Victor Grignard (1871-1935)

On se presse souvent chez le premier magistrat de cette bonne vieille ville de Cluny pour tenter d’honorer la mémoire d’Untel, plus rarement d’Unetelle. Et on imagine les dilemmes auxquels le maire se trouve confronté devant les arguments déployés par les uns et par les autres. On irait même parfois jusqu’à demander de débaptiser une rue afin de célébrer un illustre grand-père. Mais, si vous vous intéressez aux odonymes, avez-vous remarqué qu’aucun nom de scientifique sorti de nos écoles n’a obtenu reconnaissance, même dans une « ruette », un lotissement, une école, ou encore un chemin ? Pourtant, entre l’École normale de Duruy et les Arts-et-Métiers, il y a de quoi faire et nos élus ne l’oublient jamais puisqu’ils se targuent souvent dans leurs discours d’avoir à Cluny « le plus petit campus de France ».

Commençons par le plus illustre peut-être : Grignard, prix Nobel en 1912. Lui, au moins, n’a pas été totalement oublié puisqu’une résidence pour les étudiants des Arts-et-Métiers porte son nom. Qui était ce Grignard et mériterait-il qu’on se souvienne plus amplement de lui ?

Modeste fils d’un chef d’atelier à l’Arsenal, Victor Grignard naît le 6 mai 1871 à Cherbourg[1].

Excellent élève, il aurait dû entrer à l’École normale supérieure, la ville de Paris réservant quelques bourses aux élèves méritants de province. Mais, du fait des frais occasionnés par l’Exposition universelle, ces aides ne furent pas octroyées. Déçu de ne pas intégrer l’École de la rue d’Ulm, V. Grignard suit les pas de son professeur de mathématiques au lycée de Cherbourg, l’agrégé spécial Étienne Pouthier. Il réussit le concours d’entrée à l’École Normale d’enseignement secondaire spécial (ENESS) en 1889. À Cluny, poussé par Célestin Roubaudi, son professeur de géométrie descriptive, Grignard se destine à passer l’agrégation spéciale de mathématiques mais, manque de chance ou heureux hasard, l’École normale ferme ses portes en 1891.    

Tous les élèves de l’École sont alors redirigés vers d’autres établissements pour pouvoir terminer leurs études. Non sans difficultés d’ailleurs, car  le directeur de l’enseignement supérieur -Louis Liard- qui tient les cordons des bourses d’agrégation et de licence, ne compte pas dépenser un centime pour les élèves clunisois.

« Ces Clunysiens constituaient une élite parmi nous. »

Certains élèves-maîtres de l’École normale partiront à Rouen pour se préparer à l’agrégation, d’autres à la faculté des Sciences de Lyon. En 1933, lorsqu’il reçoit les insignes de Commandeur de la légion d’Honneur, Grignard n’oubliera pas de souligner le rôle que joua dans son parcours l’École normale et insistera sur la réussite des enfants du peuple qui composaient sa promotion à Cluny en 1891 : sur vingt normaliens, quatre réussirent ultérieurement l’agrégation classique, sept obtinrent un doctorat ès sciences, quatre devinrent professeurs dans l’enseignement supérieur et un termina sa carrière comme ingénieur[2].

Parmi ses condisciples à Cluny se trouvaient alors François Bourion qui deviendra professeur à la faculté des Sciences de Nancy, Louis Meunier, professeur de chimie industrielle à la faculté des Sciences et directeur-adjoint de l’école de chimie industrielle de Lyon, Paul Wiernsberger (directeur de l’école de La Martinière à Lyon en 1909) et Louis Rousset, chef de travaux de chimie à la faculté de Lyon.

Victor Grignard réussit à Lyon sa licence mathématiques en 1894 et en 1898 celle de sciences physiques, tout en travaillant comme préparateur-adjoint aux côtés de son camarade Louis Rousset qui l’incite à consacrer ses recherches dans le domaine de la chimie.

V. Grignard

Lorsque Rousset décède en 1898, Grignard le remplace comme chef de travaux de chimie. Deux ans plus tard, ses recherches en chimie organique sont remarquées par l’Académie des sciences et il soutient sa thèse en 1901. Nommé maître de conférences en 1905 à la faculté des Sciences de Besançon, il lui faut cependant attendre cinq ans pour devenir professeur-titulaire à la faculté de Nancy.

La reconnaissance ultime de son travail arrive enfin en 1912 lorsqu’il partage le prix Nobel de chimie avec Paul Sabatier (1854-1941) pour ses travaux sur les « Composés Organomagnésiens ».

Le Diplôme NOBEL

L’Académie Royale des Sciences de Stockholm, lors de la réunion du 12-11-1912, conformément aux instructions parlementaires données par Alfred Nobel décide de décerner la moitié du prix Nobel de chimie à Victor Grignard pour la réaction dite « de Grignard ». « La découverte, au cours des dernières années, a contribué, dans une large mesure, aux progrès pour la Chimie organique. » Stockholm, le 10 décembre 1912.

Au même moment, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. 

En 1919, il exercera comme professeur à la faculté des sciences de Lyon et il  dirigera également l’Ecole de chimie industrielle de Lyon à partir de 1921. Victor Grignard décède à Lyon le 13 décembre 1935.

Principales distinctions et récompenses :

Prix Nobel, 1912

Chevalier de la Légion d’honneur, 1912

Médaille Lavoisier de la Société chimique de France, 1913

Officier de la légion d’honneur, 1920

Élu membre de l’Institut, 1926

Élu doyen de la faculté des sciences de Lyon, 1929

Commandeur de la Légion d’honneur, 1933

Président de la Société chimique de France, 1934

Le lycée de Cherbourg et une rue à Lyon portent son nom.


[1] Victor Grignard. 6 mai 1871-13 décembre 1935. Lyon : imprimerie A. Bey, 1935, 79 p.

[2] Idem., p. 34. Le professeur Vaney de la Faculté des sciences de Lyon souligne également en 1935 : « Ces Clunysiens constituaient une élite parmi nous. »