Dans la gueule du loup : Jean Multon ?

Depuis la fin avril, Multon -agent arrêté puis retourné- travaille pour la Gestapo et rend mult services, à Marseille puis à Lyon. Il a rencontré en mars Berty dans la cité phocéenne lors d’un rendez-vous auquel participaient : Chevance, sa compagne Jeannine Freze-Milhaud et Marcelle Bidault[1].

Selon le témoignage de Jeannine Freze-Millaud, Multon aurait connu l’adresse de l’hôtel de Bourgogne dès mars lorsqu’il a rencontré Berty, place Castellane à Marseille[2]. Chevance confirme : « Il est bien exact que madame Albrecht, devant nous, a donné à Multon toutes les indications lui permettant de la retrouver et d’arriver jusqu’à elle à Mâcon[3]. »

Sa tête mise à prix, pourchassée après son évasion du Vinatier, il semble peu probable que Berty ait donné l’adresse de Combat à Mâcon à un agent qu’elle ne connaissait, ni d’Eve, ni d’Adam. C’était contraire à toutes les règles élémentaires de sécurité. En 1945, la déposition de Multon conforte cette version : « Je me rappelle la rencontre du bar mais je ne me rappelle pas que la dame Albrecht m’ait indiqué la façon de l’approcher à Mâcon[4]. »

En effet, le rapport Flora fait état de cette adresse attribuée à Frenay. Toutefois, rien n’indique que ce soit Multon qui l’ait donnée :

« 29- Capitaine Fresnay (véritablement Frenay). Alias Lefèvre. Alias Tavernier. Alias Gervaix. Chef national de Combat, personne dynamique et la plus active du MUR, 35 ans, 1,68 m, cheveux foncés coupés courts, moustache, fausses lunettes, yeux bleus, front dégagé, corpulence moyenne, toujours en compagnie de sa secrétaire paraissant 50 ans, cheveux blancs, 1,65 m et connue sous le nom de France. Toujours accompagnée de deux hommes. On peut toujours le joindre à Mâcon, à 50 km au nord de Lyon, à l’hôtel de Bourgogne en demandant Gervaix de la part (trouver un nom). C’est un hôtel dont on interrogera le propriétaire. Gervaix n’habite pas cet hôtel qui pratique le marché noir. Ce renseignement nous facilitera l’arrivée (n’a pas encore été retrouvé)[5]. »

En effet, d’autres pistes que celle de Multon existent. Celui-ci, lorsqu’il sera interrogé lors de son procès, déclare :

Dunker savait quasiment tout de l’organisation de la résistance, grâce à d’autres résistants retournés. Multon donne l’exemple du capitaine Edmond Vladimir Chacun, alias Carton, qui avait renseigné précédemment Dunker[6]. Ce capitaine était un proche de Chevance. Il sera jugé en 1952 et écopera de vingt ans de travaux forcés.

Après le capitaine Chacun, il y a également Charles Léon Brown : dans une annexe du rapport Flora, une note SD Marseille dit que Multon a transmis à Lyon « des renseignements de Brown (…) concernant les chefs nationaux et les possibilités de leur arrestation à Lyon, avec la mission de surveiller la boîte aux lettres du « M.U.R. » (…) ainsi que la nouvelle boîte aux lettres de Fresnay, à l’hôtel de Bourgogne, à Mâcon[7]. »

L’adresse de Combat à Mâcon était donc bien connue, mais pas par Multon. Et il n’a sûrement pas tort lorsqu’il clame son innocence : « Je répète que je ne suis pas à l’origine de son arrestation[8]. »

Après l’arrestation manquée de Chevance, Dunker confirme que Multon rejoint Lyon jusqu’au 9 mai. Fritz Hollert et Klaus Barbie s’intéressent à Frenay.

« On me présenta un lot de photographies représentant toutes Frenay. Je me suis borné à dire que je n’avais aucune possibilité de le confondre[9]. »

Le SD de Lyon n’a donc toujours pas récupéré l’adresse de Frenay. Multon retourne auprès de Dunker à Marseille où il est enregistré comme contre-agent avec le numéro 164. Il lui donne son camarade Pierre Bernheim. Arrêté le 11 mai 1943, l’interrogatoire de Bernheim, selon le rapport Flora, occasionnera de nombreuses arrestations. Le 12, toujours grâce à Multon, c’est au tour du commissaire principal Auguste Clary, de tomber[10]. Puis le 13, il donne encore Wolf Wexler, chef de maquis, Pierre Ziller.

Au total, grassement payé, Multon permet l’arrestation d’une centaine de résistants.

Ce même soir du 13, Dunker arrête Paul Le Couster, chef courrier M.U.R.. C’est par l’intermédiaire de Le Couster que Multon a récupéré la boîte aux lettres à Lyon de la section de sabotage ferroviaire, au 14 de la rue Bouteille. Il arrive donc le 24 mai à Lyon et c’est avec Moog qu’il travaillera.

Au sein de Combat, on sait que cette boîte est grillée mais c’est là que la secrétaire d’Aubry déposera un billet à l’intention d’Hardy. On connaît la suite.

Finalement, si tant est qu’il l’ait récupérée, comment Multon a-t-il pu obtenir l’adresse de Frenay à Mâcon ? Par Brown ? Par Chacun ? Par Le Couster ?

Quoi qu’il en soit, il est à pieds d’œuvre à Lyon.

Multon, interrogé le 9 février 1945, avouera avoir aidé à la rédaction d’un courrier porté à la boîte aux lettres de Mâcon. Il était destiné à Berty[11]. L’émissaire choisi par Barbie, c’est l’agent double Edmée Deletraz.

À suivre…

[1] Voir l’article : Berty Albrecht : le sacrifice du matin (4), « Les errances de Berty du Vinatier à Cluny. »

[2] Baynac Jacques. Présumé Jean Moulin, Juin 1940-Juin 1943. Paris : Grasset, 2007, 1104 p., p. 727. AN, 68Mi 14, dossier DST de l’affaire Hardy, audition de J. Freze-Millaud, 5 mars 1945.

[3] Balique Nicolas et Biaggi Vladimir. Ernst Dunker et la Gestapo de Marseille. Paris : Éditions Vendémiaire, 2016, 295 p., p. 69.

[4] Idem.

[5] Archives départementales des Bouches-du-Rhône sous la cote 56 W 14 : rapport Flora.

[6] Balique Nicolas et Biaggi Vladimir. Ernst Dunker…, op.cit., p. 76.

[7] Flavian C.L. Ils furent des hommes. Paris : Nouvelles éditions latines, 1948, 380 p., p. 290. Brown, chef régional du Groupe franc, avait été arrêté le 28 avril et il sera définitivement engagé par Dunker comme contre-agent le 24 mai.

[8] Balique Nicolas et Biaggi Vladimir. Ernst Dunker…, op.cit., p. 76.

[9] Idem., p. 78.

[10] Pour Dunker, la moisson est abondante puisque d’autres résistants basculent de l’autre côté comme Raymond Berg, inspecteur de la Sûreté à Marseille, se présente volontairement le 13 mai 1943 à la Gestapo et il sera immatriculé sous le numéro 137.    

[11] Baynac Jacques. Présumé Jean Moulin…, op.cit., p. 727.