Même un artiste !   

Hemut Knochen, dans sa déposition au procès Barbie, dresse (…) une typologie de ces Français qui ont secondé la Gestapo dégageant ainsi quatre catégories d’individus :

-Les prisonniers rapatriés sous condition de collaboration,

-Les résistants arrêtés et libérés sous la même condition,

-Les désoeuvrés et/ou chômeurs le plus souvent en quête d’un travail qui « rapporte »,

-Les volontaires idéologues tel que Francis André[1].

Les hommes de Krekler, au moment où ils rejoignent le GA, travaillent -pour la plupart- à Lyon ou ses environs. Nous avons tenté, grâce au Journal officiel ou aux dossiers de cour de Justice, de recenser leurs professions. Il nous manque encore beaucoup d’éléments mais nous pouvons quand même continuer à dresser leur portrait.

En règle générale, le GA est issu des classes moyennes. Ainsi, pour ceux qui travaillent dans le centre de Lyon, soit 47 individus selon la liste « Krekler », on identifie : 6 employés, 1 secrétaire, 1 boulanger, 1 maçon, 1 comptable, 1 plâtrier-peintre, 1 ouvrier fourreur, 1 aide-cuisinier, 1 boucher, 1 mécanicien-dentiste, 1 chauffeur, 1 dessinateur, 1 représentant de commerce. Geronimi est employé et ses cinq chefs d’équipe exercent la profession de cantonnier (Haissemann), boulanger (Richard), employé de bureau (Jacob), employé de commerce (Reynaud), maçon (Mérigoux).

Nous trouvons même, et c’est peu commun au SD de Lyon (section VI), un artiste. Nous nous éloignons quelque peu de l’histoire du GA mais nous ne résistons pas à vous faire son portrait.

Un artiste à la section VI du SD

Maxime Joseph Albert Sardi est né le 1er mars 1908 au 6, rue de France à Nice où son père André -d’origine italienne- exerce la profession de sommelier.

Après des études secondaires, Max Sardi entre à l’École Nationale des Arts décoratifs de Nice puis à l’École des Beaux-Arts de Paris. Il fut l’élève de Pierre Bonnard, Jean Gabriel Domergue, Paul Audra, Maurice Denis.

En 1926, il épouse Angèle Barbero à Nice.

« En 1927 il peint, en Pologne, les fresques de Palais Barowoski puis, en 1935, en collaboration avec Severini, diverses fresques religieuses à la chapelle dominicaine du Sacré Cœur de Lausanne[2]. »

En 1935, il obtient le prix de France puis il emporte le concours du prix de Rome. C’est à cette date qu’il peint à Lausanne des fresques dans la chapelle du Sacré-Cœur.

Divorcé de sa première femme, il épouse en 1937 à Tanger, Eveline Juliette Mossmann (1908-1974).

L’agent LY 120

Arrive la guerre. Quand entre-t-il à la Sicherheitsdienst section VI (service S.D.  proprement  dit  s’occupant du renseignement et de la manipulation des agents secrets), dirigée par l’Obersturmführer August Moritz puis par Thalmann ? Et pour quels motifs ? Pour l’argent ? Sardi était également gérant-barman à Marseille au restaurant La Caravelle. La peinture, ça ne nourrit pas toujours son homme.

Ou par idéologie ? Ou pour les deux ?

On sait que Sardi était présent à Lyon au moins dans la période d’août 1943 à mai 1944. Il loge alors au 18 boulevard des Belges, tout en gardant une adresse rue Masséna à Nice et une autre à Saint-Gervais. Au S.D. de Lyon, il est immatriculé LY 120. Ses collègues s’appellent Borsard, Francis André, Fuchs, « Gazo », Girousse, Hausmann, Valente et Walmuth.

