Rue Tronchet, Lyon, 27 mai 1943

Le 15 mai, Berty écrit un courrier à son mari dont elle est séparée, lui donnant, entre autres, des nouvelles de leur fille Mireille. Elle donne cette lettre à Frenay pour qu’il la remette en Angleterre à Frédéric Albrecht. Vers le 20 mai, Frenay s’est installé rue Tronchet chez Bénouville, c’est ce que confirmeront les voisins des Gouze le 28 mai lors de l’enquête faite par les gendarmes de Cluny.

Berty et Frenay restent cependant en contact et doivent se revoir le 28 mai à l’hôtel de Bourgogne à Mâcon.

Nous sommes le 27 mai 1943. Frenay est à Lyon, attendant désespérément depuis la fin d’avril, un avion qui l’emmènera à Londres avec Bénouville rencontrer le général De Gaulle afin de régler les différends qui les opposent à Jean Moulin :  » La question est de régler à Liliane les attributions de Boissières et tout rentrera dans l’ordre », écrit Bénouville à ce sujet. « Liliane », c’est Londres et « Boissières », c’est Jean Moulin. Il est hors de question, poursuit Bénouville encore, de se soumettre à Jean Moulin.

Si « Max » (J. Moulin) freine tout d’abord des quatre pieds pour envoyer Frenay auprès du général De Gaulle, il change son fusil d’épaule en cette fin du mois de mai 1943. À Londres, Frenay resterait ainsi écarté des M.U.R. Cette idée « d’éliminer » Frenay, Moulin n’est pas le seul à la partager. De l’avis de R. Aubrac, Copeau, Claudius Petit, il faut éloigner le chef de Combat de France et le plus longtemps, si possible. Ainsi, l’influence de Frenay sur la Résistance de la zone sud en sera définitivement diminuée.

Frenay a refusé de se rendre à Paris où doit siéger ce 27 mai le Conseil National de la Résistance, « la réunion la plus importante de toute la clandestinité[1] », selon Jacques Baumel, secrétaire du Comité directeur de Combat. C’est Claude Bourdet qui remplace Frenay à Paris.

Ce même 27 mai, le chef de Combat a prévu de retourner à Cluny[2] pour premièrement assister à une réunion des M.U.R. à l’hôtel de Bourgogne le 28 en fin de matinée. Deuxièmement, Frenay est également sûrement las d’attendre en ville son avion pour Londres, fixé cette fois-ci au 3e quartier de la lune de mai[3].

Il écrit : « Lyon est devenue une ville chaque jour plus dangereuse. Quand la Gestapo connaît un signalement, ce qui est mon cas depuis longtemps, il est malsain d’y circuler. (…) Je sortirai le moins possible et toujours dans un court périmètre autour de mon nouveau logis[4]. » A contrario, à Cluny, il peut aller et venir librement et profiter de la campagne environnante.

Frenay est donc prêt pour rejoindre Berty mais Bénouville entre en scène et l’en empêche :  ainsi qu’il l’écrit le 30 mai à Philippe Monod, « L’autre soir, [Frenay] devait regagner 4.1.7.1.6. [Cluny] par 20.12.25.26.17. [Mâcon]. Un rendez-vous que j’avais et dont le résultat l’intéressait lui a fait différer son départ[5]. » Alors que Frenay doit rencontrer notamment Marcel Peck à Mâcon, Benouville convainc Frenay que celui-ci viendra à Lyon.

Pourquoi Bénouville protège-t-il donc ainsi Frenay ? Sait-il alors que la région mâconnaise n’est plus sûre ?

À suivre…


[1] Baumel Jacques. Résister. Histoire secrète des années d’Occupation. Paris : Albin Michel, 1999, 457 p., p. 300. Au 48 de la rue du Four à Paris, « Dix-sept représentants légitimes des principaux mouvements de Résistance des deux zones, des partis politiques miraculeusement ressuscité pour l’occasion et de syndicats CGT et CFDT fondent officiellement le Conseil national de la Résistance, le CNR, soit la plus haute autorité de la Résistance intérieure. »

[2] Martinerie Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311 p., p. 34. Avant de partir pour Mâcon le 27, Berty demande à la résistante Germaine Moreau de prévenir Frenay « qui devait rentrer le soir, qu’elle-même ne rentrerait que le lendemain. »

[3] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 320 : « De nombreuses opérations de Lysander auront lieu en ce mois d’avril 1943, mais aucune ne nous sera destinée. On ne tenait pas tellement à nous voir tous deux à Londres. » Bénouville n’est pas le bienvenu à Londres et il n’est pas du voyage.

[4] Idem., p. 255.

[5] Ibidem., pp. 215-216. Il faut, quand on part, se présenter sur le terrain Marguerite, deux heures en avance. En  1942, Frenay raconte son départ raté pour Londres. Il est à cette époque chez de Roujoux à Charnay-les-Mâcon. Il ne lui faut qu’une demi-heure à vélo pour rejoindre l’auberge le goujon friand puis passer en barque pour atteindre le terrain Marguerite.

[6] Baynac Jacques. Les secrets de l’affaire Jean Moulin. Paris : Seuil, 1998, 511 p., p. 218.