La caisse à Frenay
Selon la famille Gouze, comment se passe la perquisition à l’intérieur de la maison ?
« La maison avait été fouillée en un tournemain. (…) Ils cherchaient uniquement Henri et la ronéo qui imprimait les documents de la Résistance[1]. » Sa mère -écrira encore Roger Gouze- a même le temps de brûler des papiers compromettants.
Quant à Danielle, elle se souviendra qu’avec son père, elle a fait disparaître « la machine à écrire, les stencils vierges et tout ce qui pourrait révéler nos liens[2]. » « D’un pas nonchalant, [elle] se dirigea vers le poulailler au fond de la cour, où elle le détruisit[3] », complète Mireille Albrecht qui a recueilli les confidences des Gouze.
Frenay, nous l’avons écrit, est rue Tronchet à Lyon au moment de la perquisition. Se fait-il du souci pour le matériel saisi chez les Gouze ? Nenni ma foi. Il s’inquiétera surtout de ses costumes car il n’a plus rien à se mettre sur le dos ! « Je n’ai plus un costume, plus une chemise de rechange. À Cluny, la Gestapo m’a tout pris[4]. »
Mireille Albrecht écrira -sûrement d’après le témoignage de la famille Gouze- que la Gestapo fait « main basse sur toutes [les] affaires [de Frenay] et celles de Berty[5]. » Or, les agents de l’Abwehr laissent les affaires de Berty sur place. Ce sont les papiers du chef de Combat qui les intéressent au plus haut point.
En effet, on le lit, les versions sont diverses -voire fantaisistes- mais ne correspondent pas à celle que feront les gendarmes de Cluny, Moog leur montrant le contenu de la perquisition.
Les faits, toujours les faits, disait Danielle Mitterrand dans l’émission de Laurent Ruquier le 24 novembre 2007. Eh oui, les faits…

Contenu de la caisse emportée par les agents de l’Abwehr : documents gaullistes, plan de sabotage, machine à écrire, ronéo, cartes d’identité, cartes d’alimentation.
Résumons. Pour Frenay, comme pour les Gouze, les agents de l’Abwehr embarquent finalement des choses sans importance. Mais le témoignage de Kramer -chef du poste de l’Abwehr de Dijon, supérieur de Moog et Saumande- contredit ces versions. Selon lui, à Cluny, Moog découvrit « des documents permettant de poursuivre l’affaire[6]. »
Un plan de sabotage des voies ferrées
Moog n’a peut-être bien sûr pas livré aux gendarmes tous les renseignements concernant la perquisition. Toutefois, il y a un élément qui retiendra bien sûr l’attention de tous les connaisseurs de l’affaire Hardy : un plan de sabotage des convois allemands empruntant la voie ferrée. En 1950, devant le tribunal militaire, ce plan constitue la partie principale de l’acte d’accusation contre Hardy.
Barbie témoignera en 1948 que Hardy, alias « Didot » avait coopéré en reconstituant le plan de sabotage : « La livraison de ce projet fut la preuve de sa bonne volonté et le gage de sa libération[7]. »
Loin de nous l’idée de dire que le plan retrouvé à Cluny correspondait au fameux « plan vert » puisque Hardy l’aurait rédigé fin mai dans les Cévennes. Il en distribuera ensuite deux exemplaires : un à Bénouville et l’autre à Frenay. Devant le tribunal militaire, Frenay, au sujet de Hardy, précisera : « La dernière fois que je l’ai rencontré en France, c’était, me semble-t-il, le 6 juin 1943 et c’est à ce moment-là que me fut remis l’un des exemplaires du plan que l’on devait appeler le plan vert, que je transportais quelques jours plus tard en Grande-Bretagne[8]. »
Frenay ne fera aucune allusion au document trouvé par l’Abwehr chez les Gouze, document qu’il a peut-être récupéré d’ailleurs à une date antérieure à celle du 6 juin. Et ce détail, il ne peut pas l’ignorer car il sait ce qu’il a laissé d’important à Cluny. Pourquoi n’en parlera-t-il jamais, se faisant du souci pour sa seule garde-robe ?
Ce plan retrouvé à Cluny est peut-être une ébauche que Hardy a transmise au chef de Combat. Et cette ébauche a pu, comme Hardy le dit lors de son deuxième procès, « tomber entre des mains ennemies ». En effet, lorsqu’il sera interrogé par Barbie le 10 juin, il n’a techniquement pas le temps de retranscrire tout son plan, excepté s’il a devant lui son premier travail trouvé dans les papiers de Frenay à Cluny.
Ayant donné à Barbie un gage de sa bonne foi, Hardy est alors libre de partir de la Gestapo. On le retrouvera dans l’affaire de Caluire.
À suivre…
[1] Gouze Roger. Les miroirs parallèles. Paris : Calmann-Lévy, 1982, 292 p., pp. 266-267.
[2] Mitterrand Danielle. En toutes libertés. Paris : Éditions Ramsay, 1996, 350 p., p. 31.
[3] Albrecht Mireille. Berty. Paris : Robert Laffont, 1986, 347 p., p. 333.
[4] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 333.
[5] Albrecht Mireille. Berty…, op.cit., p. 332.
[6] Gelin Jacques. L’affaire Jean Moulin : trahison ou complot ? Paris : Éditions Gallimard, 2013, 595 p., p. 107. L’avocat de Hardy, M Garçon cite un témoignage, celui de Kramer, : « On trouva dans son sac à main l’adresse de l’appartement de Frenay et ils trouvèrent des documents permettant de poursuivre l’affaire. »
[7] Noguères Henri. La vérité aura le dernier mot. L’historien cite l’analyse que le colonel Gardon (commissaire du Gouvernement) a faites des déclarations de Barbie les 14 et 18 mai 1948 et du 16 juillet 1948. pp. 42-44.
[8] Idem.