Les derniers déportés de Lyon
Les Katzman-Fraiberger à Limonest
Le 5 août 1944, le GA Garin-Michaud est chargé, dit-il, d’aller contrôler avec Ange Marchionini et Marcel Robert l’identité des personnes présentes au magasin Crémieux situé rue de la République. Toujours selon ses dires, c’est une de ses premières opérations. L’équipe arrête Katzman, un tailleur russe, qui avoue par la suite être Juif. « Nous l’avons conduit chez lui à Limonest, puis nous l’avons emmené à un nommé Geronimi, qui s’occupait des interrogatoires à La Gestapo, avenue de Saxe », avoue-t-il le 25 juin 1945. En février 1946, il rajoute un détail : emmené à Limonest, Katzman devait y récupérer son argent et ses affaires.
Ce que n’avoue pas Garin-Michaud, c’est non seulement le pillage de la maison, mais également l’arrestation de deux autres membres de la famille Katzman.
Le couple Katzman -Sonia, née Bogatiroff[1] le 30 octobre 1882 à Niejine – et son mari Itzka né à Niejine (Russie) le 14 décembre 1879, est arrivé en France avant 1925, date de leur naturalisation. Ils ont trois enfants : Salman (ou Jean), né le 4 novembre 1905 à Niejine, naturalisé par le même décret que ses parents, Anna, née le 24 mai 1907 à Lyon et Georges, né le 7 août 1919 (Lyon 6). En 1907, ils vivent au 12 rue Confort puis, selon le recensement de 1926, ils ont déménagé au 37 de la rue Molière. Le père exerce la profession de tailleur. Le 11 juillet 1935, Anna épouse Elie Elimelech (dit Max) Fraiberger né à Zakroczym (Pologne) le 10 avril 1900. Elie est commerçant. Lui est Polonais et Anna demande, lors de leur mariage, à conserver la nationalité française. Leur fils Claude naît le 6 octobre 1939. En 1944, ils vivent au 16 de la rue d’Algérie.
Sonia Katzman (née Bogatiroff) témoignera le 9 mai 1946. Elle était en compagnie de sa fille dans le jardin de la maison que toute la famille occupait à Limonest les étés[2]. Voyant une voiture « suspecte » se garer, Anna Katzman (épouse Fraiberger[3]), demande à sa mère d’aller se cacher dans la deuxième cour de la maison de leur logeuse, Françoise Dumas. L’équipe de GA composée de trois hommes (Garin-Michaud, Marchionini et Robert) arrêtent Anna et son fils Claude âgé seulement de cinq ans. Ils cherchent également Elie Fraiberger, le mari d’Anna ; celui-ci est parvenu à s’enfuir[4]. Les GA reviendront plus tard piller la maison[5].
Puis vient le temps de la séparation, ô combien cruelle : Claude est emmené à l’hôpital de l’Antiquaille[6] où sont internés les enfants. Suzanne Alharal s’y trouve aussi, séparée de sa mère depuis le 24 juillet. Quant à Anna, elle part à Montluc avec son père Joseph. Du 5 au 11 août, Claude reste séparé de sa mère, qu’il ne retrouve que pour être mis dans un wagon, direction Auschwitz.
Anna et son fils, Juifs français, seront déclarés morts le 16 août 1944. Gazés à leur arrivée, victimes des GA. Itzka Katzman survit jusqu’au 31 janvier 1945. Victime des GA. Des Gestapistes français qui envoient à la mort une mère, un enfant de quatre ans et un grand-père français.
« Et on ne pourra jamais effacer de l’histoire le fait que la grande majorité des Juifs déportés ont été arrêtés par des uniformes français. » Serge Klarsfeld, 28 décembre 2021.

Marchionini, un ange tombé du ciel ?
Pour Garin-Michaud, c’en est alors fini des arrestations, dit-il au juge. Avec Marchionini et le mystérieux Marcel Robert, ils auraient alors été affectés à la garde personnelle du docteur Krekler qui doit commencer en août à sentir le vent tourner. Quant à Ange Marchionini, faut-il le croire car tout GA qui cherche à sauver sa peau à la Libération est capable des pires inventions. En bref, c’est un Ange et il doit bien porter son prénom !
Comme il le soutient le 13 juillet 1946 à Joseph Raffenne, secrétaire de police, il aurait appartenu à la Milice : le 1er juin 1944, il aurait été affecté à la surveillance comme planton, au 16 de la place Bellecour. Mais, le 7 juin, il aurait fait évader deux prisonniers. « Sauvagement frappé » par la Milice, il aurait ensuite été en convalescence, puis déporté à la forteresse de Perlebergue (?). Il porte d’ailleurs un numéro tatoué sur son avant-bras : le numéro 122 230[7]. Il est possible qu’il ait été déporté. Pour quels motifs ? Nous ne le savons pas encore. Quoi qu’il en soit, il écope quand même de quinze ans de travaux forcés qu’il purge à la prison de Riom… Comme quoi, il n’a pas forcément été toujours un Ange…
À suivre…
[1] On trouve pour Sonia son patronyme écrit : Bogatiroff (déposition auprès du juge Audier en 1946), Bogatirole (acte naissance d’Anna), Bogatirow (acte de naissance de Georges), Bogatireff (décret de naturalisation). Difficile de s’y retrouver.
[2] Sonia et son époux vivaient au 37 rue Molière à Lyon.
[3] Née le 5 mai 1907 à Lyon, professeure de piano. Domiciliée au 16 de la rue d’Algérie.
[4] https://www.deportesdelyon.fr/les-archives-par-famille-a-m/enfants-fraiberger
[5] AD Rhône 394W 260 : Déposition de Sonia Katzman par le juge Jean Audier, 9 mai 1946.
[6] La prison Montluc étant surpeuplée, les enfants de moins de 15 ans sont séparés de leurs parents. L’hôpital accueillera 75 enfants de février à août 1944.
[7] AD Rhône 394W 260 : Marchionini est entendu par Joseph Raffenne le 13 juillet 1946 à la prison de Riom, dans le cadre de l’enquête contre Garin-Michaud.