Danielle Gouze, médaillée de la résistance
Danielle, selon Pierre Péan, a rencontré François Mitterrand à Paris pendant les vacances de Pâques de 1944. Vers le 28 mai, il passe par Cluny : Danielle a succombé au charme de « Morland » et fait le vœu de se marier dans les quatre mois. La date de leurs fiançailles correspond à la date anniversaire de l’arrestation de Berty, le 28 mai 1943. Le 30, Mitterrand est de retour à Paris.
Une histoire de cerises
Le 6 juin, Danielle passe son baccalauréat à Lyon. À la sortie de l’épreuve, un agent (Féréol de Ferry) l’attend : Mitterrand craint pour la sécurité de sa belle, les Allemands ayant perquisitionné le local de son réseau parisien :
« C’est une photo (…) qui aurait pu permettre le rapprochement entre les activités de mes parents et le réseau des prisonniers[1]. » D. Mitterrand.
Selon Pierre Péan qui a reconstitué minutieusement l’agenda du futur couple Mitterrand, Danielle est accompagnée à Paris par Féréol de Ferry pour rejoindre son fiancé le 6 juin puis ils redescendent rapidement tous les deux en Bourgogne deux jours plus tard[2]. Ouf, les deux tourtereaux échappent aux Allemands lors d’un conrôle à la ligne de démarcation. Une histoire de cerises. Passons. Vous pouvez lire tout ce joli récit dans les différentes biographies concernant Danielle.
Là quand même, y’a un truc qu’on ne pige pas : Mitterrand est recherché par la Gestapo. Il craint pour sa fiancée puisqu’une photo de Danielle a pu être trouvée à Paris. Et il fait remonter sa fiancée bourguignonne à Paris, dans la gueule même du loup. Bizarre, non ?
Danielle restera à Cluny du 8 juin au 11 août 1944, date à laquelle Mitterrand préfère alors la mettre en sécurité à Dijon, chez les parents de son fidèle ami, Jean Munier.
« Patria non immemor », devise de la médaille de la résistance
Entre le 8 juin et le 11 août 1944, Danielle a donc œuvré pour recevoir la médaille de la résistance, attribuée aux femmes et aux hommes dont, depuis 1940, une commission avait reconnu les « actes remarquables de foi et de courage[3]. »

F. Mitterrand est ministre des anciens combattants et victimes de guerre du 22/01/1947 au 22/10/1947. Dans le même temps, il reçoit la médaille de la résistance (avec rosette) par décret du 31 mars 1947. Selon le site « Mémoire des hommes », son épouse a été décorée à la même date (31 mars 1947) mais nous n’avons pas trouvé trace de ce décret la concernant au Journal officiel.
Cinquante-huit Saône-et-loiriennes furent ainsi également décorées de la médaille de la résistance. Nous ne résistons pas à l’envie de vous rappeler certaines de ces femmes nées dans notre département : Cécile Bergerot qui mit sa maison dans le Jura à la disposition de Paul Rivière pour accueillir les voyageurs en provenance ou à destination de Londres, les sœurs Arcelin résistantes-déportées, Odette Dauxois de Salornay-sur-Guye, la communiste Marie-Louise Beau qui participa à une cinquantaine d’opérations armées à Marseille, etc.
Comment Danielle Gouze a-t-elle aidé la résistance et est-elle réellement -c’est ainsi que M. Joly la présente- depuis qu’elle a dix-sept ans « agent de liaison et recherchée comme terroriste[4]. » ?
Les sources, toujours les sources…
Cet article sera un des plus compliqués que nous ayons eu à rédiger. Pour la simple raison qu’il n’y a aucune source pour trouver de la matière concernant la résistance de Danielle Gouze. Rien chez les bons connaisseurs de la résistance dans le Clunisois (Martinerie et Jeannet), rien dans « Le pire c’est que c’était vrai » -recueil de témoignages sur la période 1940-1945-, rien dans les récits laissés par M-A. Rebillard, nommée « infirmière major des F.FI. ». Rien aux archives départementales, rien aux archives communales. Rien aux archives conservées à Vincennes.
