Les derniers déportés de Lyon

Juillet 1944. Les Alliés ont débarqué. Pour les Gestapistes, il s’agit de faire vite avant de mettre les voiles : s’ils veulent s’en mettre plein les poches, les derniers coups sont à faire. Surtout chez les Juifs.

Celles et ceux qui ont été arrêtés -non pas par la Gestapo de Barbie mais par des GA de Krekler- monteront notamment dans le dernier convoi de déportés parti de Lyon le 11 août 1944. Près de 650 femmes et hommes seront sortis de Montluc ou de Saint-Joseph : des résistants, des otages, des Juifs.

« La libération du territoire par les Alliés ainsi que l’intensification des actions de la Résistance, ne leur permettent pas de rallier Compiègne, Drancy ou Romainville, d’où ces hommes, femmes et enfants devaient ensuite être déportés. Les Allemands décident alors d’acheminer directement ce convoi, constitué de wagons de voyageurs, vers les camps de Natzweiler-Struthof, de Ravensbrück et de Birkenau[1]. »

Mâcon, Chalon-sur-Saône, Chaumont, Vittel

« Quatre jours pour aller de Lyon à Tournus – 50 kilomètres – pour le train 14.166 dans lequel se trouve Marie-Louise Bordet, arrêtée le 14 juillet par la Gestapo pour son activité en faveur du Vercors.

« Son convoi -10 voitures de 3è classe, ce qui dans le malheur est une « chance » – a quitté Lyon-Perrache le 11 août. Dans les wagons de tête, les juifs ; les résistants non juifs dans ceux qui suivent. Le 15, voici le train à Tournus. Le 17, il arrive à Chalon-sur-Saône où les déportés qui, depuis leur compartiment, ne peuvent rien deviner, car les stores sont baissés et solidement attachés, reçoivent de la Croix-Rouge un peu de ravitaillement. A Is-sur-Tille (près de Dijon), demi-tour, le pont a sauté. Le convoi repart en direction de Langres et de Vittel où il stationne deux jours sur une voie de garage. La présidente de la Croix-Rouge de Vittel parvient à convaincre un lieutenant allemand de laisser descendre les détenus par groupes de vingt. Depuis quatre jours, ils n’ont rien mangé. Un restaurateur charitable ne se contente pas d’offrir de la soupe, il apporte une brassée de nouvelles. Il dit non seulement que les Alliés approchent de Paris, que le débarquement en Provence a réussi, mais, surtout, que le maquis s’apprête à délivrer les prisonniers.

« Hélas, rien ne se produira et le train reprendra sa marche (…)[2]. »

Epinal, Belfort et camp du Struthof

Après une semaine de voyage, le convoi arrive à la gare de Rothau. Les 222 hommes non Juifs descendent pour rejoindre le camp de Natzweiler-Struthof. C’est le cas de Simon Kazandjian.

Philippe Geronimi avec Touati avaient pillé la bijouterie de Simon Kazandjian[3] le 19 juillet 1944 et arrêté le bijoutier. Conduit à la Gestapo, Kazandjian avait été roué de coups par Geronimi. Puis il avait été transféré à la prison Montluc.

Le camp de Natzweiler Struthof sera évacué début septembre. Les hommes sont alors redirigés vers Dachau puis Mauthausen, Neuengamme ou pour quelques-uns à Gotenhafen. Simon part pour le KL de Dachau le 4 septembre. Il arrive à Mauthausen douze jours plus tard et il est affecté à Gusen le 24 janvier 1945. Simon, matricule 98 357, sera libéré le 21 mai 1945.

Les Kaminski : Herszlik, Pinhas et Benjamin

Interrogé par l’inspecteur Truche, Flory reconnaîtra avoir arrêté cinq ou six Juifs : M. Kaminski et ses deux fils, montée Saint-Sébastien vers le numéro 20, un Juif qui demeurait montée de Baraban (entre le numéro 90 et 100)[4], un Juif à Pusignan, Lazare Nefussi, domicilié au 23 rue de Bonnel[5]. Il ne se souvient plus de l’identité « des autres ».

Herszlik Kaminsky (ou Kaminski), né le 13 juillet 1872 à Novoradomsk (Pologne) habitait à Strasbourg avant la guerre. À Lyon, il est domicilié au 20 de la montée Saint-Sébastien et il exerce la profession de tailleur, comme son fils Benjamin.

Il est arrêté le 1er août 1944 avec ses fils par trois GA : Flory, Robert Marcel et Chenevier.

Lorsque Lucien Truche interroge Flory, il lui demande d’où viennent ses vêtements. Car Flory s’habille gratos. Son pantalon, il l’a volé chez le Juif Simon, 47 rue Juliette Récamier. Le reste vient de chez Kaminski. Mais les GA ne font pas que voler : Herszlick est déporté par le convoi n°78 au départ de Lyon le 11 août avec Pinhas, né le 15 septembre 1904[6] et Benjamin-Kalma, né le 11 avril 1911 à Bedzin, naturalisé Français par le décret du 13 juillet 1930. Benjamin était résistant[7]. Herszlik décède à Flossenburg le 27 février 1945[8].

Benjamin Kaminski a été livré à Barbie par la bande à Krekler car, comme Flory l’avoue, après avoir emmené les Juifs au 21 de la rue de Bonnel, Francis André les transmettait à la chambre 4B de la Gestapo place Bellecour.

Seul survivant de sa famille, Benjamin Kaminski se constituera partie civile au cours du procès Barbie.

Les autres… qui sont-ils ? Flory est-il présent lorsque Saïd Touati arrête René Arfi au 7 de la rue Pasteur à Lyon ? Arfi, né à Sétif en Algérie le 9 janvier 1893, arrive à Drancy le 25 juillet. Il sera déporté par le convoi 77 le 31 juillet. Il ne reviendra pas d’Auschwitz. Et Touati a d’autres déportations sur la conscience.

À suivre…


[1] https://www.defense.gouv.fr/memoire/a-la-une/exposition-a-montluc-les-derniers-deportes-de-lyon

[2] Témoignage de M-L. Bordet recueilli par H. Amouroux : http://memoiredeguerre.free.fr/convoi44/derniers-convois.htm#Le%20convoi%20de%20Lyon%20Perrache%20du%2011%20ao%C3%BBt%2044

[3] Né le 4 mars 1903 à Kurcheir, Pologne. Voir : http://www.monument-mauthausen.org/spip.php?page=print-fiche&id_article=6738

[4] Il est possible qu’il s’agisse de Maurice Ceusée né en 1923 à Strasbourg, domicilié au 93 rue de Baraban. Il a été arrêté en juillet 1944, déporté par le convoi 77. Il décède à Auschwitz le 3 janvier 1945. Voir : https://www.deportesdelyon.fr/les-archives-par-famille-a-m/maurice-ceuse

[5] AD Rhône 394W 59 : 20 septembre, 1ere audition. 22 septembre : 2e audition de P. Flory par l’inspecteur Truche. L. Nefussi aurait été relâché, selon Flory.

[6] Nous n’avons trouvé aucun renseignement sur Pinhas Kaminski.

[7] Ex-capitaine, « chef de la résistance intérieure française ». Dossiers Service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 316369 et Service historique de la Défense, Caen SHD/ AC 21 P 578714

[8] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/viewer.html?pdfurl=https%3A%2F%2Fasso-flossenburg.com%2Ffiches%2FKAMINSKY%2520Henri%2520ou%2520Herszlik.pdf&clen=65496&chunk=true