Nous voici partis pour une longue série d’articles sur la résistante Berty Albrecht et plus spécialement sur son arrestation, le 28 mai 1943 à l’hôtel de Bourgogne à Mâcon. Courage, il n’y en aura qu’une vingtaine. On y parlera beaucoup de Frenay, de Bénouville, de Deletraz, de Multon et de la famille Gouze qui a hébergé Berty quelques mois à Cluny. Mais aussi des Gestapistes français. Eh oui, on n’en a pas encore fini avec Moog ! Et tant d’autres…

Berty : une femme de gauche et une féministe.

Berthe, Pauline, Mariette Wild naît le 15 février 1893 à Marseille dans une famille protestante pratiquante. Dans une famille où l’oisiveté est un péché, Berty -ses études terminées- obtient son diplôme d’infirmière avant de trouver un beau parti qui la mettra à l’abri des aléas de la vie. Partie Outre-Manche parfaire son anglais, à 21 ans elle fait connaissance avec les premières féministes de Londres. Ces rencontres avec les suffragettes anglaises[1] décident de son entrée en politique. À Londres, elle retrouve aussi Frédéric Albrecht, dont elle avait fait la connaissance à Marseille. Épouser un catholique n’est pas du goût de sa famille qui cependant s’inclinera. La guerre déclarée, de retour à Marseille, la jeune fille rejoint les rangs de la Croix-Rouge dans les hôpitaux puis gagne Rotterdam pour se marier.

Aux Pays-Bas, la condition des femmes ne ressemble en rien à celle que Berty a connue en France puisque les Hollandaises voteront pour la première fois en 1922. La jeune femme regarde tout cela avec intérêt  et, malgré la naissance de ses deux enfants, peut-être rêve-t-elle déjà à une vie plus engagée, moins conformiste. Venus vivre à Londres, le couple Albrecht commence en effet à battre de l’aile. Frédéric est banquier alors que son épouse fréquente des intellectuels de gauche, des féministes adeptes de la planification des naissances et de la libre sexualité. Là, elle « offre son concours aux militants de l’égalité politique, économique et sexuelles de la femme, de la réforme des lois sur le mariage et le divorce, de l’amélioration de l’éducation sexuelle, du contrôle des naissances, de la réforme des lois sur l’avortement, de la prévention des maladies vénériennes et de la prostitution, et de la protection des mères célibataires et des enfants illégitimes[2]. Avec Frédéric, le temps de la séparation est venu et Berty part s’installer à Paris en 1931 avec les enfants[3]. D’après sa biographe, elle ne « fréquente que les infréquentables[4] » et prône la libération sexuelle que même certaines féministes françaises de l’époque redoutent.

Berty au printemps 1943

En 1932, son action est déjà bien engagée dans l’Association des études sexologiques et elle est élue au Comité exécutif de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle sur une base scientifique ; elle « participe également au ralliement de la Ligue des droits de l’homme au combat pour l’abolition de la loi du 31 juillet 1920[5]. » À toutes ces activités se rajoute en 1933 la création d’un revue : Le problème sexuel. C’est à cette époque qu’elle rencontre également le jeune capitaine Henri Frenay, sûrement le grand amour de sa vie. Elle l’accompagnera jusqu’au bout. Pas lui.

Contre le fascisme et l’entrée en résistance

C’est à partir de 1934 que Berty s’engage dans un autre combat : celui de la lutte contre le fascisme en adhérant tout d’abord au Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme puis en participant en 1935 au Comité d’aide à l’Ethiopie[6]. En 1936, elle entre au Comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne républicaine[7]. À Paris, son appartement accueille les premiers réfugiés d’Allemagne qui racontent les camps de concentration.

Pourtant, en plein Front Populaire, Berty se trouve encore trop inutile et décide de reprendre des études. Afin d’appréhender réellement les questions sociales, cette bourgeoise de 43 ans décide de reprendre des études et de travailler… comme surintendante d’usine[8] ! Pour son mari, la coupe est pleine : pensant la ramener à la raison, il lui coupe les vivres. C’est bien mal connaitre sa femme qui continue de travailler à Vierzon. Trois jours avant l’entrée des Allemands dans la capitale, Berty a en effet fui et pour cause : la Gestapo viendra rapidement visiter son appartement pour la trouver.

À Vierzon, elle décide de combattre en facilitant tout d’abord les filières d’évasion à ceux qui sont pourchassés. Henri Frenay, lui, souhaiterait créer des unités paramilitaires en vue de poursuivre la guerre contre l’Allemagne grâce à la création du Mouvement de libération nationale. La lutte, ils la mèneront ensemble.

Installés à Lyon, il s’agit tout d’abord pour les deux résistants de multiplier les contacts, d’étoffer le mouvement  et d’informer, via un Bulletin qui prendra ultérieurement  le nom de Combat [9]. Alors que les premiers contacts sont pris avec Jean Moulin, les arrestations des membres de Combat débutent. Arrêtée par la police française en 1942, Berty -Victoire dans la résistance- est envoyée à Vas-les-Bains où elle entame une grève de la faim de douze jours avant d’être transférée à la prison Saint-Joseph de Lyon. Condamnée à six mois de prison et 10 000 francs d’amende, elle sait, depuis l’invasion de la zone sud, qu’elle risque la déportation. Pour y échapper, elle décide de simuler la folie et part pour l’asile du Vinatier à Bron. Avec l’aide de sa fille Mireille, de son médecin et de trois membres des Groupes Francs, elle s’évade le 23 décembre de ce lieu sordide.

Mais, désormais, Berty est une femme traquée.

À suivre…


[1] En Grande-Bretagne, les femmes de plus de trente ans voteront pour la première fois le 28 décembre 1918.
[2] Missika Dominique. Berty Albrecht, féministe et résistante. Paris : éditions Perrin, coll. Tempus, 2005, p. 67.
[3] Les époux Albrecht ne divorceront pas et Frédéric continuera de secourir sa femme et ses enfants.
[4] Missika Dominique. Berty Albrecht, op.cit., p. 76.
[5] Idem., p. 87. Loi stipulant que l’avortement est strictement interdit et que la contraception est également passible d’une amende, voire d’une peine de prison. En 1942, l’avortement est déclaré « Crime contre l’État ». Les femmes y ayant recouru ou l’ayant pratiqué seront condamnées à la peine de mort.
[6] Ibidem., p. 112. En octobre 1935, les troupes italiennes envahissent et bombardent l’Ethiopie. Berty récolte des fonds pour envoyer des ambulances et de l’aide aux Ethiopiens.
[7] Ibid., p. 112-113. Aux côtés de Victor Basch et de Paul Langevin, le comité « lance une vaste campagne de mobilisation et de soutien aux républicains espagnols. »
[8] Assistante sociale auprès des ouvriers.
[9] Après le Bulletin, Les Petites Ailes de France, puis Vérités et enfin Combat, nom également donné à leur mouvement.