Pas tous des bandits de grand chemin

Contrairement à ce qu’en dit Knochen, tous les Gestapistes français ne sont pas des jeunes gens désœuvrés qui errent comme des âmes en peine dans Lyon. Guy Raque et André Langlade, futurs F.F.I. au maquis de Cluny, ne sont ni des ex-résistants ou prisonniers de guerre passés du mauvais côté pour sauver leur peau. Ce ne sont pas non plus des idéologues. Ce ne sont pas « des voyous ou des repris de justice » comme le certifiera l’inspecteur de police Pohl. Mais ces jeunes, c’est certain, deviendront de véritables voyous.

Ils ont suivi une formation et ils travaillent : le premier (Raque) est employé à la direction de la démographie et le second est ouvrier-fourreur. Comme le commissaire de la République le souligne en 1946, lorsqu’ils sont entrés au P.P.F. en mars 1944, ces deux jeunes vivaient de leur travail et ils n’avaient jamais été condamnés. Marie-Louise Langlade, mère de six enfants, décrit son fils comme travailleur : il lui ramène sa paye (1 800 francs) tous les mois au 28 rue Baraban, domicile de la famille. Un bon garçon qui a fait sa communion et qui sortait rarement le soir[1].

Chez les Raque, le père est certes souvent absent puisqu’il travaille sur des chantiers comme conducteur de travaux. Mais son épouse souligne que le gamin ne leur causait pas de soucis. Comme son copain Langlade, Guy ramenait son salaire à sa mère, soit entre 1 800 et 2 000 francs.

Ni le père de Langlade, ni celui de Raque n’ont signé les engagements au P.P.F. de leurs fils, mineurs en 1944. Certes, ils reconnaissent qu’ils n’ont pas été très attentifs aux agissements d’André et de Guy, lesquels sont déjà des jeunes gens indépendants puisqu’ils travaillent. Mais ceux-ci ne se sont sûrement pas vantés d’être au GA de Krekler. Le 3 novembre 1944, Edgar Raque, père de Guy, terminera sa déposition auprès de l’inspecteur en ces termes : son fils ne l’a pas tenu au courant de ses agissements mais « vu sa minorité, je me reconnais civilement responsable des méfaits qu’il a pu commettre[2]. »  

En bref, au printemps 1944, Guy et André sont deux gamins sans histoire.

Mais ces deux familles mentent-elles et cherchent-elles à protéger leurs fils ? C’est possible puisque tout le quartier à Villeurbanne sait que les deux jeunes appartenaient au P.P.F./GA. Et ils ont réalisé des « affaires », mitraillette au poing, même dans la rue de Baraban, chez des voisins.

Enquêtes de voisinage

Le jour même où les barricades s’élèvent à Villeurbanne -soit le 24 août 1944- Antoinette Petavino invective Juan Sanchez, le beau-frère de Langlade, lui-même ancien GA.  La Villeurbannaise n’a pas froid aux yeux puisqu’elle apostrophe ainsi ces résistants de la dernière heure : « C’est honteux de voir cela ! » À Sanchez, elle ose dire que toute sa famille faisait partie de la « Milice[3] ». Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à entendre…

En 1945, le juge Merlin continue son enquête de voisinage. Gabriel Mourier (camarade d’école primaire de Langlade et de Raque) confirmera : il savait qu’ils appartenaient au P.P.F. Il les a observés, armés, monter la garde rue de la République (siège du P.P.F.) et il a également vu Langlade tirer sur un homme, cours Lafayette[4]. Marie Taravoussi, amie d’enfance des deux garçons, dira la même chose au juge le 25 juin 1945. Elle a souvent vu Langlade, revêtu de son uniforme de P.P.F. (chemise bleue et béret), se rendre au siège du GA, rue Masséna.

Le 1er juillet 1944, Langlade et Raque font partie de l’équipe allemande qui se rend au 26, rue Baraban, arrêter madame Rémus. Georges, son mari est gardé par Raque, armé d’un revolver et c’est Langlade qui reviendra le lendemain voir si l’épouse de Georges est revenue à son domicile[5]. Gabriel Donjon qui vit au 26 rue Baraban, témoignera de ces faits le 19 juillet 1945 devant le juge Merlin.

Difficile de croire, à la lecture de ces témoignages accablants, que les familles Langlade et Raque -domiciliées au 28 rue Baraban- ignoraient les activités de leurs fistons. Et puis il y a l’affaire de l’abbé Boursier, dont nous reparlerons longuement.

À suivre…


[1] AD Rhône : 394 W 178 Audition de M-L. Langlade par l’inspecteur de police judiciaire Alfred Kleitz, 2 novembre 1944.

[2] AD Rhône : 394 W 178 : Audition d’Edgar Raque par l’inspecteur de police judiciaire Alfred Kleitz, 3 novembre 1944.

[3] AD Rhône : 394 W 178. Antoinette Petavino sera entendue par le juge Merlin le 28 juin 1945.

[4] AD Rhône : 394 W 178. Audition de Gabriel Mourier, 5 juillet 1945.

[5] AD Rhône : 394 W 178. Audition de Georges Rémus, 19 juillet 1945.