La traque des réfractaires

Entre mars et août 1944, 2 500 réfractaires au S.T.O. seront arrêtés. Comment procédait le GA de Krekler ?

Il y avait tout d’abord les arrestations à titre individuel. Celui qui tentait d’éviter le départ pour le S.T.O. était recherché, au moyen du fichier détenu par l’Office de Placement Allemand (O.P.A.). Mais l’inspecteur Pohl précisera bien que le travail des GA ne se cantonnait pas à utiliser ce seul moyen : les GA organisaient de véritables traques dans les gares avec le groupe de René Jacob ou arrêtaient dans la rue le moindre gars. On faisait stopper des voitures en pleine rue. C’est la spécialité de Saïd Touati. Placé sur le pont Morand ou à proximité de la brasserie Kleber près de la rue du Puits Gaillot, il fait arrêter les véhicules, demande les papiers d’identité, fouille les véhicules[1]. Si le propriétaire du véhicule n’est pas en règle, bien entendu il finit au petit dépôt de Saint-Jean, mais on lui vole également sa voiture. Pour tout véhicule « confisqué », Raque dira qu’il touchait une prime de 100 francs.

Selon le docteur Krekler lui-même, Langlade et Raque ont arrêté de nombreux réfractaires et ils y mettaient du zèle. Langlade et Raque avouent : ils ont participé aux nombreuses rafles opérées par le GA en vue d’arrêter les réfractaires, ayant pu ainsi constater que de nombreux réfractaires ont été arrêtés[2]. Selon Raque, dans une rafle, les GA pouvaient interpeller à chaque fois une dizaine d’hommes[3].

C’est ainsi qu’au début juillet 1944, Raoul Vignal 39 ans, est pris dans une rafle. Il était en train de boire un pot avec son beau-frère au café de la Mairie, place du Pont. Langlade et Raque sont présents et ils emmènent avec lui une dizaine d’hommes. Conduits rue Masséna avec les autres, Vignal a le temps d’expliquer à Raque sa situation : il a charge de famille et il est commerçant, boucher très exactement. Il prend l’apéritif avec les deux GA et il devra sa libération à un … rôti ! Un bon bout de viande qu’il offre à Raque et à Langlade. Comme quoi, tout se négocie avec les GA[4] ! Leurs autres collègues du GA sont plus ou moins gourmands :  Gay relâche des réfractaires contre 20 000 francs mais Bressant ne demande que 1 000F. « Malhonnête » est un des adjectifs qui revient le plus souvent dans les déclarations de Krekler au sujet de ses GA.

De son côté, Blache organisait des descentes dans les cafés. Quant à Vincent[5], il n’hésitait pas, selon Krekler, à cerner des quartiers entiers pour aller plus vite en besogne. Car, l’inspecteur Pohl le souligne bien : « Il ne s’agissait pas de se saisir de réfractaires, mais d’emmener en Allemagne tous les hommes valides, par mesure de représailles. »

Tout est bon pour ramener une « prise » à Krekler, réfractaire ou non.

Arthur Sarkissian, vingt-deux ans, se fait ainsi prendre à la gare Perrache en juin 1944 avec une trentaine de jeunes gars. Quatre GA sont présents ainsi que Krekler.

En juin, Krekler pense à démissionner de son poste, dit-il à l’inspecteur Pohl : il ne tient plus sa bande de voyous et s’en plaint à Paris au conseiller Meinke. Celui-ci refuse le départ de Krekler et lui adjoint un « homme énergique », venu des S.A, un certain Crohman.