Pour retracer le parcours de Danielle entre juin août 1944, hormis un rapide témoignage de Simone Besson qui ne s’étend pas sur le sujet, nous n’avons donc consulté que des sources imprimées et donc premièrement ses écrits dont En toutes libertés, (1996) et Le livre de ma mémoire (2007). Au point de vue de la chronologie des faits, ce dernier ouvrage est en totale contradiction avec ce qui a été écrit par certains biographes auxquels elle s’est confiée.
Danielle le revendique : « Je vous livre mon témoignage vécu avant et pendant la guerre. Il me situe dans le camp de la Résistance[5]. »
Nous avons poursuivi avec la lecture de quelques biographies : celle en 1982 de M. Picar, J. Montagnard (Danielle Mitterrand : portrait) et celui de J. Sauvard (Les trois vies de Danielle Mitterrand en 2012). Très rapidement nous avons arrêté les frais car aucun de ses auteurs n’a pris la peine de vérifier les noms, les lieux, les faits, se contentant souvent de recopier ce que l’autre avait écrit, en y ajoutant parfois de grossières erreurs. En bref, la vérité historique ne les a pas trop embarrassés. Celui de la journaliste Sauvard en est l’exemple le plus frappant et son ouvrage contient de surcroît des inventions les plus farfelues les unes que les autres.
A contrario, le livre que le journaliste Pierre Péan consacre à Mitterrand[6] est une mine pour retracer l’itinéraire du couple entre leur rencontre et leurs retrouvailles à la libération. Il ne consacre néanmoins aucune ligne à l’engagement de Danielle Gouze, Mitterrand étant le sujet principal de son travail. Même constatation dans le récent livre de François Gerber « Mitterrand – Entre Cagoule et Francisque (1935-1945) » paru en 2016.
Danielle, infirmière pour le maquis
Selon son frère Roger, sa jeune sœur Danielle et sa belle-sœur Simone Besson s’étaient engagées comme infirmières dans le maquis « de Cluny ». Cette dernière le confirme[7], même si elle a surtout œuvré par la suite -ce qui est exact- au standard clandestin permettant aux différents groupements d’être mis en relation.
L’organisation du service médical
Jean Martinerie décrit ainsi l’organisation du service médical à Cluny et dans les environs : entre le débarquement et le 11 août 1944, d’après la gravité des blessures, certains maquisards étaient soignés sur place, chaque maquis possédant une organisation de soins en mesure de répondre à des interventions[8].
Autre solution pour la prise en charge des blessés légers : l’établissement de petits hôpitaux de campagne. Le premier a été installé dans une ferme à Vaux-sur-Aisne. Le deuxième est organisé chez les dames Favre à Bourgvilain par M-A. Rebillard et Anne de la Moussaye. Il ne servira jamais puisque le bombardement de Cluny empêchera la liaison Cluny-Bourgvilain. Toutefois, les dames Favre accueilleront ultérieurement des convalescents.
Certains maquisards pouvaient être pris en charge par les médecins de Cluny et des environs : sont bien connus pour avoir apporté leur aide à la résistance le docteur Pleindoux de Cluny « le père du maquis », les docteurs Caix et Broudeur (Lugny), Bennetin (Salornay/Guye), Baud (St-Gengoux). Les maquisards plus gravement blessés étaient évacués vers les hôpitaux de Cluny et de Charolles où officiait le docteur Beaufils qui les cachait dans les combles. C’est le cas de Jean-Louis Delorme, grièvement blessé en janvier 1944 alors qu’il voulait attaquer les chantiers de jeunesse de Cormatin. Opéré à Charolles, il passera ensuite sa convalescence chez le médecin de Salornay-sur-Guye avant d’aller se cacher à Lyon.
