Pendant ce temps-là, à Marseille
Cette parenthèse heureuse dans la vie de Berty et de Frenay ne dure pas. À Marseille, les Allemands sont à l’œuvre. Jean Multon, agent de Combat (alias Lunel) a été arrêté. Sans subir aucune pression, l’homme de confiance de Chevance accepte de collaborer avec Dunker Delage[1] et livre des camarades, beaucoup de camarades. Le 28 avril, Benjamin Crémieux puis Maurice Chevance -alias Bertin- sont appréhendés. Chevance est blessé mais réussit à s’enfuir. Depuis la clinique où il est opéré, Chevance fait prévenir des camarades de Combat, dont Max Juvenal. Caché vers Sisteron, Chevance sera -selon Baumel- rapatrié à Lyon vers le 26 mai[2], version contredite par Chevance lui-même dans ses Mémoires : s’il quitte sa planque, c’est pour partir à Paris, à l’automne 1943[3]. Quoi qu’il en soit, Chevance est à l’abri.

Multon donne ensuite à Dunker-Delage Pierre Bernheim, Wolf Wexler, Pierre Ziller et Pierre Le Couster. Nous sommes vers la mi-mai. Trop connu et dès lors grillé à Marseille, Dunker-Delage se sépare de Multon qui est envoyé le 24 mai auprès de Klaus Barbie à Lyon[4] . Avec Moog, il continue à faire des ravages dans les rangs de la résistance[5].
À quelle date sait-on que Multon est un traître ?
Pour tous les membres de Combat, c’est Multon alias « Lunel » le traître.
Le 28 avril, Bénouville rend visite à Frenay. En rentrant à Lyon le 29, il trouve sur le quai de la gare Perrache Jean-Guy Bernard et Claude Bourdet. C’est par eux qu’il apprend l’arrestation et la fuite de Chevance[6]. Puis, Jean Guy Bernard vient prévenir Frenay de l’arrestation de Chevance[7].
On n’aurait donc pas mis longtemps à connaître sa trahison et dès lors, sa tête aurait été mise à prix, à Marseille tout d’abord. « [Frenay] donne l’ordre aux G.F. de Marseille de le rechercher et de l’exécuter. Ils ne le trouveront pas et il nous faudra quelque temps pour savoir qu’il s’est transporté à Lyon où il allait poursuivre sa sinistre besogne[8]. » Multon désormais à Lyon, selon Bénouville, la tension monte : « Mais jamais, en revanche, notre existence n’avait été si menacée. (…) En vain, nous avions tenté d’organiser à Lyon une embuscade pour l’attirer et le tuer. Lunel était méfiant. (…) Mais aucun de nous maintenant ne parcourait une rue, ne sortait d’une gare, ne monte dans un train sans se demander s’il ne le rencontrerait pas, accompagné de ses redoutables protecteurs[9]. »
Étant donné que Multon arrive à Lyon vers le 24 mai, si l’on se fie aux témoignages de Frenay ou de Bénouville, ils auraient donc découvert que Multon avait été retourné par Dunker avant l’arrestation de Berty. Est-ce que leur mémoire leur aurait fait défaut ou ont-ils voulu se donner bonne conscience en diffusant cette fable dans leurs Mémoires[10] ?
En effet, le Comité directeur des MUR se réunit le 18 mai. Il est composé ce jour-là de Copeau, Claudius Petit, Frenay et Gorce-Franklin, Baumel étant secrétaire des débats. Le Comité ignorait à cette date que Multon était passé à l’ennemi et le nommait l’un des trois responsables de la région ‘’PACA’’. Dix jours avant l’arrestation de Berty, il est donc impossible d’avoir identifié Multon comme étant le traître qui s’est mis au service de Dunker.
Comme le souligne J. Baynac, Dunker a dû être « aux anges de voir son fidèle Multon accéder à la tête de sa région[11]. »
À suivre…
[1] Ernest Dunker, Delage, agent de la Sipo-SD, police de sécurité et service de sécurité, de Marseille section IV.
[2] Baumel Jacques. Résister. Histoire secrète des années d’Occupation. Paris : Albin Michel, 1999, 457 p., p. 159. Baumel livre là un récit très fantaisiste puisque, selon Chevance, il vient le voir dans les Hautes-Alpes après les arrestations de Caluire. Voir à ce sujet : Général Chevance-Bertin. Vingt mille heures d’angoisse…, op.cit., p. 133.
[3] Général Chevance-Bertin. Vingt mille heures d’angoisse, 1940-1945. Paris : Éditions Robert Laffont, 1990, 248 p., p. 134.
[4] Noguères, La vérité aura le dernier mot. p. 23-25.
[5] Voir l’article : La Gestapo tricolore à Lyon, 1943-1944- partie IV.
[6] Bénouville Guillain De. Le sacrifice du matin. Paris : Robert Laffont, 1946, 607 p., p. 346.
[7] Frenay Henri. La nuit finira. Paris : Robert Laffont, 1973, 607 p., p. 325.
[8] Idem., p. 326.
[9] De Bénouville Guillain. Le sacrifice…, op.cit., pp. 370-371. Lunel ne sort jamais seul et « toutes les tentatives pour l’appréhender échouaient. »
[10] Chevance écrira qu’il sait que Multon est le traître. Mais il ne dira pas à quelle date il en a la certitude.
[11] Baynac Jacques. Présumé Jean Moulin, Juin 1940-Juin 1943. Paris : Grasset, 2007, 1104 p., p.725.
Votre article est passionnant. Je suis tout à fait de votre avis, en étudiant les livres disponibles. Mais une chose me pose question: l’argent américain et la rencontre présumé de Bénouville avec Jean Moulin à Paris, entre le 12 et le 25 avril 1943 que Bénouville décrit avec force détails dans « le sacrifice du matin ». page 247-48. Au court de cet entretien il aurait essayé de convaincre Moulin d’accepter l’argent US et de l »envoyer lui à Londres avec Frenay. Or, personne ne semble se souvenir de cette rencontre. Daniel Cordier qui a établi minutieusement l’emploi du temps de son patron dans ses livres, n’en souffle mot, or cela parait peut probable qu’il n’ait pas été dans l’organisation de cette rencontre en tant que secrétaire. Qu’en pensez vous?
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Bonsoir
Je pense que benouville est un fieffé menteur sur toute la ligne…
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