Crohman, selon Krekler, devait s’occuper du GA à partir de juillet. « Je dois dire qu’il était pire que ceux dont il avait la charge. Celui-ci, agissant selon la doctrine nationale-socialiste incitait le groupe d’action à faire le plus d’arrestations possibles, tant réfractaires qu’israélites. »

Krekler explique ce que devenaient les réfractaires après l’arrestation. Ses GA « avaient le droit d’arrestation mais non celui d’écrouer. (…) Je tiens à spécifier que les ouvriers défaillants n’étaient pas considérés comme prisonniers. Ils n’appartenaient pas à la Gestapo mais étaient écroués jusqu’à leur départ à la prison Saint-Jean. Je dois ajouter que depuis juillet de cette année, mon adjoint Crohman avait insisté et envoyé sur son initiative les ouvriers défaillants non plus à Saint-Jean mais au fort Montluc. Je m’étais toujours opposé à l’incarcération des ouvriers au fort Montluc, et cela, pour la simple raison que ces ouvriers étaient comptés comme ayant été arrêtés par la Gestapo et non pas par l’Office de Placement Allemand. Cela me portait préjudice étant donné que nous avions un contingent à fournir. D’un autre côté tout incarcéré au fort Montluc échappait complètement à mon contrôle[6]. »

Selon Robert Perrault, inspecteur qui a travaillé au commissariat de la rue Saint-Jean, les détenus étaient souvent amenés par Claude Desmettre, Saïd Touati ou Camille Pellerin, ceux-ci n’hésitant pas à se présenter en tant que « policiers allemands ».

Les hommes sont ensuite examinés par un médecin allemand, assisté d’un collègue français sous les ordres de Krekler. « Ceux qui étaient reconnus inaptes étaient relâchés[7]. » Comme l’avait souligné l’inspecteur Pohl, il est exact que le « docteur Krekler » acceptait de relâcher certains prisonniers. L’inspecteur Léon Mochon qui travaillait au petit dépôt le confirme au commissaire Joseph Llop le 15 septembre 1945 dans la procédure suivie contre Geronimi.

Mais parfois, c’est l’inspecteur Mochon qui sauve la vie à un homme : lorsque le résistant Charles Izraelski[8] est amené par les hommes de Geronimi, l’inspecteur l’envoie en tant que « malade » à l’hôpital de l’Antiquaille, persuadant Krekler que le jeune homme a subi beaucoup de sévices de la part des GA. Krekler signe ainsi sa mise en liberté et Izraelski peut s’en retourner au maquis[9].

Quant aux autres, c’est Geronimi qui revient prendre ensuite « livraison » des prisonniers n’ayant pas voulu signer de contrat pour l’Allemagne. Direction Montluc.

Entre la prison Saint-Jean et Montluc, certains osent la carte de la dernière chance et tentent de s’échapper. Sarakissian racontera que ce fut le cas de deux jeunes de son groupe arrêtés à Perrache. L’un d’eux sera repris et il sera remis entre les mains des Allemands de la place Bellecour.

Puis, arrivés à Montluc, les hommes sont entassés dans une cave, dormant sur des tas de charbon et de ciment[10]. Après, c’est le départ.

À suivre…


[1] AD Rhône 394W 259 : Rapport de police du commissaire Henri Chalumeau au commissaire principal.

[2] AD Rhône 394W 260 : PV d’interrogatoire de Langlade par l’inspecteur Pohl, 7 nov. 1945.

[3] AD Rhône 394W 260 : PV d’interrogatoire de Raque par l’inspecteur Pohl, 9 nov. 1944.

[4] AD Rhône 394W 178 : Audition de Raoul Vignal par l’inspecteur Alfred Kleitz, 7 nov. 1944.

[5] AD Rhône 349W 259 :  Déposition de krekler, 12 septembre 1944. René Vincent passera ensuite au groupe Sambet.

[6] AD Rhône 394W 2 : dossier Krekler.

[7] AD Rhône 394W 259 : Déposition de Robert Perrault, 12 avril 1946.

[8] Izraelski a des faux-papiers au nom de Charles Lavégie.

[9] AD Rhône 394W 260 : Déposition de Marius Alphonse Prost, inspecteur sous-chef au commissaire Llop, 20 septembre 1945.

[10] AD Rhône 394W 259 : Déposition d’Arthur Sarkissian auprès de l’adjudant de gendarmerie S. Coissard, 29 juin 1946. Sarakissian s’en sortira, grâce à l’intervention de son père qui connaît un membre du P.P.F.