du 22 août 2012. Lettre ouverte de Charles L’Eplattenier, (Pasteur retraité à Gap) à François Hollande.
[2] Le dépouillement est loin d’être terminé. Fichiers et articles seront mis en ligne.
[3] L’Aurore, 23 juin 1949. Déclaration de Bousquet lors de son procès.
[4] Réfugié en Espagne où il finira sa vie sans être inquiété. Condamné à mort par contumace, le 10 décembre 1947, pour intelligence avec l’ennemi. Sa peine est prescrite depuis 1968. Seule, l’interdiction de séjour est maintenue à vie. Darquier décède le 29 août 1980.
[5] Le Monde, 25 juillet 2008, « René Bousquet ou le grand arrangement », article de Francis Cornu.
[6] L’Histoire, « La bombe Darquier de Pellepoix », n°276, 2003.
[7] L’Express, 10 juin 1993, « Bousquet : mort d’un collabo », article d’Éric Conan.
[8] Bousquet avait déclaré à Eric Conan : au sujet de son second procès : « Si l’on m’emmerde, eh bien, on recommencera comme au procès de 1949 : je me défendrai ! Et j’ai de quoi me défendre ! Mais cela m’étonnerait beaucoup qu’il y ait un procès [..] ».