Après la bataille du 11 août, l’École des Arts-et-Métiers accueillera également un hôpital militaire jusqu’en octobre 1944. Les blessés y étaient acheminés grâce à un service d’ambulances médicalisées. M-A. Rebillard nommée « infirmière major » -une figure bien connue des Clunisois- officie là sous les ordres d’un médecin, le capitaine Chedru. Elle renforce son équipe de soignantes avec Agnès de Valence et M-L. Desvignes dite « Tototte ».

À la tête du service médical des F.F.I. un homme : le docteur Mazuez (un proche de Bazot, ami de l’usurpateur Kalis de Frontac ou « Colonel Alain » et soutien du gestapiste Doussot) dont nous avons déjà parlé dans différents articles. Les états de service du docteur Mazuez au maquis sont d’ailleurs signés à la Libération par le margoulin « Colonel Alain ».
À quelle date Danielle situe-t-elle son entrée comme infirmière au maquis ?
À quatre ans d’écart, on trouvera plusieurs versions au sujet de la date de son engagement.
Avant ou après la bataille d’Azé ?
En 1982, alors que la polémique enfle au sujet de l’engagement de Mitterrand dans la résistance et de sa francisque décernée par le régime de Vichy, la première dame de France se confie pour la première fois à Julie Montagard (journaliste) et Michel Picar (écrivain)[9]. Ils ont conduit des entretiens auprès de Danielle, mené des « enquêtes rigoureuses auprès de ceux qui l’ont connue ». On annonce au lecteur que l’ouvrage est un roman vrai d’une vie et document d’histoire contemporaine ». C’est pas rien.
Elle a alors cinquante-huit ans et les faits remontent à trente-huit ans en arrière. Danielle doit donc encore avoir des souvenirs précis. Commençons donc par celui-ci.
Elle situe son entrée en fonction comme « infirmière du maquis » vers le 10 juin 1944. C’est au bistrot qu’elle prend la décision de s’engager en écoutant le récit d’un maquisard. Après une échauffourée, un gamin avait eu l’œil crevé. « Pendant son agonie, il a gratté le sol avec tant de fureur que tous ses ongles avaient disparu[10]. » Il peut s’agir soit de Raymond Jeanniard ou de Robert Lenfant, blessés à la seconde bataille d’Azé le 2 juillet. La description correspond : on sait qu’un des jeunes hommes avait reçu une balle dans la nuque ressortie par le front et qu’il avait griffé le sol autour de lui avant qu’on ne le retrouve. Évacués sur l’hôpital de Cluny, Lenfant et Jeanniard décéderont le surlendemain[11]. En ce début juillet, les blessés graves étaient donc évacués à l’hôpital de Cluny.
Danielle a donc dû rejoindre le service de Mazuez avec Simone Besson après le 2 juillet. C’est à cette date, que nous notons que le docteur Mazuez installe son premier hôpital « dans un château[12] ».
Mais. Mais quatre ans après la sortie du livre de Montagard et Picar, Danielle Mitterrand date son entrée au maquis à la fin mai 1944. Avec une douzaine de gars, « de solides garçons valeureux », elle cohabite alors « dans une grande bâtisse isolée ». Là, filles et garçons dorment tous à même le sol[13]. Interviewé en 1974, Mitterrand exagérera donc un tantinet lorsqu’il racontera que Danielle et Simone Besson vivaient au milieu de 400 maquisards. Diantre. 400, ça fait beaucoup et ça peut faire froid au dos lorsqu’on sait comment certaines jeunes femmes ont été traitées par Lucien Doussot dit « Lulu La Gestapo » au maquis de Crue. Nous avions rappelé dans une série d’articles combien cet ancien gestapiste de Lyon n’hésitait pas « En Crue » à tuer et à violer.
