La perquisition : Barbie reste à Lyon ?
Berty a été arrêtée à 10 heures du matin. C’est entre 14H et 14H30 que les agents de l’Abwehr se ruent chez les Gouze. Il leur faut environ une demi-heure en voiture pour parcourir la route de Mâcon à Cluny.
Comment ont-ils eu connaissance de l’adresse de la villa Romada route de Salornay ?
Me Garçon, l’avocat de René Hardy, présentera au tribunal un témoignage de Kramer, chef de l’Abwehr de Dijon : « On trouva dans son sac à main l’adresse de l’appartement de Frenay[1]. » Danielle Mitterrand a elle-même donné cette version des faits : sa famille aurait remis à Berty, avant son départ pour Mâcon, un courrier de sa fille Mireille qui vit alors en Suisse.
Berty aurait-elle commis une aussi grossière erreur en gardant trace de son adresse alors qu’elle devait se rendre à deux rendez-vous importants ? C’est peu probable. Première hypothèse : elle a parlé. Entre les mains de Moog, c’est possible. Deuxième hypothèse : Moog n’avait pas besoin de ses services puisqu’il connaissait l’adresse de Cluny.
Quels agents partent pour Cluny ?
Le matin, ils étaient trois pour l’arrestation de Berty. La troupe se renforce pour se rendre à Cluny puisqu’ils sont cinq.
Le SS. Scharführer Helmuth Eilers accompagne Moog ; il y a un chauffeur et deux autres agents. Me Perrin, arrêtée dans son hôtel à Mâcon, identifiera Saumande, présent selon elle le matin du 28 mai. Saumande a-t-il accompagné Moog à Cluny ou est-il reparti avec Edmée Deletraz à Lyon ?
Antoine Gouze, s’est adressé -soit disant- à eux en allemand : « il avait accueilli les Allemands dans leur langue qu’il parlait bien », relatera son fils Roger[2].
Barbie : là ou pas là ?
Kramer, de l’Abwehr de Dijon, soutiendra que Barbie était présent : Moog parti de Lyon en train avec Edmée Delatraz, « Barbier [Barbie aurait suivi] en voiture avec quelques agents[3]. »
Barbie lui-même se vantera d’avoir été sur place. Certains historiens relateront d’ailleurs sa présence à Cluny, prenant ses déclarations pour argent comptant[4]. Mais était-il réellement présent ?
Aucun membre de la famille Gouze ne parlera de Barbie. Et il n’est pourtant pas le genre d’homme qu’on oublie facilement ! Lorsqu’il se vantera d’avoir participé à l’opération, il dira même que Danielle lui parut « charmante ». Veut-il redorer son blason ? Lui, présenté généralement comme « un fou sanguinaire », il lui est arrivé d’être sympathique ? « La famille chez qui la perquisition eut lieu ne fut pas autrement inquiétée par moi », dit-il.
Et Barbie sait très bien qui sont les Gouze et il connaît l’impact d’une telle confidence : « Cette famille est la belle-famille de l’actuel chef de l’État[5]. » À cette époque, un petit clin d’œil à F. Mitterrand, ça ne peut pas faire de mal !
Donc Barbie est resté à Lyon. Pour quels motifs ? Il est possible qu’il cherche à rattraper Serge Ravanel, Maurice Kriegel-Valrimont et François Morin-Forestier qui viennent de s’échapper le 24 mai de l’hôpital de l’Antiquaille[6]. Il est surtout probable que l’Abwehr ait choisi d’opérer pour son seul compte, mettant le SD de Lyon hors du coup.
Mais cette absence appelle surtout une question essentielle : si l’objectif de l’opération du 28 mai consistait bel et bien d’arrêter le chef de Combat, comment imaginer que Barbie, ou un gradé de l’Abwehr, aient décidé de manquer un tel coup de filet ?
Ou alors… ? Ou alors l’opération ne visait pas Frenay.
À suivre…
[1] Gelin Jacques. L’affaire Jean Moulin : trahison ou complot ? Paris : Éditions Gallimard, 2013, 595 p., p. 107.
[2] Gouze Roger. Les miroirs parallèles. Paris : Calmann-Lévy, 1982, 292 p., p. 267.
[3] Gelin Jacques. L’affaire Jean Moulin…, op.cit., p. 107.
[4] Balique Nicolas et Biaggi Vladimir. Ernst Dunker et la Gestapo de Marseille. Paris : Éditions Vendémiaire, 2016, 295 p., p. 89.
[5] Chauvy Gérard. Aubrac. Lyon 1943. Paris: Albin-Michel, 1997, 457 p., p. 393. Mémoire de Me Vergès, cité par G. Chauvy.
[6] Ils avaient été arrêtés le 15 mars 1943 avec Raymond Aubrac. Lucie Aubrac avait réussi à faire sortir son mari en premier.