Antoine Gouze, médaillé de la résistance ?

Rentré du Brésil où il a vécu sept ans[1], Roger Gouze continuera de travailler pour l’Alliance française puis, entre 1981 et 1993, il collaborera au ministère des affaires étrangères en étant notamment conseiller technique et chargé de mission auprès de Roland Dumas[2]. En 1982, Roger Gouze publie ses « Miroirs parallèles ». Après les ouvrages de Bénouville et de Frenay, ce sera la troisième publication relatant l’implication de la famille Gouze pendant la guerre. La même année, Julie Montagard et Michel Picar dressent également un premier portrait de Danielle Mitterrand. Quelques pages seront consacrées à son engagement dans la résistance, et par là-même à sa famille.

La carrière d’Antoine Gouze -en tant que principal- le mènera dans les collèges de Verdun (1924), Dinan (1930) et Villefranche-sur-Saône (1937). C’est dans la cité caladoise qu’il fut révoqué dès le 25 juin 1941 officiellement pour « fautes professionnelles », mais officieusement parce qu’il avait refusé de donner la liste -non pas des enfants juifs comme on le lit très souvent- mais peut-être celle du personnel juif de son établissement[3].

Date de la mise à la retraite d’Antoine Gouze, 25 juin 1941. Il est remplacé par M. Jougla, principal à Moissac.

Chez Ruquier en 2007, Antoine Gouze aurait même « caché », dit Ruquier, des enfants juifs. Danielle Mitterrand ne réagit pas.

De plus, selon R. Gouze, son père est franc-maçon, deuxième motif qui entraîne la révocation dans l’Éducation nationale. C’est ce que pense Frenay : « Vichy l’a révoqué car il est franc-maçon[4]. »

Que disent les lois édictées par Vichy ?

La loi du 17 juillet 1940 « concerne les syndicalistes et les opposants politiques que l’on accuse alors de faute professionnelle. » Le fonctionnaire est alors remercié avant la limite d’âge mais perçoit une retraite. Une deuxième loi (celle du 13 août 1940) vise les francs-maçons et celle du 3 octobre les Juifs[5].

Le gouvernement de Vichy a-t-il demandé d’établir une liste de son personnel juif ? Oui. À l’automne 1940, les recteurs et inspecteurs d’académie reçoivent une circulaire les enjoignant de ficher les Juifs[6]. Puis la répression s’intensifie et le gouvernement de Vichy peaufine le procédé de recensement afin que personne ne passe entre les mailles du filet. Tout fonctionnaire devra dorénavant remplir un formulaire envoyé dans les établissements. Proviseurs, principaux et autres responsables sont chargés de retransmettre les fiches à leur autorité.

L’article 1er de la loi du 3 octobre 1940 vous concerne-t-il ?

Il est probable qu’Antoine Gouze se soit opposé au fichage ou à la retransmission des documents concernant le personnel de son collège caladois.

Antoine Gouze franc-maçon

A. Gouze a-t-il été révoqué pour avoir appartenu à la franc-maçonnerie ?

Alors qu’il résidait à Dinan, Antoine Gouze a en effet été initié à la loge « Union de Belleville » en 1930. Il a le grade de Maître en 1936, dernier grade en loge bleue[7] mais n’occupe -d’après sa fiche- aucune fonction importante (Vénérable-maître, secrétaire, orateur, etc.). À son arrivée à Villefranche-sur-Saône, il n’est affilié à aucune loge.

Les premières mutations puis révocations ne débutent du reste qu’à l’automne 1941[8]. « Le 4 octobre 1941, un télégramme ministériel ordonne la démission d’office des enseignants dignitaires francs-maçons – décision confirmée par une circulaire portant la même date[9]. »

Selon la loi du 11 août 1941, les noms des francs-maçons sont publiés au Journal officiel. C’est ainsi que nous avions retrouvé, par exemple, les noms des personnels de l’École pratique, tous « remerciés » alors puisqu’ils occupaient -ou avaient occupé- les plus hautes fonctions en maçonnerie. Le nom d’Antoine Gouze n’a pas figuré au Journal officiel. Il n’a donc pas été limogé pour avoir été franc-maçon.

