Il y a bien longtemps que nous avions envie d’écrire sur la chasse dans le Clunisois. Pourquoi donc me direz-vous ? Eh bien parce que tout peut être objet d’histoire, et pas seulement les vieilles pierres. Dans la lignée de la série d’articles sur « Cluny : au pays du boire et du manger », il est toujours intéressant de savoir comment nos anciens vivaient. Et puis le temps s’y prête : c’est l’automne.
De surcroît, l’excellent article de notre confrère (blog Clunisois.fr) sur les associations a relancé le projet et attisé notre curiosité. On y lit « À Cluny, Le Ragot est toujours la plus vieille association encore en activité, depuis le 31 janvier 1919[1]. »
Le ragot… quésaco ? Voilà un terme qui pique notre curiosité. Nos chasseurs du Clunisois seraient-ils des langues de vipère proférant des propos malveillants ? Nenni ma foi. Le ragot, c’est -selon le dictionnaire- « un sanglier mâle ayant entre deux et trois ans et ne vivant plus en compagnie. »
On chasse déjà bien sûr depuis toujours dans le Clunisois. Petit et gros gibier. Seul ou à plusieurs. À l’affût ou en battue. Néanmoins, le permis de chasse vaut quand même 25 francs (28 francs en 1901) et tout un chacun ne peut se permettre une telle dépense à laquelle se rajoute la poudre qui est taxée, le fusil et l’entretien d’un ou plusieurs chiens.

La chasse restera donc l’apanage de la bourgeoisie pendant quelques décennies et le permis est considéré, au milieu des années 1800, comme un « impôt de luxe » qui alimente cependant bien les caisses de l’État. En 1864, on a délivré en Saône-et-Loire 4 576 permis de chasse, dont 988 dans l’arrondissement de Mâcon. En 1902, un vœu est émis tendant à supprimer le permis de chasse, trop coûteux, tout en augmentant l’impôt sur le prix de la poudre et la taxe sur les chiens. Mais, comme le permis est une source de revenus non négligeable pour le Trésor et les communes, la proposition est rejetée par le Conseil général. Tout chasseur continuera à s’acquitter du prix de son permis.

La chasse est source de revenus. Les grands magasins ne s’y trompent pas lorsqu’ils font leur pub pour lancer leurs gammes de vêtements spécialisés.
Médor et consorts
N’oublions pas que depuis 1855, les propriétaires de chiens devaient payer une taxe variable selon les communes et selon le type de chien, un chien de garde étant moins taxé qu’un chien de chasse ou d’agrément[2]. Quant aux types de chiens utilisés pour la chasse, difficile de vous en dire plus. À lire la presse de l’époque, lorsqu’un chien est récupéré par un villageois ou ultérieurement par la SPA de Chalon-sur-Saône[3], une annonce paraît dans le Courrier de Saône-et-Loire[4]. De même lorsqu’un maître est à la recherche de son fidèle compagnon. Et les races ne sont jamais citées. On décrit l’animal à quatre pattes : « trouvé un chien noir avec des oreilles blanches, sans collier », un « jaune et blanc », etc. Nous en déduisons donc que les chasseurs (hormis pour la chasse à courre) arpentent la campagne avec tout simplement un corniaud.
Au milieu des années 1930, une attention plus grande est portée à l’animal à quatre pattes. Les Clunisois fondent même une Société canine dont le président est Paul Rousset.
En 1935, la ville accueille une exposition canine -non pas des Leonbergs comme aujourd’hui[5]– dans les jardins du parc abbatial avec 148 exposants, 241 chiens. La manifestation connaît un grand succès.