La maîtresse aux pieds minuscules

Il a dû quitter son épouse Angèle et s’est acoquiné avec Lydia Domange (épouse Navelle ?). Elle est née en 1920 à Roquebrune-Cap Saint-Martin et les enquêteurs seront aussi sur la piste de cette collaboratrice à la Libération mais sans succès. Non identifiée par la Justice, on sait qu’elle est « petite, aux cheveux châtains, qu’elle a des pieds minuscules et qu’elle a le type méridional. »

Dans les rangs de la résistance lyonnaise, Sardi et sa maîtresse sont des collabos de première main à rechercher. Avis est lancé dans le journal « 14 juillet. Organe de la résistance de la sous-région de Lyon » de mai 1944 qui les considère comme des « individus dangereux ». Le journal donne même l’immatriculation de la voiture conduite par Lydia Domange : 1650 RG-2 CC[3].

La fuite vers l’Italie

On ne les retrouvera pas tout de suite : à la fin de l’été 1944, ils ont pris -comme beaucoup de collabos lyonnais- la poudre d’escampette, direction l’Italie où ils doivent aider au parachutage d’agents S.R.A. (Service de renseignements allemand) en France.

Sardi -avant de mettre les voiles pour l’Italie avec la belle Lydia- est passé au S.D. de Marseille, section VI sous les ordres de Martin. En 1946, il sera condamné à mort par contumace. On n’arrive donc pas à le localiser à son retour en France.

Par ordonnance du 18 novembre 1946, les biens, droits et intérêts de son père André sont mis sous séquestre. La mainlevée est ordonnée en octobre 1948.

De l’Italie, Sardi est revenu à ses premières amours : la peinture. C’est en 1946 qu’il peint à Marseillle des fresques pour l’église du Prado ainsi que trois grandes compositions en l’église Saint -Roch à Toulon (1948-1952). » Alors qu’il est poursuivi pour avoir trahi son pays, peut-être cherche-t-il à faire acte de rédemption ?

Condamné aux travaux forcés

La Justice le retrouve en 1948 alors qu’il a commencé ses fresques pour l’église de Saint-Roch à Toulon.

Que lui reproche-t-on ? La presse fait état d’une dénonciation d’un Juif (Goldschmidt), d’avoir été responsable de l’arrestation d’un contributeur des contributions directes au Lavandou (agent du réseau « Alliance » qui avait organisé le départ du général Giraud) et d’avoir participé à une rafle à Mégève avec August Moritz[4].

Bon, il a sûrement œuvré encore plus au S.D. Mais ce qui est rigolo, c’est de lire dans une de ses biographies sur internet qu’on l’aurait seulement accusé d’avoir peint le portrait du général Rommel. Sardi aurait été « contraint » de peindre cette pièce maîtresse pour une collection privée allemande.

Mais bien sûr. Quand on est immatriculé comme agent au S.D., on n’est pas un enfant de choeur. Loin de là.

Alors qu’il vient d’être jugé, il épouse Lydia Domange aux pieds minuscules le 5 juillet 1948.

Sardi passera quelques années en prison en Corse puis, comme tant d’autres Gestapistes français du S.D. de Lyon, il finira vite par être libéré.

Le peintre Max Dissar

Sur internet, les marchands d’art le saluent comme étant de la veine d’un Picasso ou d’un Dali. Alors que ces deux-là ont pris leur envol, c’est manque de chance pour Sardi : sa courte incarcération aurait retardé sa carrière…

Sorti de prison, il obtient le prix de France en 1953.

Sardi a opté pour un nouveau nom : il choisit de signer ses toiles Max Dissar. D’où toute la difficulté que nous avons eue à retrouver sa trace.

Il peindra surtout des clowns : Les Rastelli, Oleg Popoff, Les Cavallini, Les Fratellini…

©auction.fr

C’est sûr : peindre des clowns, ça portait moins préjudice que de faire le portrait du général Rommel.


[1] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo. Editions Tiresias Michel Reynaud, 2020, 431 p., p. 386.

[2] https://www.auction.fr/_fr/lot/plume-et-aquarelle-sur-papier-de-max-dissar-1908-port-de-vevey-5461049

[3] 14 juillet. Organe de la résistance de la sous-région de Lyon, 5 mai 1944, n°1.

[4] La gazette provencale,12 mars 1948. Nous n’avons pas consulté son dossier de cour de Justice.