Ce n’est qu’en 1946 qu’il est réintégré dans la franc-maçonnerie. En effet, c’est à cette date qu’une procédure de réintégration commence pour chaque maçon, afin d’évincer les « collabos » des loges. Puis, de retour à Cluny au moment de la retraite, il rejoint la loge Les Arts réunis à Mâcon où il occupe la fonction d’orateur[10]. A. Gouze restera profondément attaché à la franc-maçonnerie. La symbolique gravée sur sa tombe au cimetière de Cluny le rappelle :

Sur le devant de la pierre, figurent deux symboles, à gauche une croix pattée ( ou ancrée) et sur la droite une étoile que l’on pourrait penser être l’étoile de David mais qui est sans doute le « sceau de Salomon » parce que les branches de ces deux triangles sont entrelacées et non superposées.

Ces deux symboles font partie du Rite Ecossais Ancien et Accepté des « Grades de Perfection » ou « Hauts Grades » auxquels appartenait A. Gouze dans des structures qui dépendaient de la Loge parisienne, « La Clémente Amitié ». Pour ce qui est de la pierre couchée, si l’on reste dans ce même axe, il se pourrait qu’elle représente la « Pierre Brute » qui rappelle à tout Franc-maçon, quel que soit son grade, qu’il reste un éternel apprenti appelé à dégrossir la pierre brute. 

Suit l’épisode Frenay et Berty et leur hébergement chez les Gouze. Là, sans conteste, il s’agit d’un acte de résistance puisque la famille prend des risques, même s’ils ne connaissaient pas l’identité de leurs locataires, hypothèse pour laquelle nous penchons.

Parcours de la famille Gouze après mai 1943

Après le 28 mai 1943, selon Roger Gouze, « la famille reprit contact avec la Résistance[11]. » D’une part son père « a dû fuir, averti par Léonce Clément[12], qu’il figure sur la liste des otages à la Gestapo de Lyon. Il erre en Bourgogne, caché par des parents ou des amis[13]. » Dans une émission de télévision, Danielle renchérit : la maison est devenue un centre de rencontre des résistants. Sa famille est sur le qui-vive car la Gestapo est venue plusieurs fois à Cluny « faire des descentes ».

Lors de l’opération de la SIPO-SD en février 1944 qui envoient plus de soixante-dix personnes en déportation, les Gouze ne figurent pas sur la liste des personnes à arrêter. Parti se reposer pour raisons de santé, Antoine Gouze n’est pas à son domicile ce jour-là. Madeleine, Danielle et leur mère assistent au départ des déportés.

Or, hormis l’opération du mois de février, de quelle descente Danielle a-t-elle souvenir ? Celle du 16 mai 1944 organisée par la milice et qui conduit à l’arrestation des résistants F.T.P., les communistes Angebaud et Doridon ? A. Gouze n’était pas communiste. Et nous n’avons pas trace -dans les comptes-rendus des renseignements généraux- d’autres descentes des Allemands ou de la milice à Cluny.

Danielle et son frère ne s’étendront pas plus sur les activités de leurs parents au sein de la résistance pendant l’année 1944. Quant à la version d’un Antoine Gouze qui aurait pris la tangente, nous n’en trouvons aucune trace. Il semble bel et bien présent à Cluny entre Pâques et la fin juin 1944 puisqu’il assiste -par exemple- à un déjeuner avec Danielle et son futur gendre vers le 28 mai. Le lendemain, Danielle annoncera à sa mère qu’elle épouse « Morland[14]. »

Selon le site « Mémoire des Hommes » ou celui de « l’Ordre de la Libération », un certain Antoine Gouze a été médaillé de la résistance (décret du 27 oct. 1944) mais nous n’avons ni date, ni lieu de naissance. Et nous n’avons pas trouvé trace de ce décret au Journal officiel. S’agit-il du père de Danielle ou d’un homonyme, un certain Antoine Gouze, professeur de droit à Angers ? La mention de la médaille de la résistance ne figure pas dans le dossier de la Légion d’honneur du père de Danielle.