Mais l’honneur est sauf puisque J-L. Delorme (chef du maquis de Crue en juillet 1944) est présent et veille, écrit Danielle. Il lui aurait même donné la permission de monter à Paris pour rejoindre quelques jours Mitterrand[14].
Quant à l’auteure Jocelyne Sauvard, elle nous prévient : pour rédiger son livre, elle a gardé « son cap : l’objectivité, la mise à distance, l’information rigoureuse (…)[15] » Comme elle est également l’auteure d’une biographie sur Simone Veil, on est emballé et nous ne sommes pas à quelques euros près. Bien mal nous en a pris.
Voire en mars 1943 ?
L’auteure fait débuter l’engagement de Danielle non pas en 1944 mais carrément le 18 mars 1943 ! La jeune fille est alors agent de liaison : elle porte des messages à un maquis qui n’a rassemblé qu’une poignée de jeunes hommes neuf jours auparavant[16]. S’y trouve également « Jean-Louis Delaporte, leur chef de réseau. » Pauvre Delorme, son nom est escamoté deux fois par l’auteure.
Puis, toujours en ce printemps 1943, Danielle aurait déjà rejoint le docteur Mazuez qui soigne déjà des blessés dans une grange. Ah bon ? Y’avait déjà des blessés en mars 1943 ? Et puis même un mort de vingt ans avec Mazuez, lequel a rejoint le maquis seulement à la mi-juin 1944 ? Et puis il y a ces maquisards qui ont terriblement faim et à qui Danielle porte « des nouilles » dans les bois. Et la pauvre madame Gouze qui n’a pas le droit aux tickets d’alimentation pour nourrir sa famille[17]. Peuchère ! Il y a de quoi pleurer dans la chaumière.
Quiconque connaît l’histoire du premier maquis de Crue se rappellera qu’il ne comprenait qu’une poignée de réfractaires au S.T.O. et qu’il était ravitaillé par des résistants clunisois. Quant à Delorme, il s’occupe alors du maquis de Saint-Gengoux-le-National et il n’y a eu aucun blessé en Crue à cette époque.
Des vertes et des pas mûres, il y en a d’autres mais nous ne perdrons pas notre temps à vous les relater[18].
Alors…, si l’on laisse de côté cet ouvrage, quid de cette entrée « au maquis » ? Après le 2 juillet à Touzaine ou au maquis de Crue[19] à la fin mai 1944 ?
Autre source : celui de la fondation Danielle Mitterrand. Là, on acte l’entrée de Danielle au maquis en mars 1944 « comme infirmière bénévole » Mais le maquis n’a pas encore besoin d’infirmière à cette date…
Danielle est sûrement une jeune fille intrépide et indépendante. Mais, côté parents, Antoine Gouze et son épouse auraient-ils laissé leur fille partir au maquis en mars ou fin mai 1944 alors qu’elle doit passer son bac début juin à Lyon ?
Poursuivons.
« Personne ne peut oublier Jean-Louis Delorme »…
Car il y a encore un os. Danielle aurait également soigné Jean-Louis Delorme, blessé le même jour que Lenfant et Jeanniard à la bataille d’Azé, fait confirmé par Jean Martinerie et Capitaine Jacques[20] : il a eu le dos grêlé d’éclats. Danielle « les fera sauter un à un à la pointe d’un couteau. » confiera-t-elle en 1982 à la journaliste Montagard[21].
L’information se tient mais un Compagnon de la Libération –Eugène Condette– signalera que Delorme était soigné par le docteur Baud de Saint-Gengoux-le-National[22]. Alors Baud ou Mazuez ? Qui a pansé les plaies de Delorme ?
En 1986, Danielle complète l’histoire de J-L. Delorme ainsi : « notre chef de maquis, a été blessé en faisant sauter le pont de l’Ave Maria, à Villefranche. » À la suite de quoi, elle lui aurait enlevé les éclats de de grenade[23].
