Les hommes du GA-Krekler
À Lyon, six commissions chargées du « recrutement des ouvriers » existent. Hans Krekler est d’abord chargé, dit-il à l’inspecteur Pohl, de « recruter » chez les étudiants puis on lui confie également la commission des « ouvriers défaillants ».
Sylvie Altar note au sujet du GA que leur « structure pyramidale (…) relève d’une organisation bureaucratique, centralisée et paramilitaire qui veut éviter toute incertitude[1]. » Krekler avait environ sous ses ordres 110 hommes. C’est Philippe Geronimi qui coordonne les cinq sections du GA avec à leurs têtes : Haissemann, Richard, Jacob, Reynaud et Mérigoux.
Ces mêmes sections étaient ensuite subdivisées en groupes de cinq hommes avec chacune à sa tête un sous-chef. Les GA oeuvrent à Lyon et aux alentours[2], mais pas seulement. Hans Krekler déclare ainsi à l’inspecteur Pohl que certains GA travaillaient en Isère (Pont-de-Cheruy et Jons[3]), à Bourg-en-Bresse[4], dans la Haute-Loire (Le Puy en Velay, Craponne-sur-Arzon et Pradelles[5]).
Grâce aux diverses enquêtes menées, on peut ainsi -mais de manière très partielle- retrouver les membres d’une équipe. Ainsi, l’arrestation de Fernand Morandy -passé du GA de Lyon au maquis de Morestel- permet d’avoir -à quelques éléments près- la composition du groupe de Gabriel Richard, avec outre Morandy : Muhr, Lafaye, Platel, Pissavy, Raque, Langlade, Blanc, Emery, Grolier, Garnier, Robert Marcel, Flory, Demarlie, Antonin, Blache, Cortot, Gigon, Grosse, Mazas, Moiroud, Pellerin, Monteil, Marconini.
Qui sont-ils ?
L’origine des GA est plurielle : certains sont d’anciens miliciens (Cardinali, Marchionini, Jacob, Michel), d’autres ont été G.M.R., tel Delbreil. Ils peuvent avoir appartenu à la Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme (LVF) à l’instar de François Chrétien[6]. Ils feront toute leur « carrière » au GA de Krekler ou le quitteront. Certains rejoindront la « police allemande » de la place Bellecour et travailleront notamment aux côtés de Francis André (Haissemann[7], Vincent, Cardinali) tandis que d’autres enfin partiront à la ligue anti-bolchévique dirigée par Henri Couchoud (Depres, Morel). Selon l’inspecteur de police judiciaire Pierre Proton, une chose est sûre : il était d’usage chez les nazis de recruter leurs agents du SD parmi les membres des Groupes Action « les plus zélés. »
Nous n’avons pas pu retrouver chacun des GA et nous ne pouvons donc pas mener une étude complète du groupe des hommes employés par Krekler. Néanmoins, voici quelques éléments les concernant.
Des gamins devenus des bandits
Si Philippe Geronimi et ses cinq chefs d’équipe sont relativement âgés (Mérigoux est né en 1897, Haissemann en 1909, Reynaud et Geronimi en 1910, Richard en 1914, Jacob en 1916)[8], les membres de leurs équipes sont tous jeunes, voire très jeunes. Raque et Langlade -qui rejoindront le maquis de Crue près de Cluny en août 1944- ne sont âgés que de 16 et 17 ans[9] et la plupart de leurs semblables au GA ne sont pas bien plus âgés, dans la vingtaine pour la plupart. Parmi eux, citons Claude Rousseaux (16 ans en 1944) du groupe de Mauz au SD, Claude Desmettre (18 ans en mars 1944) et Pellerin qui a fêté ses vingt ans en décembre 1944.



Tous gamins qu’ils sont, ils vont dénoncer, arrêter, piller et pour certains, tuer. Desmettre, par exemple.
