Geronimi, le tueur
Est-ce la bonne version des faits ?
Marius Prost, inspecteur sous-chef au commissariat de la Croix-Rousse, sera entendu par l’inspecteur Llop le 20 septembre 1945 dans le cadre de l’enquête concernant Geronimi.
En juillet 1944, il travaillait au 1er bureau du commissariat central. Deux ou trois GA se présentèrent, lui amenant un certain Charles Lavégie. Celui-ci « était exténué et crachait le sang ». Mais l’inspecteur ne signale pas qu’il a été blessé par balle dans la cuisse gauche.
Le résistant ment tout d’abord à l’inspecteur en lui cachant sa véritable identité mais il lui relate les faits. Soi-disant venu pour procéder à des achats chez les Izraelski, place Croix-Paquet, Charles se retrouve dans l’appartement avec trois P.P.F., une jeune femme et un jeune homme. Les GA tue « la jeune femme » c’est-à-dire Lola, sa sœur. Quant au « jeune homme », il est alors obligé de sauter par la fenêtre pour ne pas être arrêté.
Charles poursuit : « j’ai été frappé brutalement et obligé de marcher très longtemps dans l’appartement, avec une valise attachée dans le dos ; je n’ai été délivré de cette situation que par l’arrivée d’un fonctionnaire du commissariat de l’hôtel de ville. Ces individus me soupçonnent d’être de la famille. » Charles est formel : c’est Geronimi qui l’a brutalisé pour lui faire avouer qu’il était bien le résistant recherché et portant le nom d’Izraelski.
À la suite de ces déclarations, l’inspecteur Prost attend son chef, l’inspecteur Mochon. Ils décident de mettre Lavégie à l’abri en le faisant hospitaliser à l’Antiquaille. Mais Krekler téléphone : il veut savoir ce que devient Lavégie. Mochon lui certifie que Lavégie n’a rien à voir avec tout cela. Lavégie est un « très bon Français » ; il est hospitalisé, du fait des sévices de ses GA. Krekler laisse l’affaire tomber et envoie l’ordre de libérer Charles. Il sait, par ailleurs, que Geronimi a tué Lola Izraelski « à coups de matraque ». Geronimi questionné par Krekler lui aurait dit en riant : « Oui cette femme est morte d’une embolie[1] ! »
À sa sortie de l’hôpital, Lavégie-Izraelski revoit les inspecteurs et leur avoue : « Je vous suis infiniment reconnaissant de ce que vous avez fait pour moi ; je me nomme en réalité Izraelski, c’est donc ma sœur qui a été tué devant mes yeux, dans l’appartement de ma mère, place Croix Paquet ; parmi les membres du P.P.F. qui se trouvaient au moment du meurtre, il y avait le nommé Geronimi. Il m’a brutalisé pour me faire avouer que j’étais bien Izraelski, qu’il recherchait comme membre de la résistance. Mes papiers sont faux et je vais immédiatement retourner dans le maquis. Vous m’avez sauvé la vie en me faisant évacuer à l’hôpital de l’Antiquaille et en me faisant libérer. Je n’oublierai pas ce que vous avez fait pour moi[2]. »
La version de Geronimi
Geronimi, interrogé par le juge d’Instruction Micolier le 18 septembre 1945, soutiendra que c’est le docteur Krekler qui l’a envoyé voir ce qui se passait place Croix-paquet. Lorsqu’il arrive, il voit une femme étendue à terre, « blessée ». Les GA présents lui parlent d’une « bagarre ». Geronimi poursuit ainsi sa déclaration : « Je leur ai demandé s’ils avaient fait le nécessaire pour prévenir la police, et faire donner des soins à cette femme. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient rien fait. J’ai alors prévenu la police, et j’ai fait venir une voiture d’ambulance. Je ne me suis plus occupé de l’affaire par la suite. Je n’ai pas assisté à l’interrogatoire d’Izraelski, ni à celui des autres personnes arrêtées le même jour[3]. »
Si Geronimi dit vrai, d’une part Lola était encore vivante lorsqu’il arrive. L’a-t-il achevée à coups de matraque comme le pense Krekler ? D’autre part, il y a plusieurs personnes « arrêtées le même jour ».
Sur le site du Maitron, on suppose que Régine Izraelski[4], est arrêtée au domicile de sa nièce Lola. C’est possible puisqu’elle est appréhendée, selon le fichier Montluc, à la même date. Néanmoins, elle n’était pas domiciliée au 5 Croix-Paquet[5].

Mais il y a également une autre personne arrêtée le 28. Il s’agit d’Itka Melachowicz[6], qui vit aussi au 5 Croix Paquet et qui est déportée par le convoi 78. Fait-elle partie de la famille ? Est-ce une connaissance ? Dans l’état actuel de nos recherches, nous n’en savons rien. Ce qui est certain, c’est que Itka fera partie à la Libération des témoins à entendre et qu’elle est de nouveau domiciliée chez les Izraelski.
Izraelski aurait été interrogé, dit Geronimi. Charles ne se serait donc pas enfui et il a été emmené au commissariat. Qui était l’autre homme qui a pu sauter par la fenêtre ?
[1] 394W 260 : Extrait de déclaration du docteur Krekler à l’inspecteur Joseph Llop de la police judiciaire le 12 septembre 1944.
[2] 394W 260 : Extrait de déclaration du docteur Krekler à l’inspecteur Joseph Llop de la police judiciaire le 12 septembre 1944.
[3] 394W 259 : Interrogatoire de Geronimi par G. Micolier, juge d’instruction, 18 septembre 1945.
[4] Née le 3 avril 1901 à Odessa. Mariée à Juda Izraelski, déporté en 1943. Elle sera déportée par le convoi n°78 le 11 août 1944 mais elle reviendra.
[5] Régine est domiciliée au 32 rue d’Ivry.
[6] Voir notice sur le Mémorial de la Shoah. Itka est née le 24 janvier 1888 à Ostrow, Pologne.