Historiographie/Shoah: Une historienne juive refuse le prix de l’Institut Pilecki

Eliyana Adler affirme que l’Institut Pilecki ignore comment certains Polonais ont profité du meurtre de leurs voisins ; le directeur qualifie ces allégations de « non fondées ».

Par JTA et TIMES OF ISRAEL STAFF16 novembre 2021,

E. Adler (You Tube)

L’historienne juive américaine Eliyana Adler a refusé un prix d’une valeur de 19 000 dollars de l’Institut Pilecki du gouvernement polonais.

Mme Adler accuse l’organisme de supprimer les travaux des « historiens qui s’efforcent de montrer les aspects complexes, voire tragiques, du passé de la Pologne en temps de guerre. »

Mme Adler, professeure associée à la Penn State University, a reçu un nouveau prix pour ses travaux sur la Pologne du 20e siècle, la spécialité de l’Institut Pilecki, pour son livre de 2020, Survival on the Margins : Polish Jewish Refugees in the Wartime Soviet Union. Cet honneur devait être décerné conjointement par le musée d’Auschwitz.

« L’Institut Pilecki, bien que très généreux dans son soutien à certaines études historiques sur la Seconde Guerre mondiale, a également été impliqué dans la suppression du travail d’historiens qui s’efforcent de montrer les aspects complexes, voire tragiques, du passé de la Pologne pendant la guerre », a écrit Adler dans une lettre datée du 4 novembre et adressée à l’Institut. Cette lettre a été publiée en ligne vendredi.

Les institutions gouvernementales polonaises ont en effet été accusées par les historiens de blanchir le rôle controversé de citoyens polonais dans le traitement des Juifs durant la Shoah. Le pays a adopté en 2019 une loi – largement critiquée – qui rend illégal le fait de blâmer la nation polonaise pour les crimes nazis.Barbara Engelking, spécialiste de la Shoah, (à gauche) et Jan Grabowski, spécialiste de la Shoah, (à droite). (Yad Vashem via AP / Autorisation)

Une récente affaire judiciaire très médiatisée a opposé les historiens Jan Grabowski et Barbara Engelking au gouvernement polonais. Ce dernier a jugé que le couple devait présenter des excuses pour leur livre mettant au jour les atrocités présumées d’un maire polonais pendant la Shoah. Une cour d’appel a annulé cette décision en août.

« La guerre et l’occupation poussent les humains et les sociétés à leurs limites. La situation pendant la Seconde Guerre mondiale a été horrible pour tous les Polonais, mais pas dans la même mesure. Certains Polonais non juifs, dont le profil figure sur le site web de l’institut, ont perdu la vie en protégeant leurs compatriotes juifs. D’autres, comme nous le savons grâce aux travaux des professeurs Jan T. Gross, Jan Grabowski et Barbara Engelking, entre autres, ont profité de diverses manières du meurtre de leurs voisins », a écrit Mme Adler dans sa lettre.

Wojciech Kozłowski, directeur de l’Institut Pilecki. (Crédit : avec l’aimable autorisation de l’Institut Pilecki)

Samedi, Wojciech Kozlowski, directeur de l’Institut Pilecki, a répondu dans une lettre publiée sur le site Internet du centre, rejetant les allégations d’Adler et l’accusant d’avoir pris une décision hâtive.

« Je ne suis pas surpris que vous fassiez ces allégations sans preuve ni exemple, et c’est parce qu’elles sont totalement infondées », a-t-il écrit. « Tout comme l’étude du passé, la consultation des sources et la vérification des récits facilement accessibles sont également nécessaires pour développer une opinion éclairée sur le présent. Cela prend toutefois plus de temps que les quatre jours qui se sont écoulés entre votre réponse positive à l’information selon laquelle vous avez gagné le prix et votre décision finale de le refuser. »

Kozlowski a noté que le but du prix du livre était que la littérature sur l’histoire de la Pologne au 20e siècle publiée dans différentes langues puisse élargir le champ de la discussion par le biais d’un « dialogue direct. »

« Nous croyons toujours que cela est possible », a-t-il écrit, avant d’adresser une « invitation permanente » à Mme Adler à visiter l’institut.

Selon la description de presse du livre, le travail d’Adler se concentre sur « environ 200 000 réfugiés juifs de Pologne » qui, de 1940 à 1946, « ont vécu et travaillé dans la dureté de l’intérieur soviétique ».

« Ils ont enduré des travaux forcés, un froid glacial et des privations extrêmes. Mais, hors de portée des nazis, ils ont échappé au sort de millions de leurs coreligionnaires pendant la Shoah », peut-on lire dans la description.Photographies de Witold Pilecki à la prison de Mokotów en 1947. (Crédit : domaine public)

L’Institut Pilecki doit son nom à Witold Pilecki, un général qui a contribué à la création de l’Armée polonaise secrète, un important mouvement de résistance aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pilecki avait usurpé son identité pour entrer à Auschwitz, où il a aidé à organiser un soulèvement et a recueilli des informations sur les atrocités commises par les nazis. »