A. Gouze a été nommé officier d’Académie (1921) et officier de l’Instruction publique (1927). Il reçoit la Légion d’honneur en 1947.

Aucun dossier le concernant (Titres, homologations et services pour faits de résistance) -et pouvant donc nous éclairer- ne figure à son nom aux archives de Vincennes.

La seule certitude, c’est qu’Antoine Gouze acceptera de présider le Comité de Libération de la ville, mis en place dès le 14 août 1944. En font également partie : Marie-Louise Clément, Louis Chauzy, Pierre Colin, Antoine Moreau, André Cugnet, Henri Dobremer, Henri Doridon, Henri Dubois, Joannès Gelin, René Henry. La tâche du Comité ne sera pas facile : épuration, ravitaillement… Nous en reparlerons. La première disposition prise par le C.L.L. est de mettre en place une municipalité provisoire constituée de onze membres, dont le maire Marcel Gobet.

Selon son fils, Antoine Gouze réintègrera l’Éducation nationale comme principal au collège de Draguignan en janvier 1945, grâce à l’intervention du général De Gaulle. C’est Maurice, professeur aux Arts-et-Métiers, qui le remplacera à la tête du Comité de Libération.

Deux ans plus tard, A. Gouze est décoré dans l’ordre de la Légion d’honneur, en raison de ses services dans l’Éducation nationale et au vu de « [son] attitude pendant l’occupation[15] ». Là non plus, nous n’en saurons pas plus.

À suivre…


[1]  Entre 1939 et février 1946.

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Gouze

[3] Gouze Roger. Les miroirs parallèles. Paris : Calmann-Lévy, 1982, 292 p., p. 256. Voir la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs », appelée par les historiens « premier statut des Juifs ». Nous n’avons pas consulté son dossier de fonctionnaire.

[4] Idem., p. 259.

[5] Singer Claude. Vichy, l’Université et les Juifs. Les silences et la mémoire. Paris : Les Belles Lettres, 1992, 437 p., pp. 60-61.

[6] Bruttmann Tal. La mise en œuvre du statut des Juifs du 3 octobre 1940. Les Belles lettres, « Archives Juives », 2008/1 Vol. 41, pp. 11 à 24. Il appartient non seulement aux recteurs et inspecteurs d’académie de trouver, indiquer et ficher les Juifs travaillant au sein de l’Éducation nationale, mais également de signaler ceux qui pourraient bénéficier d’une dérogation.

[7] Les ateliers des trois premiers degrés (apprenti, compagnon et maître) sont appelés « loges symboliques » ou « loges bleues ».

[8] À La Prat’s : Thomas, Tourrenc et le directeur Deloire, tous « remerciés » de l’Éducation nationale.

[9] Martin, Roger. « La politique scolaire de Vichy : Le bâton et la carotte. » In : Les Instituteurs de l’entre-deux-guerres : Idéologie et action syndicale [en ligne]. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1982 (généré le 09 septembre 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pul/14477&gt;. ISBN : 9782729709846. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pul.14477.

[10] L’orateur est celui qui est le « détenteur de la loi maçonnique » et qui rédige les discours à l’entrée des initiés, des passages de grades, etc.

[11] Gouze Roger. Les miroirs parallèles…, op.cit., p. 272.

[12] Léonce Clément ou « Mazel » né le 9 janvier 1914 à Forcalquier était ami de Roger Gouze et professeur au collège de Villefranche-sur-Saône. Il appartenait au mouvement Combat. « Mazel » a reçu la médaille de la résistance mais il n’a aucun dossier aux archives de Vincennes nous permettant de connaître son parcours exact dans la résistance.

[13] Gouze Roger. Les miroirs parallèles…, op.cit., p. 274.

[14] Danielle dira souvent qu’elle ignorait le vrai nom de son futur époux jusqu’à la rencontre de Delorme et de Mitterrand à Cluny. A. Gouze, homme de principes, aurait-il accepté les fiançailles de sa fille fin mai 1944 avec un homme dont il ignorait la véritable identité ? C’est peu probable.

[15] Base Leonore. Cote du dossier d’Antoine Gouze : 19800035/151/19276.