Gurs, une drôle de syllabe, comme un sanglot qui ne sort pas de la gorge. Louis Aragon
Nous vous avions précédemment parlé des vieux Juifs de l’hospice de Pfastatt arrivés de Lons-le-Saunier et accueillis à l’hospice de la Charité à Mâcon en 1940. Bien qu’officiellement recensés, ils avaient ainsi pu survivre jusqu’à la fin de la guerre sans être inquiétés.
En octobre 1943, l’hospice de la Charité ainsi que l’hospice départemental vont encore ouvrir leurs portes « aux vieux Juifs », ceux des camps du Sud, les « camps de la honte » pour reprendre l’expression d’Anne Grynberg[1]. Ils sont quarante-six (45 femmes et 1 homme) arrivant à Mâcon les 7 et 26 octobre 1943, des camps de Gurs ou de Noé. Ils resteront hébergés à Mâcon jusqu’à la Libération et les derniers ne quitteront l’hospice qu’en 1946. Voici leur histoire, en 12 épisodes. Nous alternerons ces publications avec les derniers articles sur les GA.


L’opération Bürckel.
Entre 1939 et 1944, plus de 60 000 personnes furent enfermées dans le camp de Gurs, petit village situé au pied des Pyrénées dont 6 538 hommes, femmes et enfants, qui arrivent fin octobre du pays de Bade, de Sarre et du Palatinat où ils ont été raflés lors de l’opération Bürckel[2], laquelle s’inscrit dans le « plan Madagascar ».

Ce sont des familles entières déjà usées, humiliées, persécutées et vivant dans l’angoisse qui vont être raflées en octobre 1940.
Ils ont dû quitter leur logement pour vivre dans des « maisons de Juifs » ; de la Kirchstraße 4, le couple Geismar, par exemple, déménage en mai 1938, dans l’une des maisons dites juives à Offenburg, de la Gaswerkstraße 17. Leurs radios sont saisies, les lignes téléphoniques coupées. C’est ce qui arrive au couple Polack à Heidelberg qui vivait alors dans une « maison juive » au numéro 15 dans la Zähringerstrasse.
Ils ont dû également céder leur commerce et se débrouiller pour vivre.
C’est ainsi que Julius Veit (1867-1940) de Freiburg écrit :
« Je n’ai plus de moyens et j’ai dû me battre au bord du gouffre pour trouver ce dont j’ai besoin pour gagner ma vie et celle de ma femme. »
Julius Veit, mari de Katharina, abandonne effectivement son agence immobilière le 8 février 1938[3]. » Il décédera à Gurs en décembre 1940.
Les hommes, pour certains, ont été envoyés au camp de Dachau, puis parfois libérés. Ils sont déjà au bout du rouleau en 1938.

Max Bodenheimer (1882-1940), professeur de latin et de grec au lycée Reuchlin de Pforzheim est mis à à la retraite provisoire en 1933, puis licencié. Il déménage alors avec son épouse à Baden-Baden. Leur fils, Erich Leopold, réussit à partir au Brésil.
Le 10 novembre 1938 (Reichskristallnacht), il est conduit avec d’autres hommes de la ville par les SS à la synagogue. Ils doivent chanter l’ »Horst-Wessel », l’hymne des SA puis du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) ou lire en public « Mein Kampf ». Les SS incendient la synagogue et déportent Max Bodenheimer et ses coreligionnaires à Dachau. Il sera libéré mais décède deux mois avant le départ de son épouse pour le camp de Gurs[4]. Comme d’autres familles, les Bodenheimer avaient tenté de quitter l’Allemagne. Eux souhaitaient rejoindre l’Italie mais la mauvaise santé de Max oblige le couple à rester en Allemagne. Le couple Geismar restera également coincé en Allemagne : on leur remet leurs passeports pour partir en juin 1937 puis on leur reprend, prétextant qu’un de leurs prêts n’est pas totalement remboursé. Ils seront déportés ensemble à Gurs.
Hannelore et Margot Schwarzschild, petites filles de Settchen, raconteront aussi les humiliations subies : elles sont exclues de l’école, leurs parents ne peuvent plus fréquenter les lieux publics, le théâtre, le cinéma, les bains et la grand-mère, délogée, vient vivre avec eux[5].

La rafle : nuit du 22 au 23 octobre 1940
Settchen Schwarzschild née le 20 octobre 1861 à Lempach vient de fêter ses 79 ans, entourée de son fils Richard, de sa belle-fille, de ses deux petites filles et de sa fille Ida. Au 30 de la Steinstraße à Kaiserslautern, « Il y avait des fleurs et des cadeaux sur la table quand on a tous dû quitter notre maison[6]. » Deux jours plus tard, les Juifs sont en effet réveillés dans la nuit du 22 au 23 octobre et sont conduits à la gare. Certains tentent de se suicider : pendaison, somnifères, gaz. Margarete Polack vivait à Heidelberg chez le couple Neu : Maximilian et son épouse Zilla préférèrent mourir plutôt que de partir.
Ils ont l’autorisation d’emporter un paquet de 50 kg (30 kg pour les enfants) contenant vêtements et vaisselle et une somme d’argent de 100 marks.

Babette Rieser, née le 18 juillet 1866 à Lörrach est présente sur la photo. Elle vivait au 29 de la rue Teichstraße.
Avant de partir, les Juifs cèdent tous leurs biens à l’État allemand. Peu de temps après seront organisées des ventes aux enchères, à la satisfaction de la population[7].


Sur ce sujet, vous pourrez consulter : La déportation des Juifs et la vente aux enchères de leurs biens Photographies de Lörrach 1940 (2018) de Klaus Hesse et de Andreas Nachama mais l’ouvrage n’a pas été traduit.
Neuf trains partent de Mannheim et sont stoppés pendant quelques heures en gare de Chalon-sur-Saône. Le gouvernement de Vichy, pris au dépourvu par l’arrivée de plus de 6 500 personnes, ordonne alors de les diriger vers Gurs.
À suivre…
[1]Grynberg Anne. Les Camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944. Paris : La Découverte, rééd. 1999 en collection de poche, avec une postface inédite., 1991.
[2]Elle porte le nom de Joseph Bürckel, Gauleiter du Land Lorraine-Sarre-Palatinat. Pourtant, l’essentiel des victimes appartient au Land du Gauleiter Robert Wagner, responsable de la région Alsace-Pays de Bade, mais ce dernier ne fut qu’un exécutant, la conception de la rafle dans son ensemble revenant à Bürckel.http://www.campgurs.com/le-camp/lhistoire-du-camp/p%C3%A9riode-vichy-40-44-les-diff%C3%A9rents-groupes-dintern%C3%A9s/1-l-op%C3%A9ration-buerckel-22-25-octobre-1940/
[3] https://www.waymarking.com/waymarks/wmWHRE_Julius_Katharina_und_Antonie_Veit_Freiburg_i_Breisgau
[4] http://www.pfenz.de/wiki/Max_Bodenheimer
[5] https://stolpersteine-kl.de/stolpersteine-in-kaiserslautern/biografie-familie-schwarzschild/
[6]https://stolpersteine-kl.de/stolpersteine-in-kaiserslautern/biografie-familie-schwarzschild/
[7] http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/voyages/f-m-s/2015-16/guebwiller.pdf