En juin 1944, Jean Renaud était arrêté à la gare de Cluny. Blessé, il sera mis dans un train, direction l’hôpital de Chalon-sur-Saône. Nul ne sait ce qu’il est devenu ensuite.
Comme l’article à son sujet sur Wikipedia se confond en âneries du genre « Il entre dans la clandestinité en 1940 » ou encore il fonde le maquis de Cluny en 1942…, etc., etc.), détaillons un peu son parcours, quelques repères chronologiques ne faisant de tort à personne[1].
Précisons tout d’abord que J. Renaud n’est entré en clandestinité qu’à dater du 14 février 1944, date de l’arrestation de son épouse Marthe. Entrer en « clandestinité », cela veut dire : vivre sous une fausse identité, avoir quitté femme et enfants, sa ville… Or, jusqu’à cette date, Renaud vit à Cluny, élève ses enfants, joue aux boules avec ses copains, travaille dans son atelier de menuiserie et signe le registre municipal jusqu’au 14 février 1944 lorsqu’il se charge d’un enterrement. Il est entré en résistance, sûrement en 1942, mais il n’a rien alors d’un « clandestin ».

François Baury, Claudius Moreau, Jean Renaud et Louis Burdin lors d’une partie de foot « pour rire » en 1938.
Quant à un maquis fondé en 1942, on rappellera brièvement que les jeunes réfractaires ne sont montés « à la maternité » en Crue qu’au printemps 1943.
Corrigeons encore quelques détails : les 11 et 12 juin, Jean Renaud aurait été à la tête d’un « détachement » chargé d’attaquer un « poste allemand » et « un convoi ».
Premièrement, quiconque connaît la place du Pont de l’Étang à Cluny peut voir la plaque posée en la mémoire de Jean Renaud, laquelle précise bien qu’il a été arrêté le 10 juin et non pas le 11 ni le 12.
Deuxièmement, ce jour-là en gare de Cluny, il ne s’agit pas « d’attaquer un poste allemand » mais d’intercepter un train de marchandises. Sur place, sont présents, entre autres : Antoine Moreau, Maurice Ducrot, Lucien Delorme, Pierre Colin, Marc Pétré et André Cugnet, ce dernier devant revenir charger la cargaison. Le butin était important : de la farine, une denrée précieuse en 1944. On la partagera entre les habitants nécessiteux de Cluny et le maquis de Crue. Le groupe a fait des prisonniers : Jean Renaud s’oppose à leur liquidation.
À l’origine de l’arrestation : Léon Déchant
Après le déjeuner, Jean Renaud décide de remonter à la gare pour contrôler le débarquement de la marchandise. La résistance se sent-elle alors toute puissante ? Il est vrai que Doussot est arrivé à Cluny, que Mattéo a déjà été assassiné et que la gendarmerie a été attaquée le matin du 10 juin afin de récupérer des armes.
Or la gare grouille encore d’Allemands au début de l’après-midi. Il y a là également Léon Déchant, le mécanicien du train intercepté le matin. C’est lui qui va désigner Renaud à l’ennemi.
Déchant[2], ce n’est pas n’importe qui : il est secrétaire départemental du Parti Populaire Français (PPF). Alors que Renaud est en train de boire tranquillement un pot avec Maurice Ducrot au buffet de la gare, la troupe entre. Renaud tente de s’enfuir par une fenêtre et se blesse en tombant. Ducrot, armé mais seul contre tous, ne peut lui venir en aide et prend le large. Il avertit Tiburce mais que peuvent faire les gars de Cluny ? L’intention est belle mais pour organiser un coup de main afin de libérer Renaud, il aurait fallu des litres d’essence, des armes…
Jean Renaud sortira de l’hôpital de Chalon-sur-Saône le 11 juin. Sa trace est dès lors définitivement perdue. A-t-il été exécuté ? déporté ?
Marcelle Bouguen, épouse Déchant, a préféré suivre les troupes allemandes pour se réfugier en Allemagne mais elle sera reprise. En 1946, elle est condamnée à trois ans de prison, 12 000 francs d’amende, interdiction de séjour et à la dégradation nationale pour « propagande collaborationniste. »
Quant à Déchant il sera jugé, condamné à mort le 15 octobre 1945 mais jamais exécuté. Sa peine fut commuée en « travaux forcés à perpétuité » et sa grâce fit couler l’encre dans le journal « La Défense ».

En 1947, on lui confisquera ses biens.

Il décède en 1978 à Paris. Léon Marius Déchant était le frère de Stéphane Déchant (1894-1945), décédé en déportation en 1945 et auquel nous avions consacré un article en octobre 2019 : » S. Dechant, gadz’art, franc-maçon et résistant. » Comme quoi, dans une famille, on pouvait trouver des gens du bon comme du mauvais côté…
[1] André Jeannet dans son Mémorial de la résistance en Saône-et-Loire (p. 338) date étrangement l’arrestation de Jean Renaud le 27 juillet 1943 « au cours d’une vaste opération de la police allemande dans plusieurs communes du Mâconnais et même à Mâcon par des policiers de Lyon. »
[2] Léon Marius Déchant est né le 29 octobre 1898 à Clermont-Ferrand. Il vivait au 10 de la rue Hilaire de Chardonnet à Chalon-sur-Saône.