Langlade et l’affaire Boursier
Quels témoins ont pu être entendus en 1944 et 1946 sur l’affaire Boursier [1]?
Marie Duchamp, bonne de l’abbé, le vicaire Joffray et le sacristain de la paroisse -Auguste Regnier- étaient sur place. Il y avait également Sœur Marie Joseph, Supérieure des sœurs de la même paroisse et une voisine Marie Taravoussi. Les deux femmes avaient assisté, mais à distance, à la scène.
Qui a arrêté l’abbé Boursier ?
Selon les témoins entendus, (le vicaire, la bonne et le sacristain), les GA étaient quatre, peut-être cinq[2] à débarquer le 16 juin alors que l’abbé est en train de dire la messe. Et, d’après les témoignages de Krekler et du GA Flory, ont été identifiés : Haissemann, Vincent, Desmettre.


Les Sœurs et le sacristain confirmeront la présence de Desmettre. C’est un jeune du quartier que tout le monde connaît à Villeurbanne. Il serait même revenu fin août à la cure, seul, information confiée par le sacristain à Marie Duchamp[3].
Il est possible que le quatrième soit Georges Reynaud. Marie Duchamp, auditionnée par l’inspecteur Pohl, affirmera qu’un des GA lui a parlé « en patois ardéchois[4] ». Or Reynaud[5], un GA de la bande à Krekler, est né à Viviers et il tient un restaurant au Teil. Était-il sur place ?
Même question pour Gabriel Merigoux[6] : Paulette Coly secrétaire de Krekler, certifiera que ce chef de section des GA a procédé à l’arrestation de l’abbé. Il s’en serait même vanté : « Cela fera un curé de moins. Il n’avait qu’à s’occuper de sa religion[7]. »
Sue le site consacré au chanoine Boursier, était également présent Louis Gillet dit « Lolo », adjoint de Francis André. Or Gillet ne fait pas partie du groupe Richard comme Haissemann, Vincent, etc. mais du groupe « Sambet » du P.P.F., chargé plus spécialement de la récupération de fonds.
Difficile de certifier la présence des uns ou des autres. Tous mentent aux inspecteurs de police, cherchant à sauver leur peau. Faire porter le chapeau à Gillet ou à Merigoux, c’est plausible. Car « Lolo », 2e adjoint de Francis André, ne sera pas retrouvé à la Libération. Et Merigoux non plus. Une chose est sûre : ce ne sont pas les Allemands qui débarquent à l’église Sainte-Thérèse, contrairement à ce qu’écrit Sylvie Altar[8].
Le témoignage de M. Duchamp
Marie Duchamp, bonne auprès de l’abbé Boursier est entendue par l’inspecteur Pohl le 3 novembre 1944. Elle raconte :
En revenant du marché « j’ai vu monsieur l’abbé boursier sortir de l’église accompagné de quatre individus. Il s’est rendu à la sacristie et ensuite à la cure. Monsieur l’abbé est entré au salon avec deux des individus tandis que deux autres sont montés au premier étage. Quelques instants plus tard j’ai entendu des coups de feu et et vu Monsieur le vicaire descendre les escaliers, suivi de l’un des policiers car j’ai su qu’il s’agissait de policiers allemands. À ce sujet je dois faire remarquer que bien que se disant policiers allemands tous ces individus étaient français. L’un d’eux m’a même parlé en patois ardéchois.
L’un des policiers tenait en respect monsieur l’abbé et Monsieur le vicaire tandis que les autres continuaient à tirer au premier étage. La fusillade a pris fin brusquement et les trois policiers sont redescendus avec un civil[9]. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé dans le salon, mais là, le vicaire et le civil ont, après une brève discussion, été mis dans la voiture des policiers.
Deux des policiers sont partis avec les trois personnes arrêtées, et les deux autres sont restés à la cure avec moi pour perquisitionner dans le bâtiment.
Dans la journée les policiers allemands sont revenus à plusieurs reprises et le soir à 20h un certain Francis André est venu et m’a arrêtée. Je le reconnais bien à sa bouche tordue sur la photographie que vous me présentez. »
L’opération se fait donc en deux temps : de 9H30 à 10H30, les quatre GA perquisitionnent la cure mais ne trouvent rien. Ils arrêtent l’abbé Boursier, le vicaire et le radio Hubert Gominet qui s’est défendu en tirant sur les GA.
Puis ils reviennent en force quelques heures plus tard. Ils sont, d’après les témoins, entre dix et vingt.
Selon le vicaire Joffray, le radio Gominet a dû parler. La troupe de GA découvre alors les postes-émetteur, des munitions et des armes. Ils en profitent également pour piller la cure et faire ripaille.
L’abbé Boursier, le vicaire Joffray, le radio Gominet et Marie Duchamp ont tous été conduits au fort Montluc.
Comme le vicaire Joffray, elle sera libérée le 24 août 1944.

Contrairement à ce qu’on lit souvent, M. Duchamp n’a pas « été rapidement libérée ». Duchamp Marie 3335W26, 3335W13 AD Rhône
Le vicaire Joffray sera torturé dit-il.
Au sujet de l’abbé Boursier, Anne-Marie Lenoir (assistante sociale) témoignera au procès Barbie. Selon elle, l’abbé en prison était « devenu une véritable épave. J’ai remarqué qu’il avait les dents cassées, que ses oreilles étaient coupées. J’ai vu aussi qu’il avait un œil en moins parce qu’il avait été crevé[10]. »

L’abbé Boursier et Hubert Gominet seront tués à Saint-Genis-Laval le 20 août. Trois jours après l’arrestation de l’abbé, les Allemands arrêtent à Saint-Laurent-du-Pont son frère, Sylvain Boursier. Le corps du résistant ne sera jamais retrouvé.
À suivre…
[1] Affaire Geronimi et autres GA inculpés de trahison.
[2] AD Rhône 394W 178 : Audition de Marie Taravoussi entendue par le juge Merlin, 5 juillet 1945. Selon le témoin, les GA étaient peut-être cinq. Elle a assisté aux arrestations depuis son appartement situé au 99 rue Hippolyte Kahn.
[3] AD Rhône 394W 260. Déposition de Marie Duchamp auprès du commissaire de police Gaston Amiot, 24 juillet 1946.
[4] Marie Laplanche épouse Duchamp est originaire du village de Meyres où elle est née le 20 avril 1878.
[5] Jean Jules Pierre Reynaud, né le 14 octobre 1911 à Viviers. Exécuté le 20 février 1950 au fort Montessuy.
[6] Gabriel Merigoux né le 8 janvier 1897 à Villefranche-sur-Saône.
[7] AD Rhône 394 W178 Déclaration de Paulette Coly à l’inspecteur Pohl, 9 novembre 1944.
[8] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo. Editions Tiresias Michel Reynaud, 2020, 431 p., p. 291. Pour l’auteure, ce sont cinq Allemands qui débarquent à l’église.
[9] Il s’agit de l’opérateur radio Hubert Gominet.
[10] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre…, op.cit., p. 292.