Or le sabotage du pont de l’Ave Maria à Arnas, événement a eu lieu le 6 août 1944 et non pas le 2 juillet.
Puis, dans son ouvrage « En toutes libertés » paru en 1996, Danielle fait mourir le résistant Delorme à Arnas : « « Il a été tué à Villefranche-sur-Saône, alors qu’il faisait sauter le pont ferroviaire de l’Ave Maria[24] ».
Or Delorme a été blessé sur la RN 6 le 31 août et il décède à l’hôpital de Cluny le 1er septembre. À cette date, il y avait belle lurette que Danielle n’était plus à Cluny.
Pour finir, en 2007, Danielle a oublié le pont de l’Ave Maria et donne enfin une version plus proche de la vérité : « Jean-Louis est mort au combat dans un village, au nord de Cluny[25]. »
« Morland » et Delorme, copains de régiment ?
En 1982, confie-t-elle à J. Montagard, son amoureux est à Cluny. Nous sommes début juillet. La jeune fille est au maquis et c’est encore Delorme qui entre en scène. Il la conduit en voiture à Cluny : là, Delorme adoube Mitterrand en tombant dans ses bras : ils auraient servi dans le même régiment au début de la guerre[26]. C’est à ce moment-là, dit-elle qu’elle aurait appris le véritable nom de son fiancé dont elle ne connaissait que le pseudo : « Morland[27] ».
L’information sera relayée en 1996 dans l’ouvrage « En toutes libertés[28] ». Toutefois, en février 1984, si Mitterrand évoque dans un discours à Cluny la figure de Delorme, il se gardera de préciser que le résistant l’avait connu au régiment[29]. Mais, à l’instar de son épouse, il fera mourir Delorme lors du sabotage du pont de l’Ave Maria à Arnas[30].

Lors de la cérémonie du 14 février 1984 à Cluny, que ce soit dans les rangs des résistants présents ou de leurs descendants, l’information a dû faire un sacré flop et certains ont dû rire sous cape.
Alors, Danielle a-t-elle soigné Delorme ou non ? Où, quand, comment ? Et le connaît-elle si bien que cela ?
De Touzaine à Butte-à-Vent
Où est installé l’hôpital de campagne où Danielle et Simone font office d’infirmières ?
Leur groupe trouve tout d’abord une planque au château de Touzaine. Le docteur Mazuez « entré tardivement en résistance[31] » pour reprendre les mots de l’historien Robert Chantin, est présent avec les deux jeunes femmes.

Elles sont, comme Mitterrand se plaira à le rappeler en 1974, « sous l’aimable protection » de Mazuez qui deviendra député-socialiste[32].
Mazuez, photo collection Georges Legras.
Alors que tous les blessés graves sont envoyés à l’hôpital de Cluny, Mazuez aurait opéré sur place un très jeune homme blessé par une balle explosive à la gorge ressortie par la nuque. « [Sa] tête semblait à peine tenir au reste du corps[33]. » Ce n’est donc pas une blessure de rien du tout ! Mazuez aurait-il pu soigner ce genre de blessé dans une infirmerie de campagne ?
Citation « Ici, une mort sursitaire, déchiquetée, se montrait au grand jour. »
Après un coma et huit jours de soins -et veillé par Simone et Danielle- le miraculé semble sauvé. Remis sur pieds, il décédera -selon Danielle- en Allemagne victime d’une rafale de mitraillette.
Avec leur miraculé, le groupe déménage ensuite au château de Boutavent sur le lieu-dit Butte-à-vent, commune de Cortambert. Une heure après avoir quitté Touzaine « les Boches » auraient investi les lieux, précise Danielle[34].

Les communs du château de Boutavent où a été installée l’infirmerie clandestine.
