Nous pas gaullistes, pas fascistes… Mais nous, pognonistes !
Comme nous l’avons écrit précédemment, le salaire moyen en France dans ces années de guerre est d’environ 2 000 francs et les jeunes Raque et Langlade gagnent un peu moins. Travailler pour Krekler, c’est 1 600 francs -a minima de plus- pour arrêter les réfractaires, sans compter les primes.
Mais quand on a goûté à l’argent, il y a encore mieux pour gagner plus : les Juifs. Car, ce qui guide les actions des Gestapistes en règle générale, c’est le pognon. À ce sujet Jean-Marc Berlière dans une excellente émission sur ce sujet, citait un collaborateur résumant bien leurs motivations : « Nous, pas gaullistes, pas fascistes… pas… Mais nous, pognonistes ![1] »
En cas d’arrestation d’un Juif, Le GA empoche là-aussi tout d’abord une prime. Garin-Michaud avouera ainsi avoir touché 1 000 francs pour avoir arrêté Itzak Katzman le 5 août 1944[2]. Et puis il y a le racket et le pillage -ou « perquisition » dans le langage des GA- suivant chaque arrestation.
Langlade l’avouera à l’inspecteur Pohl : « J’ai été désigné, d’office, pour faire partie de la section Richard, effectivement spécialisée dans les arrestations de Juifs. J’ai effectivement procédé, en compagnie des hommes de la section Richard, à des arrestations de Juifs dans la rue. Après chaque arrestation, nous procédions à des perquisitions aux domiciles des intéressés. Au cours de ces perquisitions, j’ai, comme mes collègues, soustrait aux Juifs, de l’argent, des bijoux, des vêtements, du ravitaillement[3]. » (…)
Le docteur Krekler se défendra d’avoir poussé ses GA à arrêter des Juifs. L’Ausweis, dont les GA sont détenteurs, précise d’ailleurs bien leurs missions : arrêter des personnes qui se seraient soustraites au service du travail obligatoire ou qui n’auraient pas donné suite aux sommations des services allemands ou français.

Selon Hans Krekler, l’arrestation des Juifs, cela s’est fait sans son accord, mais à la demande du P.P.F. et du capitaine Müller de la Gestapo. De son côté, Francis André a déjà sa propre équipe -notamment celle de Sambet- qui réalise le même travail afin de récupérer des fonds pour le Parti. Mais, il va sans dire que Gueule tordue poursuit un objectif : se remplir un maximum les poches, pour lui et son Parti.
Que devient le butin ?
Les GA travaillent déjà pour leur propre compte. Lors d’une perquisition, Certains, [dira Langlade à l’inspecteur Pohl] Richard, Haissemann, et d’autres, gardaient pour eux tout ou partie du butin. S’il en restait, le fruit de ces perquisitions, était remis au siège du P.P.F. (…) Je reconnais avoir à plusieurs reprises, emporté du ravitaillement saisi chez les Juifs, c’était avec l’autorisation de mon chef Richard. Ces marchandises ont été emportées par moi chez mes parents, à qui je disais les avoir achetées. [4]. »
Soit l’opération rapporte gros, soit moins. Mais, à une époque où l’on manque de tout, un pantalon, un vélo, un poste de T.S.F., peuvent se revendre à prix d’or.
Les GA de Krekler qui vont se spécialiser dans la traque des Juifs appartiennent principalement à l’équipe de Richard. On y retrouve par exemple : Geronimi, Lullier[5], Cardinali, Garin-Michaud, Morillon[6], Mérigoux, Richard, Haissemann, Robert, Touati, Flory[7], Simplet[8], Lauby[9], Nallet[10], Cuisinier[11], Facoetti[12], Langlade et Raque. Parmi eux il y a des voleurs, des pilleurs, des maîtres-chanteurs, mais aussi des tortionnaires et des tueurs.
Krekler qui donnera des indications sur chacun, signalera ainsi que Gabriel Merigoux[13] était « chef de section et tout spécialement chargé du service rue de Bonnel. Les atrocités qui ont pu y être commises l’ont été sous son instigation. Il s’était spécialement attelé à la tâche de purger Lyon de tous les éléments juifs[14]. »
À suivre…
[1] https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/haut-les-mains-histoires-de-bandits-34-destins-de-truands-sous-loccupation
[2] AD Rhône, 394W 260 : interrogatoire de Garin-Michaud par le commissaire Maurice Cottentin, 25 juin 1945.
[3] AD Rhône, 394W 260 : PV d’interrogatoire de Langlade par l’inspecteur Pohl, 7 nov. 1945.
[4] Idem.
[5] Roger Lullier né le 6 février 1921. Condamné à mort en 1946, il n’a pas été retrouvé.
[6] Auguste Morillon, né le 17 octobre 1908 à Saint-Jouvent, gérant de la brasserie les Ambassadeurs. Exécuté en 1946.
[7] Pierre Jean François Flory né le 15 février 1924. Condamné à mort, sa peine est commuée en travaux forcés. Il décède le 25 déc. 1945 à la prison Saint-Paul.
[8] Joseph Simplet né le 19 août 1908. Exécuté en 1946.
[9] Aimé Roger Lauby né le 4 août 1922 à Charvieu. Décédé en 2013.
[10] Marcel Nallet né le 18 avril 1920 à Vonnas. Décédé en 2006. Décédé en 2002.
[11] Louis Jean Marie Cuisinier né le 7 oct. 1921 à Cours-la-Ville.
[12] Léonard Louis Facoetti né le 13 déc. 1924 à Lyon. Décédé en 2002.
[13] Né le 8 janvier 1897 à Villefranche-sur-Saône. En 1944 il est domicilié au 9 de la rue des Marronniers. Il ne sera pas retrouvé à la Libération.
[14] AD Rhône, 394 W2 : PV de l’interrogatoire de Krekler par l’inspecteur Pohl, 12 septembre 1944.