Le 28 mai à Mâcon : la réunion des M.U.R.
Au matin du 28 mai, Berty arrive de Saint-Laurent-les-Mâcon. Selon le couple Vaillant chez lesquels elle a passé la nuit, elle est inquiète. La famille Gouze relatera cette même inquiétude qui hantait Berty lors de son départ de Cluny.
S’est-elle sentie en danger et avait-elle l’intention de quitter le domicile des Gouze pour trouver un autre hébergement ? En effet, elle a gardé sur elle l’adresse du pasteur Voge de Mâcon. Celle-ci lui a été remise par son ami le pasteur De Pury de Lyon. Son billet indiquait que le pasteur de Mâcon était « un bien-pensant [et qu’elle] pouvait aller le voir en toute confiance[1]. » Berty avait-elle l’intention de rencontrer le pasteur Voge le 28 dans la journée ?
Ce qui est certain, c’est qu’elle a deux rendez-vous : celui de la réunion des M.U.R. en fin de matinée, précédé par une entrevue avec un messager dont elle ne connaît pas l’identité.
Au dernier moment, preuve de son inquiétude, elle décide de ne pas honorer certains rendez-vous avec des résistants.
Lorsqu’elle traverse le pont entre Saint-Laurent et Mâcon, c’est avant 9H30 heures. Elle doit rencontrer à cet endroit l’agent René Cerf-Ferrière et le conduire à la réunion des M.U.R. fixée en fin de matinée. La veille, c’est Jean-Guy Bernard, fidèle bras droit de Frenay, qui a donné les instructions au résistant. Le chef de Combat souhaite rencontrer Cerf-Ferrière pour deux raisons : premièrement, il connaît bien la situation à Toulouse et Limoges et deuxièmement, il s’occupe de la publication du journal de Combat avec Bollier[2].
Cerf-Ferrière prend le car et croise en effet, comme prévu, Berty sur le pont. Mais elle lui fait signe de passer son chemin. « Bigre ! Ça devait drôlement sentir le roussi[3] », conclue Cerf-Ferrière qui se dirige sans demander son reste à Saint-Laurent. Ne sachant pas où se rendre pour rencontrer Frenay, il déjeune et s’en retourne à Lyon.
Berty était-elle suivie ? C’est l’hypothèse qu’émet Cerf-Ferrière. En tous les cas, Berty met le résistant hors course en ne l’emmenant pas à l’hôtel de Bourgogne. Même scénario avec Pierre Delacroix, fondateur de Libération-Sud à Mâcon. Berty devait le retrouver mais il ne la verra pas[4]. Il est clair, si l’on peut se fier à ces deux témoignages, que Berty prend des précautions extrêmes pour ces deux compagnons de lutte. Pressent-elle un danger ? Néanmoins, elle poursuit sa route, seule jusqu’à son rendez-vous. C’est dire combien cette rencontre est importante et que les renseignements qu’elle allait en tirer l’étaient également.
Elle se rend ensuite déposer son sac à la bijouterie Baron, rue Laguiche[5]. Le couple Baron appartient au réseau Marco-Polo et ils connaissent Berty sous le pseudo de « Laurence ». Leur bijouterie fait office de « boîte aux lettres » et « Laurence » leur avait demandé une pièce pour y tenir des réunions clandestines. Lorsqu’elle se présente au magasin, Me Baron ne peut pas lui parler librement, un voyageur de commerce étant présent. Les deux femmes échangent seulement quelques mots. « Laurence » confie sa valise et son parapluie à Me Baron et elle quitte la bijouterie.

En octobre 1971, le journaliste Henri Nicolas consacrait un article sur l’arrestation de B. Albrecht et retrouvait les témoins.
Ses effets, un parapluie, une ou deux robes d’été, du savon, une boîte de fard à joues, une brosse à cheveux et un mouchoir, seront conservés précieusement par le couple Baron qui les transmettra, vingt-deux ans plus tard, à Mireille Albrecht.
La femme aux cheveux blancs
Berty rejoint ensuite l’hôtel de Bourgogne, 2, place de la Barre, tenu par le couple Perrin. Trois versions des faits existent sur l’épisode de son arrestation.
La version d’Émilienne Touzot (serveuse à l’hôtel de Bourgogne au moment des faits) recueillie par le journaliste Henri Nicolas en octobre 1971 : Berty demande si elle a du « courrier ». La réponse étant négative, Berty dit à Émilienne qu’elle se rend à la Place d’Armes. Un homme qui consommait sort à son tour.
Deuxième version, celle relatée par Marcel Peck, présent à Mâcon. Lorsqu’il rejoint Frenay à Lyon, il lui raconte : Berty n’est pas entrée à l’hôtel de Bourgogne. C’est sur la place que quatre hommes l’ont appréhendée.
Troisième version, relatée par sa fille Mireille Albrecht qui a rencontré Edmée Deletraz, l’agent que Barbie a envoyé à Mâcon pour faciliter l’arrestation de Berty.
Berty est installée dans le salon de l’hôtel. Edmée Deletraz demande à parler à « Me Moulins ». On lui indique Berty : la femme aux cheveux blancs, yeux bleus.


