L’exemple du résistant Louis Delorme (1914-1944)
De retour des archives départementales, encore une mauvaise surprise. Et je me dis parfois qu’il faudrait peut-être arrêter de chercher puisque le risque est grand de casser beaucoup de mythes concernant la résistance en Clunisois. Que faire de tous ces héros adulés qui ont obtenu des médailles à gogo ? Faut-il se taire et laisser le commun des mortels encore croire que c’était des gens au passé irréprochable ?
Aujourd’hui, parlons un peu de « Jean-Louis » Delorme, un vrai héros pour la résistance à Cluny, chef de maquis, « Mort pour la France » le 1er septembre 1944. Nous étions même allés un jour d’automne voir sa stèle à Genouilly… Comme quoi.
Oui, jusqu’à aujourd’hui, un héros, même si nos recherches sur Doussot et compagnie nous ont souvent mis en alerte dès que l’on trouve mention d’un de ses compagnons de route aux archives…
Delorme, héros de la résistance dans le Clunisois

Louis Delorme, né le 6 novembre 1914 à Chalon-sur-Saône était employé de bureau puis, comme l’indique avec justesse l’article, inspecteur de police au début de la guerre. Sa famille résidait alors à Genouilly. Son père, Abel né en 1879 dans ce petit village de Saône-et-Loire avait épousé Renée Simmoneau. Le couple avait eu cinq enfants. Selon sa fiche matricule, Abel Delorme était électricien et il travaillait en 1903 à Grenade (Espagne) pour la compagnie générale d’électricité. La consultation de différents sites de généalogie nous le présente comme « consul de France », toujours à Grenade. Ainsi, certains des enfants Delorme naissent en Espagne, tandis que Louis, comme une de ses soeurs, naissent à Chalon-sur-Saône.
En 1940, la famille Delorme a rejoint le village de Genouilly. C’est là qu’Abel Delorme décède, le 13 décembre.
Policier français ? un sujet tabou
Selon André Jeannet (« Mémorial de la Résistance en Saône-et-Loire- Biographie des résistants »), Delorme est prisonnier de guerre et il s’évade en août 1941. Le caporal Delorme du 23e R.I.C. a été effectivement prisonnier de guerre au Stalag de Limburg.

Deux mois après son évasion, Delorme, selon A. Jeannet, est affecté le 27 octobre 1941-en tant qu’inspecteur de police auxiliaire- « au contrôle de la ligne de démarcation à Sennecey-le-Grand (…). Il démissionna le 21 septembre 1942. » On peut s’interroger sur cette fulgurante promotion, d’autant que Delorme ne se présente pas, dans le document présenté datant de juillet 1942, comme un auxiliaire mais comme un « Inspecteur de police nationale ». A-t-il suivi une formation à l’École Nationale Supérieure de Police à Saint-Cyr-au-Mont-D’Or ?
« Le rôle joué par la police sous Vichy dans la lutte contre les « terroristes » ou dans les persécutions raciales ne sont pas des souvenirs et des vérités bonnes ou agréables à rappeler », écrit Jean-Marc Berlière dans un excellent article sur » La loi du 23 avril 1941 portant organisation générale des services de police en France. »
Pendant donc presque un an -et cela reste encore à préciser- Delorme a travaillé pour Vichy dont l’objectif, selon J-M. Berlière, était d’attirer « des recrues de qualité et à accroître le prestige d’un « corps d’élite » et dont Vichy « entendait faire un des piliers de l’œuvre d’assainissement et de redressement que les hommes de juillet 40 s’étaient clairement assigné comme but. »
Traque des Juifs, des résistants et plus tard des réfractaires, telles sont les missions des policiers français sous Vichy.
À quelle date Delorme rejoint-il la résistance ? A. Jeannet émet l’idée que « ses activités résistantes ont dû commencer avant même sa démission de la police, avec Joseph Marchand, adjoint de Robert Boiteux (Ange Newagent), chef du réseau du même nom. »
Fin juillet 1942 : Delorme délateur
Notons toutefois que Delorme était encore en fonction comme inspecteur de police fin juillet 1942 puisqu’il rédige un joli rapport au commissaire des RG de Mâcon. Oui, un joli rapport. Lisez vous-mêmes. Nous sommes le 26 juillet 1942. Il fait sûrement un soleil écrasant en Saône-et-Loire et la campagne sent encore bon les foins. C’est dimanche. En repos, Delorme décide de rendre visite à sa famille à Genouilly.
L’inspecteur de police n’est pas en service. Il n’est donc pas obligé de rédiger ce rapport. Il n’a pas été contraint de mener une enquête. Mais, au village, il fouine à la recherche de renseignements pour conforter des informations obtenues d’une « source sûre ».
C’est un futur médaillé de la résistance qui donne au commissaire des RG les points de passage de la ligne de démarcation, permettant aux Juifs -et autres (prisonniers évadés, les parachutés)- d’emprunter le chemin de Genouilly pour éviter l’arrestation et peut-être la déportation. C’est un homme auquel tout Cluny rendra hommage, qui dénonce au commissaire les gendarmes de Saint-Gengoux-le-National, selon lui pas bien efficaces.
Que sont devenus ces cinq Juifs polonais ? Auschwitz, Buchenwald, Mauthausen ? Et le chauffeur de taxi qui acceptait de les convoyer vers Lyon ? Même destination ?
C’est plus qu’un excès de zèle : le 26 juillet 1942, Delorme a fait un sale boulot de délation alors que rien ne l’y obligeait. C’était dimanche. Il faisait beau. Delorme aurait pu se contenter de prendre du bon temps avec sa famille.

