Cluny, 27 mai 1943

Peut-être parce que c’est une femme, peut-être parce que l’arrestation de Jean Moulin occultera tout le reste, les historiens se sont finalement peu penchés sur l’histoire de Berty Albrecht. Ils ne retiendront qu’une chose : Berty devait se rendre à l’hôtel de Bourgogne pour tomber dans un guet-apens, orchestré par Klaus Barbie et en rencontrant un agent double, Edmée Deletraz. Or, et cela change la donne, Berty « Victoire » ou « Laurence » avait deux rendez-vous ce jour-là : un premier vers 9H30 heures et un autre vers 11H30.

Cluny, 27 mai

À la villa Romada, Berty se prépare. À l’appui des témoignages de la famille Gouze, de Frenay et de Bénouville, Mireille Albrecht relate dans son ouvrage « Vivre au lieu d’exister » la chronologie de l’arrestation de sa mère. Elle écrit : Berty, ayant relevé le courrier de « Combat » à Mâcon le 27 mai, elle trouve un message l’invitant à se rendre à un rendez-vous au matin du 28.

Le 28, poursuit Mireille Albrecht, Berty prend son petit déjeuner avec les Gouze. Selon Roger Gouze, elle s’est même levée tôt pour prendre le premier train.

Mme Gouze tente de la dissuader de partir pour Mâcon mais « Berty [lui] a rappelé combien il était dangereux pour un camarade de ne trouver personne au rendez-vous et d’attendre en risquant de plus en plus de se faire repérer. Rien que pour ça, a-t-elle conclu, [elle devait] y aller [1]. »

Dans quel état d’esprit se trouve-t-elle à ce moment-là ?

Elle semble grippée et elle a très mal dormi, se souvient la famille Gouze. Avant de la quitter, la famille lui remet une lettre de Mireille, alors en Suisse : « Elle l’a glissé dans son sac en partant et n’a pas pris la précaution de le détruire après l’avoir lu », écrit Danielle Mitterrand [2].

Berty est une combattante de l’ombre. Sa tête est mise à prix. Elle a connu la prison, l’évasion, la clandestinité. Elle s’est séparée de sa fille, pour ne pas parler au cas où elle serait arrêtée. Elle a réalisé tous les sacrifices possibles et inimaginables sur l’autel de Combat afin de poursuivre la lutte et d’épauler Frenay jusqu’au bout. Aurait-elle commis la faute d’avoir gardé sur elle un courrier aussi compromettant qui indiquait son adresse et, par conséquent, celle de Frenay ?

Si cette histoire de courrier remis à Berty pose question, il y a un autre détail qui a son importance : Berty n’est jamais partie de Cluny le 28 au matin pour aller directement à son rendez-vous, comme l’affirment la famille Gouze et par là-même Mireille Albrecht. Et pour cause : le premier train de Cluny pour Mâcon part à 9H20. Si Berty l’avait emprunté, elle n’aurait jamais pu honorer son rendez-vous avec Edmée Deletraz.

Horaires train Cluny-Mâcon, printemps 1943

Quoi qu’en disent les Gouze, Berty a fait son sac le 27, emportant quelques effets : deux robes, une trousse de toilette et un parapluie. Le 27, elle part dormir à Saint-Laurent chez Marcel et Antoinette Vaillant. Les Vaillant sont un couple de résistants qui ont accueilli à plusieurs reprises Berty et Frenay. Elle arrive chez eux dans la soirée. Peut-être a-t-elle pris le train de 16H55. Elle rejoindra l’hôtel de Bourgogne le 28.

Cette journée fatidique restera à jamais ancrée dans la mémoire des témoins. Alors pourquoi avoir oublié que Berty a quitté Cluny non pas le 28 mai au matin mais le 27 ?

À suivre…


[1] Gouze Roger. Les miroirs parallèles. Paris : Calmann-Lévy, 292 p., p. 265.

[2] Mitterrand Danielle. En toutes libertés. Paris : Éditions Ramsay, 1996, 350 p., p. 32.