L’agent de Barbie lui propose de sortir. Aux alentours de la place de la Barre, il y a trop de monde.

Et les deux femmes remontent jusqu’au square de la Paix.
Un témoin essentiel, Jean Tramoni -gardien de la Paix- est présent et assiste à toute la scène.
Edmée Deletraz racontera leur conversation. Notons qu’elle ne se rappellera jamais avoir prononcé le nom de Chevance. Le message qu’elle délivre à Berty est : « Henri va bien ». Lorsque surgit une voiture, racontre J. Tramoni. En sortent deux hommes en civil, un troisième restant au volant. L’un s’empare de Berty qui a le temps de crier « La Gestapo », pensant peut-être alerter des camarades qui seraient à proximité[6]. L’agent Tramoni entend les cloches : il est exactement dix heures.
La scène n’a duré qu’une minute. Mireille Albrecht en déduira, lorsqu’elle mènera l’enquête sur l’arrestation de sa mère, que « l’opération a été très bien montée, et s’est passée si rapidement qu’il y a fort à parier qu’un repérage avait été fait la veille, par les policiers allemands et Edmée Deletraz[7]. » Edmée Deletraz ne connaît pas la ville, sauf si -en effet- elle a effectué des repérages la veille. Elle quitte le square, non pas en direction de la gare, mais vers les quais de Saône. Une voiture l’attend donc pour la reconduire à Lyon. Quant à Berty, elle est emmenée au siège de la Gestapo à Mâcon, à l’hôtel Terminus.
Les Allemands sont-ils au courant de la réunion qui devait se tenir en fin de matinée ? Tout le laisse à penser puisqu’ils se ruent ensuite à l’hôtel de Bourgogne où ils fouillent les lieux. On constate encore leur présence vers 11H40.
Marcel Peck, présent mais pas arrêté, rend compte immédiatement à Frenay en se rendant à Lyon : « Les chambres ont été vidées de leurs occupants. Tous, sous la menace de revolvers, ont été rassemblés dans la salle à manger et mis le nez au mur. L’un des policiers faisait se retourner chaque homme, le regardait et passait au suivant[8]. » C’est Frenay que Moog bien évidemment cherchait, selon Peck. Et Frenay est à Lyon, comme par miracle.

Seuls Alexandre Truchi, secrétaire de Marcel Peck, et les époux Perrin sont embarqués. Ils partent pour Lyon par le train de 18H44, direction Montluc.
Dehors, les résistants convoqués à la réunion des M.U.R. commencent à arriver dont Peck et Guillermin. Ils se rendent vite compte de la présence de sentinelles allemandes devant l’hôtel et rebroussent chemin.
À suivre…
[1] Galland Daniel. Roland De Pury. Le souffle de la liberté. Paris : les bergers et les mages, 1994, 187 p., p. 57. L’Abwehr ayant retrouvé ce billet sur Berty, elle peut remonter la piste jusqu’au pasteur R. De Pury qui sera arrêté le 30 mai alors qu’il s’apprêtait à célébrer le culte. Le pasteur sera emprisonné cinq mois puis échangé en octobre 1943 contre des espions nazis capturés en Suisse.
[2] Cerf-Ferrière René. Chemin clandestin. (ebook) Julliard, 1968, 259 p, pp. 136-137.
[3] Idem., p. 138.
[4] Martinerie Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311 p., p. 34.
[5] Idem., voir également : Albrecht Mireille. Vivre au lieu d’exister. Monaco : Éditions du Rocher, 2001, 440 p., p. 411. La famille Baron enverra les effets de Berty à sa fille en 1965.
[6] Idem., p. 436. Mireille Albrecht a rencontré Jean Tramoni lorsqu’elle a mené son enquête au sujet de l’arrestation de sa mère.
[7] Ibidem., p. 437.
[8] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 332.