À la même date, d’autres Saône-et-Loiriens choisissent de protéger les Juifs. Zilka Resler-Dankowitz, née le 12 décembre à Tarnow (Pologne) franchit clandestinement la ligne de démarcation fin juillet 1942. Elle est accompagnée de deux jeunes filles. C’est André Jarrot, garagiste à Lux et futur Compagnon de la Libération, qui les prend en charge. Il installera Zilka Resler à Saint-Cyr jusqu’à ce qu’elle parte pour Grenoble. Et ce sauvetage, il est acté : Zilka Resler en témoignera après guerre.







Tiburce rendra à Delorme un vibrant hommage : « Il est mort dans la soirée en crânant toujours, il n’y a personne dans nos vallées qui ne se soit senti un vide immense au cœur, personne qui n’ai senti ce vide autant que moi. Jean-Louis, qui donc te remplacera jamais, qui donc sourira comme toi, qui dira, qui fera, ces tendres folies dont tu ornais la vie, qui comme toi nous montrera comment elle doit être vécue cette vie ? De cette petite bande que nous étions, ces quelques amis qui se trouvaient si bien ensemble, pour combattre ou bien simplement pour vivre combien vont donc tomber sur le chemin, combien verront cette libération à laquelle ils ont tant rêvé ? » (Mémoires d’un résistant en Saône-et-Loire, Albert Browne-Bartroli alias « Tiburce », agent S.O.E, 1915-1917.)
Ni tout blanc, ni tout noir
Certes, on m’objectera que Delorme s’est battu comme un lion. Et c’est vrai. C’était un saboteur hors pair. Et c’est vrai. C’était un véritable chef au maquis pour ses hommes. Et c’est vrai. Blessé à plusieurs reprises, il meurt pour la France le 1er septembre 1944. Et c’est vrai. Mais il est faux de présenter Delorme comme « un résistant de la première heure. »
Il y a -pour Delorme comme pour beaucoup d’autres- ces zones d’ombre devant nous faire enfin accepter que les parcours des « héros » ne sont pas toujours rectilignes et seule une plongée dans les archives peut nous amener à écrire une histoire juste. Dans cette histoire complexe des années de guerre, il faut accepter de reconnaître que tout n’a été, ni tout blanc, ni tout noir. En bref, on ne naît pas résistant et l’on est parfois passé d’un camp à un autre. Quand ? Pourquoi ? Comment ? Telles sont les questions auxquelles il faut pouvoir apporter des réponses.
On vous en reparlera avec les membres du Groupe Action de Lyon du docteur Krekler qui débarqueront au maquis de Crue en août 1944.
À suivre…