Dans la gueule du loup : la messagère Edmée Deletraz

Au procès Hardy, Edmée Deletraz témoignera qu’elle savait déjà le 27, sur ordre de Barbie, qu’elle devait se rendre au rendez-vous de Mâcon.

Quelle était la teneur du courrier envoyé à Berty ? Selon Multon, Deletraz devait lui donner des nouvelles de « Maurice » soit Chevance, qui, rappelons-le, a été arrêté, blessé et mis à l’abri.

À la lecture de ces témoignages, on peut se demander si le guet-apens n’a pas été préparé de plus longue date car selon la chronologie des faits, en trois jours, l’affaire est réglée : rédaction du courrier, dépôt de la lettre à Mâcon par E. Deletraz, relève de la boîte aux lettres par Berty, rédaction du télégramme par Berty et ordre donné par Barbie à E. Deletraz de se trouver à l’hôtel de Bourgogne le 28.

Au procès Hardy, E. Deletraz niera avoir connu l’identité de B. Albrecht le 28 mai 1943. Selon elle, l’opération était conduite par Multon, qu’elle ne connaissaisait pas non plus. Elle ressortira libre du procès Hardy. Combat, 6 et 7 mai 1950.

Deuxième interrogation, le contenu du message : Berty est attirée à Mâcon pour obtenir des nouvelles de son ami Chevance. L’information n’est pas plausible. Après avoir été soigné, Chevance se cache et, dans les rangs de Combat, tout le monde le sait.

Tout d’abord Louis Martin-Bret, qui le prend en charge du côté de Manosque[1]. Puis Juvénal qui lui rend visite[2]. De surcroît, Chevance est protégé dans sa planque par un dur à cuire envoyé par Bénouville : Pierre Mussetta[3].

Bénouville et Frenay, sont donc bien au courant de ce qu’il advient de Chevance après son arrestation.

Berty, qui reste en contact avec Frenay, peut-elle l’ignorer ? Non. Et c’est ce qu’elle dit à E. Deletraz : assise à ses côtés sur un banc, lorsque l’agent de Barbie lui dira (en se trompant de prénom ?), « Ils m’ont simplement dit de vous dire qu’Henri allait bien, de vous rassurer sur la santé d’Henri », Berty lui aurait rétorqué au sujet de la santé « d’Henri » : « J’y suis allée, j’ai vu quelqu’un de Marseille, l’avant-veille ou quelque chose comme ça. Je suis tout-à-fait rassurée. »  Marseille, c’est là où Chevance a échappé à l’arrestation.

Berty n’est pas née de la dernière pluie et c’est un agent qui fait preuve de méfiance. Si elle a obtenu, le 26 des nouvelles de Chevance, via Frenay ou par un autre agent de Combat, quel intérêt pour elle de répondre à une « invitation » lui en fournissant d’autres le 28 ? Nous ne le saurons jamais mais il est probable que le courrier rédigé par Multon et les agents du SD ne mentionnait pas Chevance mais une autre information, beaucoup plus importante.

Comme il est fort probable que le courrier n’ait pas été adressé à Berty mais à Frenay. C’est ce que relate la famille Gouze : « Berty, explique maman, avait reçu un message qui fixait un rendez-vous à Henri. Grippée depuis quelques jours, elle a pourtant décidé de partir pour Mâcon à sa place. Elle a d’abord hésité, mais finalement l’affaire lui a paru importante[4]. » Et Peck racontera la même version à Frenay.

À la lumière de ce dernier témoignage, il est donc probable que :

  • Multon ait récupéré l’adresse de la boîte aux lettres à Mâcon, via Brown, Chacun ou De Couster.
  • Qu’il a aidé le SD de Lyon à rédiger un courrier à l’intention de Frenay.
  • Qu’Edmée Deletraz a porté le dit-courrier à Mâcon.
  • Que Berty soit venue relever le courrier, Frenay étant à Lyon.
  • Que Berty ait prévenu Frenay qu’elle se rendrait à sa place au rendez-vous.
  • Qu’ils aient prévu de se retrouver ensuite vers la fin de matinée à la réunion des M.U.R.

Si Berty a choisi de fixer le rendez-vous le 28, c’est pour faire d’une pierre deux coups et ainsi ne se rendre qu’une seule fois à Mâcon. En choisissant de remplacer Frenay, elle lui rend service ; il arrivera plus tard, en fin de matinée, à l’hôtel de Bourgogne.

Les agents de l’Abwehr -Moog et Saumande- attendent donc officiellement Frenay. C’est Berty qui se présente la première et qui tombe dans le piège.

Multon le confirmera à Frenay en 1945 : « C’est vous qu’ils cherchaient et c’est à vous que le piège de Mâcon était tendu, mais vous n’êtes pas venu[5]. »

Mais attendait-on réellement Frenay, comme l’a soi-disant affirmé Multon ? Ou Berty Albrecht pour la faire définitivement tomber ?

À suivre…


[1] Louis Martin-Bret « Michel » qui vit à Manosque est responsable des MUR pour les Alpes. Il sera arrêté en juillet 1944 et fusillé à Signes.

[2] Après le départ de Marseille de Chevance, Juvénal (1905-1985) est chargé de réorganiser la résistance MUR/AS dans les Hautes et les Basses-Alpes avec Malacrida et Louis Martin-Bret.

[3] Baumel Jacques. Résister. Histoire secrète des années d’Occupation. Paris : Albin Michel, 1999, 457 p., pp. 158-159.

[4] Gouze Roger. Les miroirs parallèles. Paris : Calmann-Lévy, 292 p., p. 265.

[5] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 521.