René Marroux, à 13 ans chez les Gestapistes
Notons que le plus jeune garçon ayant travaillé non pas pour le GA de Krekler mais pour le SD -et notamment la bande de Moog- n’a que treize ans. Il s’agit de René Marroux, né en 1930 ou 1931. Le 29 juin 1943, Moog arrête Alberte et son fils Daniel Bourde, dont l’appartement était une des plateformes de l’activité de Jean Moulin à Lyon[10]. Dans la foulée, le 30, c’est au tour de la famille Marroux qui vit un étage au-dessous des Bourde. Ils cachent notamment un poste-émetteur appartenant aux Bourde. Maurice Marroux (étudiant, vingt-cinq ans) et ses parents Edmond et Julia partent en déportation, comme les Bourde. Les parents Marroux décéderont en déportation. Alberte, Daniel et Maurice reviendront des camps.
Ce jour du 30 juin, reste dans l’appartement des Marroux, René, leur plus jeune fils. Ni une ni deux, Louis Thys alias « Le Boiteux » embarque René au 1, rue de la Tête d’Or où la bande à Moog s’est installée, dans l’appartement du résistant R. Montet du réseau Brandy[11].
René sera chargé -soi-disant- de répondre au téléphone. Lui a-t-on demander de remplir d’autres tâches ? À la Libération, vu son jeune âge, les enquêtes concluront que l’adolescent n’était pas conscient de la portée de ses actes.
Quelle était l’emprise des Gestapistes français sur ces jeunes gens ? Car, soit ils arrivent au GA ou au SD par eux-mêmes, soit ils sont « recrutés ». C’est la tâche de Doithier (1911-1991) à Pont-de-Cheruy ou encore de Revillard (1921-1995) pour le centre de Lyon. Ce dernier aurait notamment recruté Langlade et Raque, futurs F.F.I. au maquis de Cluny.
Cela reste une question à creuser, comme celle de ces familles éclatées avec d’un côté des résistants, et de l’autre, des collaborateurs. Ont-ils pu faire acte de résilience ?
Comment se retrouver après la guerre, ce qui est le cas des frères Marroux quand l’un est parti en déportation avec ses parents tandis que l’autre s’est laissé embarqué par la bande à Moog ? Même chose dans les familles Langlade, Grégoire et Desmettre.
À suivre…
[1] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo. Editions Tiresias Michel Reynaud, 2020, 431 p., p. 388.
[2] Marandin et Morandy à Décines, Sykora à Neuville-sur-Saône, Facoetti à Oullins, Cuisinier à Cours-la-Ville.
[3] Comte à Jons (alors située dans le département de l’isère), Pigeon, Lauby et Nallet à Pont-de-Cheruy.
[4] Robert Gay.
[5] Charles Albert Chiocca à Craponne, Marcel Enjolhas à Pradelles, Vincent et Quinqueton au Puy-en-Velay.
[6] Selon Krekler, Chrétien est entré au GA en juin 1944. Il a été arrêté par la police allemande fin juillet comme déserteur et a dû être libéré. Krekler l’a vu au fort Montluc : Chrétien est alors passé chez les F.F.I.
[7] Haissemann passera ainsi dans l’équipe de Francis André chargée de la « récupération des fonds du PPF ».
[8] Mérigoux Gabriel : 8 août 1897 à Villefranche-sur-Saône, Haissemann René Roger Raymond : 26 août 1909 à Oullins, Reynaud Henri Louis Claude : 9 octobre 1910 à Valence, Geronimi Philippe Marie : 24 août 1910 à Lyon 2, Richard Gabriel le 6 mai 1907 à Lyon 2, Jacob René : 12 octobre 1916 à Lyon 2.
[9] Langlade André Marcel né le 21 mars 1927 à Lyon 2 et Raque Guy Eugène François Gabriel né le 2 juillet 1927 Lyon 3.
[10] Convert Pascal. Daniel Cordier, son secrétariat, ses radios : Essai critique sur Alias Caracalla. La perquisition a permis la saisie d’armes, de pièces pour émetteurs clandestins, de faux papiers cachés dans leur appartement.
[11] Voir l’article : La Gestapo tricolore à Lyon, 1943-1944- partie III et La Gestapo tricolore à Lyon, 1943-1944- partie VI.