Le Ragot en 1919
Avant la première guerre, un petit groupe chasse souvent avec le rallye Mondragon, conduit par le comte de Milly. En décembre 1912, beau tableau de chasse -note le Courrier de Saône-et-Loire– dans les bois de la Frenille à La Vineuse où un solitaire de 140 kg est tué. Il aura quand même blessé trois chiens et attaqué un des piqueurs du comte.
C’est en janvier 1919 que les habitants de la cité abbatiale décident de s’organiser et de créer leur association. Comme les statuts de cette société « régionale de chasse » l’indiquent, il s’agit de détruire les animaux nuisibles et de protéger le gibier. » Son président est Devif président et l’épicier Dumont est trésorier adjoint.
Point besoin à cette époque de passer un examen pour obtenir un permis de chasse[6] : les longs mois de service militaire ont permis à chaque homme de connaître le maniement d’un fusil. Et pour ne pas perdre la main, il existe à Cluny depuis 1904 une société mixte de tir où l’on peut s’entraîner[7].
Avant chaque ouverture, les chasseurs assisteront obligatoirement à l’assemblée générale. Le président présentera les gardes assermentés, distribuera les cartes, expliquera les droits et les obligations des chasseurs, présentera les parcelles sur lesquelles on peut traquer et donnera des conseils pour conserver de bonnes relations entre chasseurs et paysans.
L’ouverture de la chasse, dans certains départements, a lieu en août. En Saône-et-Loire, elle est toujours fixée au début septembre et ferme fin janvier, excepté pour certains gibiers, comme la bécasse. Avant le Deuxième guerre, autorisation de chasser est donnée le dimanche, les mardi et jeudi et les jours fériés. La réglementation exige qu’on ne chasse ni par temps de neige, ni dans les vignes avant les vendanges ou dans les champs avant les récoltes.
Sinon, gare au procès-verbal. En août 1922, il est également précisé qu’il est curieusement interdit « de chasser en voiture », exception faite pour les mutilés de la guerre. La faute à qui ? Aux braconniers.

La réglementation au fil du temps évolue. En 1935, le Ragot note par exemple qu’il est interdit d’utiliser des furets pour chasser sur son territoire.
Quant aux dates de fermeture, on arrête de chasser généralement fin décembre ou mi-janvier, hormis pour la bécasse et le gibier d’eau. Seule la chasse à courre est autorisée jusqu’à la fin mars. Pendant la Première Guerre mondiale, la chasse a été interdite -semble-t-il- de 1914 à 1917 et en 1940, il fallait même rendre son fusil, ce que tous les chasseurs n’ont pas fait, bien entendu.
Les nemrods clunisois ont de quoi faire : ils arpentent souvent, nous dit le Courrier de Saône-et-Loire, le Bois Bourcier et de Cotte mais on les retrouve aussi -avant la création d’autres associations de chasse- dans les bois de Verchizeuil, Igé, Buffières, Brandon, Mazille et Verzé.
La chasse aux nuisibles : loups et vipères
Avant 1914, la chasse -lit-on dans les statuts de la plupart des associations- obéit à un objectif principal : la traque des nuisibles. C’est également ce qu’entend faire Le Ragot en 1919. Mais qu’entend-on alors par nuisible ? Petit retour en arrière.
Au milieu du XIXe siècle, le Conseil général de Saône-et-Loire octroie des primes pour leur destruction. Cela concerne : le loup et les vipères, animaux considérés comme « dangereux ». En 1871, la prime pour une louve tuée s’élève à 15 francs, 12 pour un mâle, 6 pour un louveteau.
Le loup est traqué en battue mais tout propriétaire ou fermier a alors également le droit de faire feu (sans permis) si le « nuisible » s’approche trop près de ses troupeaux.
Le recensement établi pour l’octroi des primes versés fait état de :
En 1865, 6 loups, 7 femelles, 22 louveteaux
En 1875, 1 loup, 6 femelles, 12 louveteaux
En 1879, 6 loups, 5 femelles, 5 louveteaux.
Des chasseurs de bécasses trouvent encore une portée de louveteaux dans les bois de Fontaines en 1906. Une chèvre est attaquée en 1909 à Givry. À Chagny, on en aperçoit un à la porte du cimetière. À la veille de la guerre, le loup est encore présent en Saône-et-Loire.

