Au début de l’année 1943, Henri Frenay, chef du mouvement Combat, se cache : il se réfugie chez André de Buxeuil de Roujoux, à Charnay-les-Mâcon. Dans le Mâconnais, De Roujoux a été le premier représentant du mouvement fondé par Frenay : Combat. En janvier 1943, Frenay doit changer de planque. Ce sera Cluny où le rejoindront ultérieurement Claude Bourdet et Berty Albrecht.
Selon Roger Gouze, son père a été révoqué alors qu’il était principal en 1940 du collège de Villefranche-sur-Saône ; il n’avait pas voulu fournir la liste des élèves et personnels juifs de son établissement[1].
Antoine Gouze se retire alors dans sa villa Romada[2] à Cluny -dont il est originaire- avec son épouse et Danielle, sa fille cadette. Madeleine, la fille aînée, est à Paris où elle travaille depuis 1942 en tant que chef du secrétariat particulier à la Direction générale du cinéma[3]. Parallèlement, elle s’occupe déjà de cinéma puisqu’elle fonde également en décembre 1943 avec un proche de Bénouville[4] -Armand Magescas- la société « Les films historiques[5]. »

La famille Gouze est-elle en 1943 engagée dans la résistance ? Germaine Moreau, résistante et déportée qui a tenu au Champ de Foire un café, sera interrogée sur ce sujet. Quand on lui posera la question de savoir s’ils étaient « résistants », elle fera une réponse laconique : « Sur la pointe des pieds. Oui, ils étaient pour la résistance ; ils n’ont jamais fait payer[6]. »
Si la famille Gouze n’a aucun lien avec la résistance comme l’a certifié G. Moreau, pourquoi leur maison devient-elle donc le refuge du chef de Combat pour quelques mois ? Sur le sujet, nous trouvons deux versions.
- Version de la famille Gouze
Roger, le fils Gouze, est parti en 1939 pour travailler en Amérique du Sud. Il avait eu comme collègue au collège de Chambéry Léonce Clément, affecté ultérieurement au collège de Villefranche-sur-Saône, dirigé par Antoine Gouze. Clément, franc-maçon, s’engagera dans le mouvement Combat et il sera dès lors connu sous le pseudo de « Mazel[7] ». Roger Gouze présente « Mazel » comme étant un proche de Frenay et ce serait donc lui qui aurait recherché une planque pour le patron de Combat.
Toutefois, même si un témoin atteste de la présence de « Mazel » à Cluny, aucune autre source ne corrobore le fait qu’il a introduit Frenay chez les Gouze[8]. L. Clément ne possède d’ailleurs aucun dossier aux archives de Vincennes alors qu’il est médaillé de la Résistance.
2. Version des Clunisois
Deuxième version : après avoir hébergé Frenay à Charnay-les-Mâcon, A. De Roujoux lui a cherché une autre planque.
Le réseau se lance à la recherche d’une maison-refuge : ce sera la maison des Gouze. Le fils Roger parti, il y a de la place et cela permettra à la famille de recevoir quelques subsides puisque le père a perdu son travail et ne vit qu’avec l’argent gagné en dispensant quelques cours particuliers. De surcroît, la maison est située en sortie de ville (route de Salornay) et donc bien à l’abri des regards.
Nous avions interrogé il y a quelques années Serge Moreau au sujet de l’arrivée du couple Frenay-Albrecht à Cluny. Il avait onze ans à l’époque et ses parents tenaient un bistrot non loin de la maison Gouze.
Il raconte : un jour, sa mère Germaine Moreau était sortie chercher des légumes dans le jardin et, sur le chemin, elle rencontra Antoine Gouze qui était en train d’arranger l’appartement de son fils Roger pour le louer. Plus tard, quelqu’un vint au bistrot (sûrement De Roujoux) pour demander à Antoine Moreau un appartement. Celui-ci chercha du côté dans la rue de La Prat’s (actuelle rue du 19 mars 1962) mais ne trouvant rien, il choisit la solution de l’appartement des Gouze. Un autre résistant, Jules Pierreclaud (1891-1950), passa visiter les lieux et conclut l’affaire avec Antoine Gouze.
À suivre…
[1] Nous n’avons pas vérifié ces informations puisqu’il n’a pas de dossier à Vincennes. Toutefois, il est médaillé de la résistance, comme sa fille Danielle.
[2] Ro-ma-da comme les trois prénoms des enfants du couple Gouze : Roger, Madeleine, Danielle.
[3] Après 1944, Madeleine Gouze sera successivement : codirectrice de l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) (1944-1945), chef de cabinet du ministre des Prisonniers (1945-1947), chargée de missions culturelles en Amérique du Sud (1947-1949), administrateur de productions cinématographiques (1950-1955), producteur de films (depuis 1955), gérante de la société Production générale de films (Progefi) en 1956.
[4] Bénouville (Guillain de) entrera à Combat en décembre 1942. Très rapidement, il supplantera Berty Albrecht auprès d’Henri Frenay. Frenay étant parti pour Londres, il remplacera le patron de Combat à la direction militaire des M.U.R. en juin 1943.
[5] Société dont l’objet est l’étude, la préparation et la réalisation de tous films cinématographiques.
[6] Martinerie Jean. Éléments pour une approche historique de la résistance en Clunysois et lieux circonvoisins. Beaubery : imp. Turboprint, 2010, 311 p., p. 32. Entretien avec G. Moreau en août 2004.
[7] Le Mer Régis. Francs-Maçons résistants-Lyon 1940-1944. Editions Michel Chomarat-Mémoire active, 2011, 300 p., pp. 91-94.
[8] Roux Marius. La résistance à Cluny, 1940-1944. Document dactylographié. Roux a été professeur à l’École pratique. Il mentionne dans son écrit la présence à plusieurs reprises de « Mazel » à Cluny.