Elle se souvient de François Chassy, résistant et fermier au château, de Paul Rocher, de Léon Lacroix qui, avec une douzaine de gars, assurent la sécurité de l’hôpital clandestin de Mazuez. Lorsqu’un blessé est intransportable, le maquis lance une fusée. « Danielle répond aux signaux. Munie d’une trousse de secours et de médicaments d’urgence, elle se précipite sous la chaleur torride de juillet au secours des blessés. Néanmoins, la mission semble dangereuse et ses chefs décident -après deux tentatives- de ne plus l’envoyer en première ligne[35].
Le problème de la transmission du souvenir et de la mémoire
Un témoignage de maquisard aurait tendance à confirmer la présence de l’infirmière Danielle, mais cette fois-ci à St-Gengoux-le-National. C’est celui de René Poulachon de Saint-Ythaire, dont les propos ont été recueillis par sa fille en 2004[36]. L’ouvrage a été d’ailleurs préfacé par René Pernot. Lorsqu’il se confie à sa fille, René Poulachon a alors 83 ans. Mais, en analysant ses souvenirs -tellement approximatifs ou inexacts- on ne peut pas présenter cette source comme étant fiable.
- Pour René Poulachon, Joseph, père de François Mitterrand était en 1944 chef de gare à Cluny. C’est lui qui aurait eu l’idée de lancer la locomotive dans le tunnel du Bois-Clair, événement bien connu à Cluny et orchestré par le cheminot Gallimardet dit « Fofo »[37]. Joseph Mitterrand a en effet travaillé aux chemins de fer, mais jamais à Cluny et depuis 1919, exit le chemin-de-fer, puisqu’il dirigeait une vinaigrerie à Jarnac.
- Blessé le 23 août 1944 à la chapelle Saint-Martin du côté de Laives, René Poulachon aurait été soigné le 24 août à l’hôpital clandestin de Saint-Gengoux-le-National[38] par le docteur Baud et Danielle : « Ben y’est la femme Mitterrand qui m’a soigné. En arrivant, elle était à l’hôpital là-bas. (…) La femme à Mitterrand, l’éther, machin. Frictionnait le dos. À vif, comme ça. Y’avait dix-sept éclats… Qu’y sont sortis[39] ». Or, comme nous l’avons précisé, François Mitterrand a demandé à son ami Jean Munier de mettre Danielle à l’abri à Dijon le 11 août.
René avait alors vingt-trois ans et on imagine bien qu’à cet âge-là, tout maquisard blessé aurait apprécié d’être soigné par cette belle jeune fille aux « yeux de chat », ces yeux qui ont séduit Mitterrand.

René Poulachon n’a donc pas connu la chance d’être soigné par la belle Danielle.
C’est à Cortambert, souligne Simone Besson, que les deux jeunes femmes assistent, depuis la terrasse du château, au parachutage du 14 juillet 1944.

Jusqu’à quelle date restent-elles à Boutavent ? Il est impossible de répondre à cette question.
Cinquante-deux ans après les faits, l’écrivaine D. Mitterrand s’enflammera. Elle a envie de faire corps avec la résistance : « Et nous repoussons l’offensive ennemie », écrit-elle au sujet du 11 août. Puis, « sur un soldat allemand fait prisonnier, nous trouvons une carte stratégique. Sur le point figurant Cluny, nous identifions la même indication que sur la ville d’Oradour-sur-Glane[40]. »
Lors du bombardement du 11 août 1944, la famille Gouze -comme de nombreux Clunisois craignant pour leur vie- se réfugie dans les hauteurs de Cluny. De son côté, M-A. Rebillard s’active à l’hôpital civil avec une seule infirmière bénévole (Melle Marlin) et les soeurs, tandis que les Clunisois « les plus valides et les plus courageux s’employaient à fouiller et dégager les décombres. »
Danielle sera médaillée de la résistance en 1947, « une des plus jeunes médaillées de la résistance » comme les journalistes aimeront souvent le rappeler.
Danielle quitte Cluny
Le 11 août 1944, Jean Munier, un proche de Mitterrand, vient récupérer Danielle pour la mettre à l’abri à Dijon.
