Le Groupe d’Action de Justice Sociale du « docteur Krekler ».
Le Groupe d’Action de Justice Sociale (GAJS) encore plus connu sous l’acronyme « GA » est formé à Lyon en mars 1944, sur la décision de Doriot, en accord avec le Gauleiter Sauckel[1].
Traquer les réfractaires et les Juifs
C’est une force de police auxiliaire mise à la disposition de l’office de placement allemand (O.P.A.) et formée d’éléments recrutés à la Milice ou au P.P.F. Le GA est rattaché au SD, tout en conservant une grande indépendance. Si nous avions, avec Doussot et Moog, parlé surtout de traque des résistants, le GA œuvre dans un tout autre registre. En effet, son rôle premier est de rechercher et d’arrêter les réfractaires au S.T.O. et de convoyer les transports d’ouvriers Outre-Rhin.
Un GA « de base », rémunéré par l’office de placement allemand, touchait 3 600 francs par mois -ce qui était déjà mieux qu’un salaire moyen, soit 2 000 francs- auquel il fallait rajouter bien sûr des primes pour les arrestations ou pour la « réquisition » de voitures. Quant au salaire d’un chef d’équipe tel que Geronimi, son salaire était de 4 200 francs.
Bien entendu, comme les auxiliaires français des autres services, les GA pourchasseront également les Juifs, menant ainsi des opérations plus lucratives afin de se remplir les poches. Nous en reparlerons.
À Lyon, le Groupe d’Action est très bien organisé avec à sa tête Hans Krekler. Coordonné par l’agent Philippe Geronimi, le GA est composé de cinq sections de vingt agents, elles-mêmes fractionnées en groupes de cinq hommes, chacun conduit par « un sous-ordre choisi pour sa brutalité ou son intransigeance[2]. »

À la Libération, les enquêteurs identifient plusieurs équipes, dont celle de René Jacob, ce dernier s’occupant plus spécialement des rafles de réfractaires dans les gares. En effet, il ne s’agissait pas pour le GA d’arrêter uniquement les réfractaires -comme le certifiera Krekler- mais bien tous les hommes valides par mesure de représailles.
Le GA de Lyon n’a quasiment pas fait l’objet d’études. Seuls Sylvie Altar et Régis Le Mer y consacrent quelques pages dans leur ouvrage « Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo[3] ». Dommage que ces quelques pages ne figurent que dans leur conclusion et que le GA ne soit pas référencé dans la table des matières, que leur index comporte des lacunes (Krekler par exemple) et que -dans l’ensemble- leur publication sur le P.P.F. soit bien confuse.
À la tête des GA : « le docteur » Hans Krekler
Hans Krekler est né à Menden (Allemagne) le 29 septembre 1901. Connu à Lyon sous le nom de « docteur Krekler », il est en effet titulaire d’un doctorat en droit. Marié à Wilhelmine Maus, le couple a deux enfants. Pendant la guerre, Wilhelmine quittera son mari pour -soi-disant- un officier supérieur et celui-ci vivra à partir de février 1943 avec ses enfants et sa maîtresse Charlotte Laussucq. Née le 14 juillet 1911 à Soustons dans les Landes, elle sera emprisonnée à Montluc à la Libération. Toutefois, l’inspecteur de police judiciaire Pohl jugera que Charlotte Laussucq n’était qu’un « personnage insignifiant » n’ayant pas collaboré.
C’est en effet l’inspecteur de police judiciaire Léon Pohl qui sera chargé d’enquêter sur Krekler à la Libération. Interrogé dès le 12 septembre 1944, Krekler lui livrera une version des faits mais Pohl n’est pas né de la dernière pluie et ne se laissera pas facilement berner. Car, bien entendu, Krekler cherchera à se dédouaner pour éviter de finir devant le peloton d’exécution, et il trouvera -comme bien d’autres Gestapistes- des résistants pour témoigner en sa faveur.
Pour finir, le « docteur Krekler » sera condamné par jugement de la cour martiale du Rhône le 5 octobre 1944 pour « avoir dirigé une bande de gens, sans aveux, à la solde de l’étranger, qui livrait à une puissance étrangère des soldats français. » Notons bien qu’aucune allusion n’est faite au sujet des arrestations de Juifs par le GA. Krekler se défendra ainsi à ce sujet : c’est à la demande de Muller et du P.P.F. que les GA s’occupaient de l’arrestation des Israélites. Lui, il était contre.
Il sera exécuté le 11 octobre suivant. Que nous livre -comme indications- son dossier de la cour martiale[4] ?
Hans Krekler, anti-nazi ?
Hans Krekler : 1.72 m, yeux bleus, cheveux clairs, grisonnants, nez busqué, trois cicatrices sur le visage provenant de coups de sabre. Comment se présente-t-il devant l’inspecteur de police judiciaire-section criminelle, Léon Pohl ?
Il serait entré en France en 1936 comme réfugié politique. En Allemagne, il se dit auparavant connu comme « l’avocat des Juifs[5] ». Il choisit de fuir son pays et de s’installer à Paris, là où il savait trouver le mouvement d’opposition au national-socialisme. Aucun souci, il parle parfaitement le français.
Il aurait alors appartenu à Paris au mouvement de « L’Allemagne libre » dirigé par docteur Klepper, ex- ministre prussien. Il rédigera notamment des articles dans le journal du mouvement, destiné aux ressortissants allemands (3000 exemplaires environ).
Après avoir milité dans un mouvement anti-hitlérien, Krekler se serait engagé -à la déclaration de guerre- dans la Légion étrangère (1er régiment, 3e bataillon) envoyé en Algérie à Saida. Démobilisé en 1941, il revient en métropole.
Condamné par une juridiction allemande pour ne pas s’être présenté aux autorités de son pays dès le début des hostilités, il purge une peine de dix-huit mois de prison à Dortmund (Allemagne) puis il rejoint tranquillement Paris en décembre 1942. Il aurait alors été « forcé » par les autorités allemandes de travailler pour son pays.
On le retrouve alors employé au service de propagande allemande à Paris dirigé par le docteur Hoffmann puis statisticien à l’office de placement allemand à Marseille et enfin directeur départemental de l’O.P.A.

Le Petit Marseillais, 9 avril 1943 au sujet de La Relève. Krekler assiste au départ du train.
En février 1944, il est muté « par mesure disciplinaire »[6], mais il devient président de cette même commission à Lyon. Il prend officiellement ses fonctions en mars 1944. À son arrivée, le service des GA était déjà organisé -dit-il à Pohl- avec des chefs français « provisoires », dont Geronimi, Haissemann et Vincent.
À suivre…
[1] Altar Sylvie, Le Mer Régis. Le spectre de la terreur. Ces Français auxiliaires de la Gestapo. Editions Tiresias Michel Reynaud, 2020, 431 p., p. 387.
[2] Idem., p. 388.
[4] AD Rhône, dossier Krekler : 394 W2, cour martiale.
[5] Krekler est entendu le 12 septembre 1944 par Léon Pohl, inspecteur de police judiciaire.
[6] Krekler dira que ses supérieurs le trouvaient « trop mou ». Or, constate Pohl, il va occuper à Lyon un poste qui exigeait une « énergie indomptable » puisqu’il devait gérer une bande de voyous et de repris de justice, venus principalement de la Milice ou du PPF.