Des pros de la fouille

Ils sont cinq agents à débarquer. Des pros de la fouille. Pour avoir lu des dizaines de dépositions de personnes arrêtées, lorsque des Allemands débarquent, on est pétri généralement de trouille et on n’en mène pas large. Parce qu’on sait qu’on risque sa vie.

Un agent armé reste pour garder les suspects, tandis que les autres parcourent les pièces.  Comment imaginer un seul instant que Moog ait laissé seuls les Gouze sans surveillance, leur permettant d’aller et venir jusqu’au poulailler, par exemple, où Danielle cache la machine à écrire [1]???

Et plus on avance dans le temps, plus on complète le le roman. Selon Renée Gouze, Danielle aurait même eu le temps de sortir dans la rue, de semer des clous devant la voiture et de prévenir les maquis de la région[2] !

Dernier en date à avoir témoigné, Gilbert, le deuxième fils des Mitterrand. Les agents de l’Abwehr étaient presque sympathiques : « Près de la machine à écrire de mon grand-père, un jeune allemand est tombé sur les carbones du dernier journal de Frenay. Il a immédiatement compris. Et là, il a dit à mon grand-père, vous avez de la chance que je n’ai rien trouvé… » raconte Gilbert Mitterrand qui se souvient de ses années d’enfance à Cluny où sa mère et sa grand-mère lui décryptaient la résistance, où il rencontrait nombre de témoins[3]. »

Moog était un tueur. Pas quelqu’un de sympathique. Et il n’avait pas l’habitude d’emmener en opération des enfants de choeur.

Moog

Pas d’interrogatoire ?

Tous déclareront que la perquisition et « les interrogatoires » ont duré des heures. Les membres de la famille auraient été interrogés séparément puis ensemble. Roger Gouze mélange ainsi les écrits de Frenay, de Bénouville et les souvenirs de sa mère : « Longuement interrogés, écrit Frenay », « Ils nous ont d’abord questionnés séparément, dit maman », « L’interrogatoire dura deux heures, écrit Bénouville[4]. »

Or, en une demi-heure, l’affaire est pliée. Il est donc peu probable que les Gouze aient été interrogés sur quoi que ce soit, hormis pour indiquer dans quel endroit de la maison logeait Henri Frenay.

Le pacte du silence au sujet de la perquisition

Frenay, Bénouville, les Gouze. Personne ne soufflera mot de la présence des gendarmes venus sur place. Personne ne pipera mot de ce qui a été réellement saisi. Une fois la machine à écrire est cachée (version Danielle Mitterrand), une fois elle est emportée (version Frenay).

Et, détail très important pour le chef de Combat : Comme il l’écrit dans sa Nuit finira, il n’a plus rien à se mettre sur le dos. Et c’est Bénouville qui se charge de lui commander des costumes en Suisse[5] !

Pourtant, il aurait été important, pour le deuxième procès de Hardy, de savoir quel était le « plan de sabotage des convois allemands empruntant la voie ferrée » déniché par Moog. Et encore… l’agent de l’Abwehr a-t-il tout révélé de sa prise aux gendarmes clunisois ?

En effet, le témoignage de Kramer -chef du poste de l’Abwehr de Dijon, supérieur de Moog et Saumande- précise que « des documents permettant de poursuivre l’affaire[6] » furent saisis.

Au sujet de « la caisse » et surtout de son véritable contenu, c’est l’omerta.

Les deux gendarmes présents ne seront jamais entendus dans une quelconque enquête[7]. Ni au procès de Multon que l’on accuse d’avoir été présent à Mâcon, ni au second procès Hardy et surtout pas dans une enquête relative à l’arrestation de B. Albrecht puisqu’on n’en fera pas. Peut-être que les témoignages des gendarmes auraient intéressé Mireille, sa fille. De même, Bénouville dira qu’un jeune étudiant occupait une chambre. Un témoin également essentiel en ce jour du 28 mai 1943 mais un troisième témoin bel et bien oublié…

À suivre…


[1] https://www.ina.fr/video/I07197722/danielle-mitterrand-a-propos-de-bertie-albrecht-video.html

[2] Gouze Roger. Les miroirs parallèles. Paris : Calmann-Lévy, 1982, 292 p., p. 271.

[3] Sud-Ouest. « Danielle Mitterrand : l’esprit de résistance, 22 novembre 2011. » Témoignage de Gilbert Mitterrand.

[4] Gouze Roger. Les miroirs…, op.cit., pp. 268-269.

[5] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 333.

[6] Gelin Jacques. L’affaire Jean Moulin : trahison ou complot ? Paris : Éditions Gallimard, 2013, 595 p., p. 107. L’avocat de Hardy, M Garçon cite un témoignage, celui de Kramer : « On trouva dans son sac à main (…) des documents permettant de poursuivre l’affaire. »

[7] En septembre 1944, le maréchal des logis n’est plus à Cluny mais le gendarme Berthillier exerce encore dans cette ville.