Selon Pierre Péan, elle retrouvera François Mitterrand le 11 septembre, jour de la libération de la capitale de la Bourgogne.

Mitterrand la reconduit à Cluny puis ce sera le grand jour : leur mariage en octobre 1944. (Photo : JSL)
Avec le passé résistant de sa famille, Danielle aura servi son époux jusqu’au bout. En 2007, elle martelait encore :
« Vous verrez que François était un grand résistant[41] ».
« Car on ne vit pas sur ses souvenirs », disait François Mitterrand. Néanmoins, dès la campagne électorale de 1974 des élections présidentielles, il se sert de l’histoire de sa belle-famille. Une béquille de plus pour faire oublier qu’il avait vendu auparavant son âme en servant fidèlement Vichy.
Quant à l’engagement dans la résistance de la famille Gouze, difficile, sans documents archivistiques, de retracer leur parcours. Faut-il croire la Clunisoise Germaine Moreau, déportée, lorsqu’elle disait de ses voisins en 2004 qu’ils avaient été résistants « sur la pointe des pieds[42] » ? Faut-il croire Danielle Gouze et son frère ? Le lecteur devra se faire sa propre idée.
C’est en nous rendant sur place au château de Boutavent que nous avons eu confirmation qu’une petite infirmerie clandestine avait bien installée dans les communs. C’est « Tante Yvonne » qui était alors propriétaire des lieux. Que Danielle Gouze et Simone Besson soient passées à Boutavent, c’est certain. Que le groupe ait préparé des pansements en déchirant les draps des propriétaires, c’est possible.
Combien de temps le groupe a-t-il investi les lieux ? Il est impossible de répondre à cette question. Maintenant, que « le toubib » Mazuez ait opéré des blessés graves sans les installations et le matériel nécessaire, c’est fort peu probable. Malgré les risques, tous les grands blessés étaient conduits à l’hôpital de Cluny, c’est ce que relatent les témoins de l’époque.
Dur travail de l’historien quand il s’agit de réfléchir au problème de la transmission du souvenir et de la mémoire…
À suivre…
[1] Mitterrand Danielle. En toutes libertés. Paris : Éditions Ramsay, 1996, 350 p., p. 59.
[2] Péan Pierre. Une jeunesse française. François Mitterrand, 1934-1947. Paris : Fayard, 1994, 611 p., p. 419.
[3] https://www.ordredelaliberation.fr/fr/en-savoir-plus-sur-la-medaille-de-la-resistance-francaise
[4] Joly Michel. « Danielle Mitterrand et les Kurdes : le rêve d’une Première dame. » Revue Hommes & migrations [En ligne], 1307 | 2014, mis en ligne le 15 janvier 2015.
[5][5] Mitterrand Danielle. Le livre de ma mémoire. Paris : Folio, 2007, 444 p., 2012, p. 166.
[6] Péan Pierre. Une jeunesse française – François Mitterrand, 1934-1947. Paris : Fayard, 1994, 611 p.
[7] De Blanot à Suin : 8 femmes racontent 1944… (I.2)- https://wordpress.com/view/cluny-histoiresdhistoire.com
[8] Martinerie Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311 p. pp.,187-188.
[9] Montagard Julie, Picar Michel. Danielle Mitterrand, portrait. FeniXX réédition numérique (Ramsay) (1 janvier 1982), 235 p., pp. 163-165.
[10] Idem., p. 204.
[11] Ibidem., p. 204. Pour Martinerie, il s’agit de Lenfant. Pour Jacques Duboin, de Jeanniard. Voir : Capitaine Jacques. Maquis Victoire. Editions Alsatia, 1944, 135 p., p. 32.
[12] Dossier Pierre fernand Mazuez, Service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 407735.
[13] Mitterrand Danielle. Le livre de ma mémoire…, op.cit., p. 167.
