La tuerie de Banvillars
Avec Henri Durand, Rousseaux est envoyé à Giromagny pour débusquer des résistants. Ils se présentent au hasard chez l’abbé Pierre, se faisant eux-mêmes passer pour des résistants. Rousseaux arrête l’abbé Pierre et son vicaire. L’abbé sera le seul otage à ne pas être fusillé et pourra témoigner à son retour de déportation. Puis, ils arrêtent le lendemain l’abbé Martin de La Chapelle-sous-Chaux, tandis que Desmettre arrête M. Thanneur. Ce dernier sera déporté à Dachau. Les trois curés seront ramenés à Belfort, interrogés et frappés. Desmettre et Durand, lors de ces interrogatoires, sont munis d’une cravache et ont revêtu un uniforme allemand.
Quelques jours avant le 10, le groupe a été envoyé à Banvillars creuser deux fosses, sous la direction de Kramer. Puis Mauz, Haldimann, Haas, Desmettre, Turqui et Auguste sont partis armés de mitraillettes.
Leur sale besogne sera d’exécuter vingt-sept résistants (F.F.I. du Groupement Territoire de Belfort) faits prisonniers le 2 octobre dans une embuscade au bois de Granges. Sortis de la caserne Friedrich le 10 octobre, ils sont entassés dans des camions et partent en direction de la forêt de Banvillars.
À son retour de déportation, le chanoine Pierre apportera le témoignage suivant :
« Le 6 décembre 1944, Belfort apprenait avec stupeur qu’un, nouveau charnier venait d’être mis à jour près du petit village de Banvillars. Vingt-sept cadavres, chuchotait-on, en avaient été retirés. Toutes les épouses, toutes les mères dont le mari, dont le fils avaient disparu dans la grande tourmente y accoururent le cœur douloureux. Longuement, avec une sourde angoisse, elles se penchèrent sur ces pauvres corps mutiles, trahissant par un geste, par une attitude tout l’effroi de leurs derniers instants, pour tenter de leur arracher leur mystère. Une d’entre elles, Mme Dugois, devait. y découvrir son mari et ses deux fils aînés. Une autre, Mme Grandvoinet, de Lachapelle sous Chaux, son mari et son fils. Une autre famille, les Marietta, de Valdoie, les deux frères. Quelle affreuse tragédie s’était donc déroulée dans ce petit coin perdu, en bordure de la forêt de Banvillars. Quand ? Pourquoi ? De quelles odieuses brutalités avaient-ils été les victimes, ces pauvres enfants de chez nous ? On pensait bien ne jamais le savoir. Quand un jour de mai 1945 surgit de Dachau un homme, un » miraculé «, plutôt, qui dit : »j’étais a Banvillars, J’ai assisté à l’affreuse tragédie « . Cet homme, c’était le chanoine Pierre, cure doyen de Giromagny. Voici en quels termes, émouvants et sobres, il devait par la suite raconter comment moururent les vingt-sept martyrs de la Resistance. |
» C’était le 10 octobre 1944. Vers 8 heures du matin, nous sommes mis hors de nos cellules. Quatre soldats allemands, mitraillette en main, nous poussent dans un couloir. Sur le mur de gauche, on peut lire, en bas d’un sinistre portrait : » Heil Hitler « . Sur celui de droite est dessinée une épée brisée : » Souvenir de Stalingrad « . Nous comparaissons devant un officier qui fait faire l’appel de nos noms et au fur et a mesure les efface d’un trait sur un registre. Après quoi nous devons nous mettre à nu. Des sous-officiers arrachent tout ce qui pouvait plus tard aider à notre identification : dentiers, alliances, objets religieux, plaques d’identité. Puis nous revêtons la tenue des condamnes à mort : chemise ouverte, pantalon et souliers, pendant que dans une pièce voisine la T. S. F. passe des valses, de la musique joyeuse. Soudain un garde ouvre la grande porte, on nous pousse dans une camionnette. Au moment de partir, deux Allemands amènent un brancard sur lequel est étendu un blesse du maquis, au sourire tranquille : Claude Dugois. Quatre mitrailleurs nous tiennent en respect. » La camionnette se met en marche. « Je m’adresse alors à mes compagnons : Chers amis, je pense que vous vous rendez compte de notre sort. Nous allons à la mort. Chacun dans votre croyance, priez Dieu d’avoir le courage de mourir en bon Français. Et, avant de leur donner l’absolution, je récite, les dernières prières. Claude Dugois me fait