Si en octobre on trouve curieux de trouver des traces de loup aux Cas, un chasseur de Cluny en tire un dans les bois de la Combe-d’Enfer pendant l’hiver de la même année.
Vous en reprendrez bien encore un peu ?
Certains chasseurs n’hésitent pas à goûter leur proie « nuisible » car il est d’usage, pour une société ou association, de faire ripaille autour d’un bon banquet. C’est ainsi qu’en 1868 à Bourbon-Lancy, un dîner d’un tout nouveau genre arrive sur la table d’un restaurant avec au menu :
Potage au loup, bouilli de loup, civet de renard, gibelotte de hérisson, rôti de renard, omelette au foie de renard et sang de loup, pâté de chat sauvage et de cervelle de renard… « Les 21 convives ont trouvé « le tout excellent[8] ». Bon, après la description de ce repas, vous avez encore une faim de loup ?
En janvier 1891, le froid s’abat sur le département et il n’est plus rare de rencontrer des loups suivant les piétons jusqu’aux portes des villages. La presse se veut un tantinet rassurante : si vous ne tombez pas et n’êtes pas blessé, vous ne risquez pas grand-chose, le loup s’attaquant de préférence aux proies faciles : chevaux attelés, moutons et chiens[9]. Fake-news ? Dans d’autres contrées, il n’est pas rare de trouver des humains dévorés par les loups, comme à Kulmen en Allemagne où deux enfants de dix ans, gardant les moutons, ont ainsi péri en 1906. On relate les mêmes faits en Bulgarie, Russie, etc.
Deuxième nuisible qui coûte cher au département de Saône-et-Loire : la vipère. La prime pour chaque serpent est de 25 centimes. Danger pour les hommes et les animaux, on tue ainsi environ entre 750 (1866) et 2146 (1880) vipères par an. En 1891, on note que la vigne ne nourrit plus son homme. Alors, vignerons, ouvriers des champs, bientôt imités par d’autres se transforment en chasseurs de vipères, afin d’augmenter leurs revenus. Le jeu est dangereux mais en vaut la chandelle puisque, pour certains, la somme peut avoisiner les 1500 francs. De juillet à septembre, le chasseur arpente la campagne ; certains sont très connus, tel « Viperus » dans le canton de Vaud. C’est à cette époque que les vipères sont pleines et toutes les têtes des vipereaux comptent autant que celle de leur mère. Je sais, c’est pas très ragoûtant ce que je vous raconte.

« Le chasseur de vipères en campagne est pourvu de bons souliers ferrés, en cuir très épais ; ses jambes sont protégées jusqu’au-dessus du mollet de guêtres épaisses ; à son côté gauche est suspendue une boîte en fer blanc rectangulaire, légèrement incurvée, qui prend le contour du corps. Il est armé soit d’une canne terminée à son extrémité inférieure d’une fourchette à 2 ou 3 dents, soit d’un bâton en bois léger et d’une tige de fer offrant en haut une poignée et en bas un crochet. »
Ils sont malins ces chasseurs de vipères, de vrais margoulins. Comme la prime n’est pas identique dans tous les départements, certains n’hésitent pas à capturer leurs proies dans un endroit puis à les vendre là où on paie le mieux, s’insurge le ministère de l’Agriculture !
Le budget du Conseil général de Saône-et-Loire consacré à la destruction de ces nuisibles oscille entre 500 et 700 francs à la fin des années 1880. Si les primes pour la destruction des vipères ne sont plus un temps octroyées par le département, un vœu est exprimé en 1910 pour qu’elle soit rétablie. En effet, on trouve ces reptiles fréquemment dans les jardins, voire dans les cours des écoles.
À suivre…
[1] https://www.clunisois.fr/2021/09/01/presque-120-ans-de-mouvement-associatif-en-clunisois/
[2][2] La taxe existera jusque dans les années 1970. On peut payer, dans les années 1930, 20 ou 30 francs pour un chien de chasse ou d’agrément (40 francs à St Gengoux-le-National), contre 10 francs pour un chien de garde.
[3] La SPA, rue N. Niepce, fait également paraitre des annonces pour chiens récupérés dans les années 1930.
[4] Nous avons consulté essentiellement le Courrier de Saône-et-Loire et les délibérations du Conseil général de Saône-et-Loire pour cette recherche.
[5] Le club français du Leonberg organise chaque année une manifestation à Cluny.
[6] La loi du 3 mars 1844 instaure un permis de chasse payant.
[7] https://www.clunisois.fr/2021/09/01/presque-120-ans-de-mouvement-associatif-en-clunisois/
[8] Courrier de Saône-et-Loire, 6 février 1868.
[9] Courrier de Saône-et-Loire, 21 janvier 1891.