[14] Idem., p. 167. Selon P. Péan, Danielle ne se rendra qu’une fois à Paris et c’est le 6 juin après que Feréol de Ferry soit venue la chercher à Lyon lors des épreuves du baccalauréat.
[15] Sauvard Jocelyne. Les troies vies de Danielle Mitterrand. L’Archipel, 2012, 293 p., p. 293.
[16] Dans la nuit du 9 au 10 mars, quelques Clunisois réfractaires montent se cacher à la ferme de Crue. Delorme ne sera jamais présent en Crue avant juin 1944.
[17] Les Gouze touchent bien leurs tickets comme tous les Clunisois selon les registres des tickets de rationnement que nous avons consultés.
[18] Sauvard Jocelyne. Les troies vies…, op.cit., p. 19 et suivantes.
[19] Delorme est installé au maquis de Crue.
[20] Capitaine Jacques. Maquis Victoire. Editions Alsatia, 1944, 135 p.
[21] Montagard Julie, Picar Michel. Danielle Mitterrand, portrait…, op.cit., p. 172.
[22] Condette Eugène. Les chemins d’une destinée. Histoire d’un compagnon de la libération. Mâcon : X. Perroux, 1966, 249 p., p. 191.
[23] Mitterrand Danielle. Le livre de ma mémoire…, op.cit., p. 166.
[24] Mitterrand Danielle. En toutes libertés…, op.cit., p. 61.
[25] Mitterrand Danielle. Le livre de ma mémoire…, op.cit., p. 166.
[26] Montagard Julie, Picar Michel. Danielle Mitterrand, portrait…, op.cit., p. 172.
[27] La famille Gouze a déjà rencontré le fiancé fin mai 1944. Antoine Gouze aurait-il accepté le projet de marier sa fille à un homme dont il ne connaissait pas la véritable identité ?
[28] Mitterrand Danielle. En toutes libertés…, op.cit., p. 61.
[29] Le Progrès, 15 février 1984. N’ayant pas retrouvé la fiche matricule de Delorme aux archives de Mâcon, il est impossible de vérifier, si oui ou non, les deux hommes se connaissaient au début de la guerre.
[30] Idem.
[31] Son dossier conservé aux archives de Vincennes date son entrée au maquis au 15 juin 1944.
[32] INA politique, 11 mai 1974. https://www.youtube.com/watch?v=SmgPgpeEcC8
[33] Montagard Julie, Picar Michel. Danielle Mitterrand, portrait…, op.cit., p. 166.
[34] Mitterrand Danielle. En toutes libertés…, op.cit., p. 60. À Montagnard, elle confiera qu’elle était, au moment du bombardement, avec ses parents et des maquisards réfugiés dans les hauteurs de Cluny.
[35] Montagard Julie, Picar Michel. Danielle Mitterrand, portrait…, op.cit., p. 171.
[36] Poulachon Dominique. René, maquisard. Sur les sentiers de la résistance en Saône-et-Loire. Paris : L’Harmattan, 2011, 231 p., p. 131.
[37] Idem., p. 102 et p. 131.
[38] L’hôpital clandestin a été installé dans la cure par le chanoine Dutroncy et le docteur Baud de St-Gengoux.
[39] Poulachon Dominique. René…, op.cit., p. 20.
[40] Mitterrand Danielle. En toutes libertés…, op.cit., p. 68.
[41] https://www.youtube.com/watch?v=fZ-7R5Z_Sb8
[42] Martinerie Jean. Éléments…, op.cit., pp. 32-33.
Le père Gouze était ami de mon grand -père Jules Pierreclaud, il étaitbien résistant. En ce quiconcerne Danielle, ça faisait bien rire ma mère qui la connaissaitn même école. Simone était dans la classe de sa soeur.
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« Le père Gouze était ami de mon grand -père Jules Pierreclaud, il était bien résistant. »
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