quelques confidences. André Thevenot, le petit sous-officier de Giromagny que j’avais marie quelques années auparavant, me dit : Monsieur le cure, si vous en échappiez, vous direz à ma femme que je meurs en bon soldat. Qu’elle élève bien notre petite et que dans la vie elle fasse ce qu’elle croit le plus sage. » Pendant ce temps deux gendarmes se disaient l’un à l’autre : » Chef, je suis baptisé, mais je ne sais plus prier. » Et le chef, mettant le bras droit autour du cou de son collègue, de scander les mots : » Notre père… Notre père… qui êtes aux cieux… qui êtes aux cieux… La voiture avance rapidement. A un moment, elle quitte la grand’route d’Héricourt, tourne a gauche et s’engage a travers champ, longe l’orée d’un bois, puis stoppe en se plaçant dans l’axe d’un chemin qui longe la foret de Banvillars. Les quatre mitrailleurs sautent de la camionnette, manœuvrent leurs armes. Arrive alors une automobile de tourisme dans laquelle se trouvaient l’officier de levé d’écrou, le S. S. français qui avait vendu l’abbé Pierre et le juge qui l’avait condamné. Mais laissons plutôt au curé de Giromagny le soin de décrire la dernière scène de ce drame sanglant « De notre voiture descendent d’abord un Sénégalais et un Arabe. Le Sénégalais murmure en sa langue des paroles que je ne comprends pas. L’Arabe crie : » Moi bon soldat, moi pas mourir « . Tous deux font une dizaine de pas : fusilles ! Puis les Allemands prennent le brancard sur lequel est étendu Claude Dugois. Ils le déposent quelques pas, plus loin. A bout portant, deux Allemands l’assassinent. C’est alors un grand jeune homme, de La Chapelle-sous-Chaux, Pierre Marconot-Thanneur, hésitant et gauche car il n’a plus ses lunettes. Avec lui est un compatriote : il s’écrie : » Mon papa ! ma maman ! Ma pauvre petite Odette ! » Ils s’avancent tous deux vers les premiers cadavres : fusilles. Et c’est ensuite un paysan d’Etobon, avec un forgeron, qui marchent courageusement quelques pas… Fusilles. Vient le tour des deux gendarmes, dont l’un s’écrie : » Courage ! nous avons fait notre devoir « . L’autre appelle son épouse, son enfant. Ils s’avancent : fusilles. C’est alors le tour du curé de Giromagny, Il descend de la camionnette. Je regarde l’officier. Oh ! sans prétention il m’interpelle : » Pierre ? » – » Oui ». -« Weg. » Un Allemand m’entraîne pendant que la fusillade continue et retentit longuement encore en echos lugubres dans le grand silence de la forêt. Je reste seul avec mes pensées, avec mon Dieu. Je ferme les yeux et dis : « Maman ! venez me chercher ! » C’est alors que rappelé brutalement, je fais trente pas. Je les fais militairement, quand même. Je me présente au garde à vous. Je salue. Puis comme je ne trouvais plus le mot allemand : » fusiller « , je dis » Wie franzozen officier ! Ich will sterben wie das ! » Comme officier français, je veux mourir ainsi. » Bien en face et non pas dans le dos. Les Allemands hésitent : l’officier fait un geste, discute avec le Juge, puis d’un signe de la main il me montre .la voiture : » Im wagen « . En voiture. Je remonte, seul. Treize cadavres gisent sur le sol « . Reconduit à Friederich et à peine réintégré dans une cellule, le chanoine Pierre a .la douleur d’entendre dans les couloirs un remue-ménage semblable à celui qui avait précède leur départ. Quatorze autres français allaient être conduits à Banvillars et massacres sur les cadavres encore chauds de leurs camarades, de leur fils, de leur frère[1]. » |
Banvillars ne sera pas la seule tuerie des anciens Gestapistes lyonnais. Ceux qui sont partis avec Francis André, direction Neustadt où se trouve Doriot, commettront également les pires atrocités sur leur route. À Saint-Dié, en août 1944, Desgeorges, Commeinhes et Bellunovitch[2] seront responsables du meurtre d’une dizaine de patriotes.
À suivre…
[1] https://www.lachapelle-sous-chaux.com/croix-guerre.html. Extrait de l’album souvenir de la Victoire, édité par l’Est Républicain, 1946.
[2] Firmin Bellunovitch ne sera pas retrouvé. Il se serait enfui en Italie puis en Tunisie. Desgeorges et Commeinhes seront exécutés en 1946.